Après avoir encaissé les coups, l’Europe passe à l’offensive. Au lendemain de l'annonce de l’imposition par les États-Unis de taxes sur l’acier et l’aluminium, qui visent particulièrement le Vieux Continent, l’heure est à la réaction à Bruxelles. L’Union européenne compte bien répondre au bras de fer imposé par Donald Trump afin de limiter les conséquences économiques sur les pays membres. Europe 1 fait le point sur ce que risque l’UE et ses options pour se défendre.
Pas un partenaire majeur. Pour comprendre les conséquences de ces taxes de 25% sur l’acier et 10% sur l’aluminium importé depuis l’UE (mais aussi la Chine, le Canada, le Mexique…), il faut mentionner quelques chiffres : l’Allemagne représente 3% des 30 millions de tonnes d’acier importées par les États-Unis chaque année et la France moins de 1%. Loin des 16% du Canada, du Brésil (13%), de la Corée du Sud (10%) ou encore de la Russie et du Mexique (9%). En volume, l’Union européenne n’est donc pas vraiment un partenaire majeur des États-Unis.
D’où la réaction tempérée des professionnels de la métallurgie. "Notre préoccupation n’est pas tant de perdre des parts de marché aux États-Unis que les conséquences indirectes de ces taxes sur le marché européen", explique au micro d’Europe 1 Philippe Darmayan, président de l’Union des industries et métiers de la métallurgie et patron d’ArcelorMittal France. "Les importations américaines d’acier représentent environ 30 millions de tonnes chaque année. Et si ces 30 millions de tonnes qui allaient normalement aux États-Unis se retrouvent sur le marché européen, il est clair que cela aura un impact très important sur le prix de l’acier, l’emploi dans la métallurgie et l’économie de nos sociétés", précise-t-il.
" Il faut des mesures de protection du marché européen "
Risque d’un effet de report de l’acier chinois. En clair, le principal risque avec les sanctions américaines, c’est que l’acier asiatique moins cher se détourne des États-Unis et inonde le marché européen. "C’est une inquiétude tout à fait légitime, cet effet de report a déjà été observé", note Sébastien Jean, sur Europe 1, économiste, directeur du CEPII (Centre d'études prospectives et d'informations internationales). Au total, les droits de douane de Donald Trump pourraient coûter 2,8 milliards d'euros à l’UE, selon les calculs de la Commission. Raison pour laquelle le patron d’ArcelorMittal France Philippe Darmayan "appelle les autorités européennes à adopter des mesures de protection du marché européen plutôt que des mesures de rétorsion vis-à-vis de l’économie américaine".
Riposte en trois temps. L’UE n’a pas attendu la confirmation des sanctions (annoncées début mars mais assorties d’un délai de trois mois) pour préparer sa contre-attaque. La riposte européenne aux taxes américaines prend la forme d’une fusée à trois étages. Le premier a été largué vendredi quand l’UE a porté plainte auprès de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), à la fois contre les États-Unis qui "jouent un jeu dangereux" et contre la Chine pour "transfert injuste de technologie" afin de limiter le risque de dumping social sur l’acier, a précisé la Commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström.
Une mesure nécessaire dans le cadre des accords de l’OMC mais "lente et insuffisante", souligne Sébastien Jean. L'examen de ce type de plainte à l'OMC peut en effet prendre des années : au cours du précédent conflit commercial sur l'acier entre l'UE et les Etats-Unis en 2002, la procédure avait duré un an et demi.
" L’UE devrait adopter des mesures de rééquilibrages "
L’UE pourrait taxer le bourbon et les motos. Deuxième étape, déjà dans les tuyaux : rendre la pareille. "L’UE devrait adopter des mesures de rééquilibrages qui sont en réalité des représailles sur des produits politiquement sensibles car fabriqués dans des zones acquises à Donald Trump", détaille l’économiste Sébastien Jean. La Commission a déjà préparé, fin avril, une liste de produits emblématiques, dont le tabac, le bourbon, les jeans ou les motos, qu'elle pourrait lourdement taxer dès le 20 juin. Après toutefois un débat entre États membres, pour une dernière validation. "Nous pouvons utiliser une partie de cette liste, la liste entière, une partie maintenant et une autre partie plus tard", a précisé Cecilia Malmström vendredi.
Reste que ces mesures auraient un impact limité, à la fois sur le plan économique (le montant des sanctions ne peut excéder celui des taxes américaines) et sur le plan politique. "Si l’Europe venait à taxer fortement le bourbon, produit dans le Kentucky, cela aurait un impact sur cet État qui a massivement voté pour Donald Trump. Or, quand ils sont attaqués, les soutiens de Trump font bloc autour de leur président. Donc cela ne me semble pas être une mesure tenable pour l’UE", analyse Jean-Éric Branaa, maître de conférences à Paris 2 et spécialiste des États-Unis.
Protéger le marché européen. Enfin, comme le demande le secteur de la métallurgie, l'UE prépare également des mesures dites de "sauvegarde", qui selon les règles de l'OMC, sont possibles si un afflux soudain d'importations perturbe "sérieusement" ou menace de perturber une industrie nationale. La Commission européenne a déjà ouvert une enquête auprès des producteurs européens d'acier fin mars. Elle dispose de neuf mois pour prendre des mesures.