La Cour des comptes s'invite dans le débat sur le soutien public au cinéma français, déplorant que trop de films ne trouvent pas leur public en salle. Dans un rapport dévoilé mercredi, la plus haute juridiction financière se penche sur plus d'une décennie (2011-2022) de gestion du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), qui dépend du ministère de la Culture.
"Une réforme approfondie des aides"
Son rapport est élogieux pour une institution publique qui brasse près de 700 millions d'euros de ressources annuelles pour le secteur, auquel elle a permis de passer le cap de la pandémie et de s'adapter à l'arrivée des plateformes comme Netflix.
Mais l'une de ses recommandations risque de faire du bruit: la Cour des comptes appelle à "une réforme approfondie des aides" au cinéma, trop nombreuses -une centaine- et trop complexes à son goût. De quoi relancer le débat à peine six mois après l'intense polémique lancée par les propos de la réalisatrice Justine Triet, en recevant sa Palme d'or à Cannes pour "Anatomie d'une chute".
Elle avait pris à partie les pouvoirs publics, accusés de vouloir "casser" l'exception culturelle et sacrifier l'aide aux jeunes auteurs sur l'autel de la rentabilité. "Ingrat et injuste", avait répondu la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, avant que le monde politique ne s'empare du sujet.
Seul 2 % des films soutenus sont rentabilisés en salle
Le diagnostic de la Cour des comptes se veut nuancé. "Nous ne sommes pas en train de préconiser qu'il y ait moins de films, mais de faire en sorte qu'il y ait moins de films qui ne rencontrent pas leur public", a martelé le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, devant la presse. La Cour prend soin de rappeller que le CNC reste garant "du modèle français, dit d'exception culturelle, combinant production indépendante et créativité". C'est ce modèle "qui a permis le maintien d'une part de marché des films français de près de 40%", ajoute-t-elle.
Mais les magistrats financiers pointent le fait que les aides au cinéma continuent de gonfler, tandis que les films sont de plus en plus nombreux à ne pas trouver leur public en salle. Un tiers des films français réunissaient moins de 20.000 spectateurs en 2019, contre un quart une décennie plus tôt.
La Cour se penche aussi sur leur rentabilité. Seulement 2% des films soutenus par l'avance sur recettes, l'aide la plus emblématique au cinéma d'auteur, sont rentabilisés en salle, selon les calculs de la Cour, qui ne prend pas en compte leur exploitation ultérieure. Certains auteurs sont fréquemment soutenus, comme la documentariste Claire Simon, financée à sept reprises en dix ans, Arnaud Despleschin (cinq fois), ou Justine Triet (quatre fois), souligne-t-elle. Les crédits d'impôts pour le cinéma ont bondi (160 millions d'euros en 2022) - ce qui reflète aussi le boom des tournages.
"Nous ne disons pas qu'il y a trop de films et que la rentabilité doit être le seul critère, puisque le CNC est là pour que le cinéma puisse échapper à cette logique de l'argent, mais une rationalisation pour plus d'efficience est souhaitable", a nuancé Pierre Moscovici.
Corriger les soutiens du CNC
Dans sa réponse à la Cour des comptes, le ministère de l'Economie et des Finances dit "partager le constat d'un niveau très élevé de films soutenus" et de la "nécessité de réformer les soutiens". Mais le président du CNC, Dominique Boutonnat, regrette que la Cour "analyse quasi-exclusivement la performance (de cette politique) à la lumière du succès des films aidés en salles". Pour que les films trouvent leur public, le CNC travaille sur leur diffusion, l'éducation à l'image, le soutien aux festivals, l'aide aux salles, art et essai notamment...
Matignon abonde, soulignant qu'il faut prendre en compte "le renouvellement de la création, la diversité des films proposés au public et le rayonnement de notre cinéma à l'international", autant de facettes "qui, en l'occurrence s'avèrent positives". Il faudra "corriger les soutiens du CNC dont l'efficacité n'apparaît par probante", ajoute la Première ministre Elisabeth Borne, "pour que la production cinématographique française soit vue par un public aussi large que possible".