"Une misère, une humiliation, un esclavage". Le cri du cœur est celui de Haralambos Rouliskos, un économiste athénien, après la publication de l’accord sur la Grèce. Après 17 heures de négociations dans la nuit de dimanche à lundi, les chefs d’Etat de la zone euro se sont mis d’accord sur un scénario de sortie de crise. Mais celui-ci passe par une cure d’austérité d’une ampleur inédite pour Athènes. Alexis Tsipras, le Premier ministre grec, a-t-il vraiment obtenu quelque chose en échange ?
CE QUE LA GRÈCE ACCEPTE DE FAIRE
Des réformes rapides. Le gouvernement hellène a finalement donné son accord pour la mise en œuvre de réformes rapides : d'ici mercredi, la Grèce doit "rationaliser le système de TVA et élargir sa base pour augmenter ses revenus", "améliorer la soutenabilité du système de retraites", "assurer l'indépendance de l'institut statistique ELSTAT", "mettre en place une Autorité fiscale indépendante et un mécanisme de réduction automatique des dépenses en cas de ratage des objectifs budgétaires".
Une mise sous tutelle. Et ce n’est pas fini. L’accord ne prévoit rien de moins qu’une mise sous tutelle partielle de la Grèce. La Commission européenne, la BCE et le FMI auront un droit de regard sur les futurs projets de loi économique du pays. Et surtout - c’est une idée du ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble – Athènes accepte de confier tous les actifs publics du pays à un fonds, indépendant, mais en partie contrôlé par les créanciers. Charge à lui de vendre ces actifs dans le privé, afin de collecter 50 milliards d’euros pour renflouer les banques du pays et les caisses de l’Etat.
TSIPRAS A-T-IL VRAIMENT TOUT PERDU ?
En contrepartie de ces mesures, toujours refusées jusqu’ici par le gouvernement grec, Athènes n’a pour l’heure réussi à placer…. aucune des exigences qu'elle avait posé avant ce week-end. Tout juste a-t-elle réussi à revoir un peu à la baisse les exigences allemandes.
Une promesse de plan d’aide si… L’une des exigences d'Athènes avant ce weekend étaient la mise en place d’un troisième plan d’aide pour la Grèce, sur plusieurs années, là où les créanciers les plus durs (Allemagne, Finlande etc) n’étaient prêts à s’engager que sur cinq mois. Si, sur le principe, ce troisième plan d’aide a finalement été accepté, d’un montant de plus de 80 milliards d’euros, il est encore loin d’être sur les rails. Athènes doit d’abord faire valider des réformes par son parlement, au plus tard mercredi. Et plusieurs parlements européens doivent, eux-aussi, donner leur aval. Une fois que les élus auront tranché, un nouveau sommet devra être convoqué pour de nouvelles négociations.
Dette : une promesse de restructuration si… Une autre exigence d’Athènes était d’obtenir une réduction de sa dette, pour l’heure élevée à 320 milliards d’euros. Mais les "faucons" d’Athènes ont fini par avoir gain de cause : aucune réduction n’est à l’ordre du jour. Alexis Tsipras a tout de même obtenu la promesse de pouvoir évoquer une restructuration, une fois toutes les réformes mises en œuvre. "L'Eurogroupe est prêt à évaluer, si nécessaire, des mesures additionnelles (allongement des délais de grâce et des maturités), seulement si la Grèce a respecté ses engagements", selon les termes de l'accord.
Le fonds de privatisation reste à Athènes. L’un des principaux points de blocage concernait également le fonds indépendant de privatisation des actifs grecs, dont il n'avait jamais été question avant ce week-end. L’Allemagne voulait qu’il soit basé au Luxembourg. Il siégera finalement à Athènes, et l’Etat grec aura un droit de regard sur ses agissements.
Il n’y aura pas de grexit. Cela ne faisait pas partie de ses exigences formelles d'Alexis Tsipras, mais c’est tout de même la principale victoire obtenue par Athènes : son pays restera dans la zone euro. L’option d’un "Grexit" était pourtant évoquée noire sur blanc dans le document de travail des chefs d’Etat de la zone euro, fourni par leurs ministres des Finances (Eurogroupe) un peu plus tôt dimanche.
POURQUOI TSIPRAS A-T-IL CEDE ?
Si la Grèce a fini par dire "oui" à la plupart des exigences des créanciers, c’est qu’elle n’avait pas le choix. Selon plusieurs sources, la délégation athénienne a discuté point par point chaque proposition. Masi elle s’est heurtée au mur allemand. Si elle voulait obtenir l’argent dont elle a besoin, il lui fallait céder. "Avec un pistolet sur la tempe, toi aussi tu serais d'accord", a lâché, pour expliquer les concessions, une source gouvernementale grecque.
Une métaphore reprise par Jean-Luc Mélenchon, soutien de la première heure du Premier ministre grec. "Telle est dorénavant l'Union européenne. Un revolver sur la tempe, une nation déjà asphyxiée et placée sous blocus financier doit conclure un +accord+ après treize heures de ‘discussion’", a dénoncé dans un communiqué l'ancien candidat à l'élection présidentielle de 2012. L'économiste français Charles Wyplosz, professeur à l'Institut des hautes études internationales et du développement de Genève, généralement modéré, n'en revenait pas et utilisait lui une autre métaphore : "C'est le couteau sous la gorge (...), une invasion sans les troupes au sol, d'une férocité inouïe (...), je n'aurais jamais imaginé que des chefs d'Etat et de gouvernement se laissent aller à une telle vindicte".
Le gouvernement grec a "livré jusqu'au bout un combat juste" qui a débouché sur un "accord difficile" mais garantissant la "stabilité financière" et la "relance" en Grèce, a pour sa part déclaré lundi Alexis Tsipras. "La grande majorité du peuple grec va soutenir cet effort (...) nous continuerons à nous battre" pour "les réformes radicales dont la Grèce a besoin (lutte contre l’oligarchie et la corruption, réforme de l’Etat etc.)", a-t-il ajouté, visiblement soucieux de passer à autre chose.