Alors que la troisième vague du Covid-19 s’abat sur la France, retour un an en arrière quand le pays était confiné pour la première fois afin de stopper cette nouvelle épidémie que l’on découvrait seulement. Les Français se familiarisaient alors avec les masques, devenus progressivement obligatoires pour sortir. Mais encore fallait-il en trouver. Après de premières tensions en février, on a rapidement parlé de "pénurie" pour les soignants. La faute notamment aux réserves stratégiques de l'État, qui ne comptaient que 754 millions de masques en 2018, dont une bonne partie inutilisables, avait indiqué le Directeur général de la Santé Jérôme Salomon. Un an après, où en est-on ?
Près de deux milliards de masques dans les réserves de l'État
Premier point : les réserves stratégiques de l'État ont été largement reconstituées. Aujourd’hui, Santé Publique France possède 1,47 milliard de masques chirurgicaux et 500 millions de masques FFP2. C’est presque le triple des stocks d’avant crise. On est même au-delà du stock minimal réclamé par le ministre de la Santé Olivier Véran en réaction à la pénurie. Cette réserve stratégique, destinée uniquement au personnel soignant, permettrait de couvrir leurs besoins pendant deux mois et demi en temps de crise. Sachant qu'elle s'ajoute à celle constituée de leur côté par les établissements de santé et médico-sociaux, qui doivent avoir trois semaines de masques en stock.
Pour répondre à cette demande, c’est toute une filière qui s’est restructurée. Début 2020, il n’y avait que quatre fabricants de masques chirurgicaux et FFP2 en France. On en recense une trentaine aujourd’hui, avec une capacité de production de 100 millions de masques par semaine. C’est 30 fois plus qu’il y a un an. "Avant la crise, on produisait 300.000 masques par jour, loin de notre capacité maximale. Il y avait beaucoup de machines sous bâches. En avril 2020, on est monté à un million de masques par jour, chirurgicaux et FFP2, et aujourd'hui on est à 3,5 millions", illustre Gérald Heuliez, le directeur général de Kolmi-Hopen, l'un des plus gros fabricants de masques français.
De nouvelles usines sortent de terre
L'entrepreneur, dont l'usine est située près d'Angers, avait reçu la visite d'Emmanuel Macron en mars. Le président l'avait par la suite cité personnellement en modèle dans ses vœux du 31 décembre. De fait, Kolmi-Hopen est le symbole de la réindustrialisation française des masques. "On a investi neuf millions d'euros en un an pour élargir le parc de machines et répondre à la demande. On est passé de 102 à 285 salariés", précise Gérald Heuliez. Forte de 45 ans de savoir-faire, elle exporte une partie de sa production. "On a signé un contrat avec le système de santé britannique, donc on a implanté une usine en Angleterre. On s'est aussi développé au Bénélux, en Allemagne et en Pologne."
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La réindustrialisation passe aussi par l'implantation de nouvelles usines. En janvier, deux sont sorties de terre coup sur coup dans les Côtes-d'Armor. À Ploufragan, le groupe suisse M3 Sanitrade a installé un entrepôt de 25.000 m2. "On produit 5 à 6.000 masques par heure et on est encore en rodage", détaille Franck Lecoq, directeur général du site qui doit fabriquer 75 millions d'unités en 2021 et le double en 2022, dont une partie est destinée à l'export, notamment en Allemagne et en Espagne. Non loin, à Grâces, la Coop des Masques a, elle, opté pour une production locale avec un objectif de 45 millions de masques annuels, destinés uniquement "aux professionnels du Grand Ouest." À elles deux, ces usines emploient près de 70 personnes.
Ne pas produire trop pour éviter la casse après la crise
Malgré cette nouvelle production locale, la France continue d’importer des masques, les besoins étant bien supérieurs à la production. Selon des estimations calculées par Bercy en mai 2020, l'ensemble de la population française consomme, au maximum, l'équivalent de 900 millions de masques chirurgicaux chaque semaine. Il faut donc acheter le différentiel à l'étranger. Une stratégie qui relève, en partie, d'un choix de l'État. "On a atteint un point d’équilibre. Ça ne sert à rien de produire trop", confie-t-on à Bercy.
De fait, une fois la crise sanitaire passée, la consommation de masques va retomber drastiquement. Les usines françaises auront logiquement moins de commandes et, si elles produisaient plus aujourd'hui, elles risqueraient de devoir licencier plus tard. "Je suis assez pessimiste pour mon activité après le Covid", abonde Gérald Heuliez, le directeur général de Kolmi-Hopen. "Évidemment, je souhaite que l'on sorte de la crise. Mais on va devoir baisser notre production à nouveau. Peut-être pas au niveau de fin 2019, les masques seront sûrement un peu plus utilisés à l'avenir, mais il n'y aura pas de quoi faire tourner l'usine à plein régime."
La France consolide son approvisionnement en matières premières
La filière française des masques reste donc fragile, d'autant plus que rien n'indique que le made in France soit privilégié dans les années à venir. Les entreprises sont libres de s’approvisionner comme elles veulent et peuvent donc opter pour des masques chinois moins chers. Dans les administrations, Bercy pousse pour privilégier les masques français. Mais il s’agit de marchés publics, donc impossible d'en interdire l'accès aux fabricants étrangers. Pour limiter les importations, les collectivités locales, les écoles et les hôpitaux sont incités à intégrer des critères sociaux et environnementaux à leurs appels d'offres, de façon à mettre les entreprises françaises en bonne position.
En parallèle, l’État a supervisé la production de "meltblown", la matière première filtrante des masques, faite à partir de plastique. La France était jusqu’ici dépendante de l’Asie pour cet approvisionnement stratégique. "Une dizaine de projets industriels ont été retenus pour relocaliser la filière", indique-t-on à Bercy. Ils seront subventionnés à hauteur de 30% de leurs investissements, un geste financier qui vise à s'assurer que le coût de fabrication des masques ne s'envole pas en cas de nouvelle crise sanitaire. Une centaine d'emplois seront créés grâce à ces projets.
Les entreprises textiles abandonnent les masques en tissu
Dernier aspect de la production française : les masques en tissu. De nombreuses entreprises s'étaient lancées l’an dernier, à l'appel du ministère de l'Économie, en ajoutant une ligne de production dédiée dans leurs ateliers. Un élan qui est en train de retomber. Beaucoup d'entreprises sont en train de laisser tomber, comme la marque de sous-vêtements Eminence. "Nous avons arrêté de produire des masques en février, faute de commandes", explique Dominique Seau, le président. "Nous avons bouclé une dernière commande d'un million de masques pour le département de l'Hérault et maintenant il ne nous reste que nos stocks."
"Quelques entreprises ont continué. Il y a encore des appels d'offre et certaines s'y retrouvent", complète Yves Dubief, président de l'Union des industries textiles. Mais les masques en tissu made in France sont trop chers par rapport à ce que demandent les entreprises et les administrations. "C'est de plus en plus difficile de les vendre à un prix correct donc ça n'incite pas à en produire. Le point positif c'est que ça a permis de démontrer l'agilité des entreprises textiles françaises et de sauver partiellement leur activité affectée par le Covid." S'ils ne sont pas toujours produits en France, plusieurs marques continuent de vendre des masques en tissu, devenus en un an des accessoires de mode.