A écouter aussi pour réviser le Bac ou le Brevet] "Au Cœur de l’Histoire" vous emmène à la découverte du mystérieux : Grigori Raspoutine. Virginie Girod vous raconte son récit et comment l’histoire de ce guérisseur s’est entremêlée avec celle de la Russie. Pour les uns, Raspoutine est encore un saint qui a prédit tous les maux de son pays à partir des révolutions bolcheviques de 1917. Pour les autres, il est un débauché et un manipulateur qui a précipité la Russie dans la crise. Originaire de Sibérie, fils de paysan, ce guérisseur ou plutôt maître spirituel charismatique comme il l’aime à se définir est très proche des derniers tsars de Russie, les Romanov. Alors qu’il quitte la Sibérie en 1904, il commence à se faire un nom dans la haute société russe. Maitre spirituel, chamane, Raspoutine est demandé par tous, dans les cercles influents de Saint Pétersbourg. Une réputation qui l’amène jusque devant les portes de la résidence du tsar. “Au cœur de l’Histoire” est une production Europe 1 Studio.
"Au Cœur de l'Histoire" s'adresse aux passionnés d'histoire mais aussi à ceux qui cherchent à apprendre l'Histoire facilement. Que vous souhaitiez renforcer votre culture générale, ou réviser une leçon d'histoire vue en cours sans passer par les manuels scolaires, ce podcast est fait pour vous.
Sujets abordés : Russie – Tsar - Guérisseur - Mystère- Sibérie - Romanov - Révolution bolchéviques- Aristocratie – Empire
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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio.
Ecriture et présentation : Virginie Girod
- Production : Europe 1 Studio
- Direction artistique : Adèle Humbert et Julien Tharaud
- Réalisation : Clément Ibrahim
- Musique originale : Julien Tharaud
- Musiques additionnelles : Julien Tharaud et Sébastien Guidis
- Communication : Kelly Decroix
- Diffusion et rédaction : Romain Vintillas
- Visuel : Sidonie Mangin
Nous sommes à Saint-Pétersbourg, la capitale de la Russie impériale en 1905. Le tsar Nicolas II a enfin rencontré le guérisseur dont toute la ville lui rebat les oreilles : Grigori Raspoutine. Comme tout le monde, le tsar est subjugué par cet homme au regard perçant. Le Sibérien n’a rien à faire de l’étiquette. Il a osé tutoyer l’empereur et il l’a appelé « Batiouchka », petit père. Cette simplicité est presque rassurante pour un tsar qui ne se sent pas à l’aise dans ses fonctions.
Peu après, Nicolas II introduit cet « homme de Dieu » auprès de sa femme, la tsarine Alexandra Feodorovna. Elle ne sait plus quoi faire pour soulager son fils, le tsarévitch Alexis. L’héritier du trône de Russie est encore un petit enfant / et il souffre d’une forme grave d’hémophilie, une maladie du sang qui empêche la cicatrisation et provoque des hémorragies internes. Cette maladie est un secret d’État qui ronge la tsarine. Elle se sent responsable.
Raspoutine s’assoit auprès de l’enfant. D’un geste de la main, il balaye tous les médicaments laissés sur la table de nuit par les médecins puis il commence à prier en caressant le tsarévitch. Et le miracle se produit…
Une enfance en Sibérie
Grigori Raspoutine voit le jour entre la fin des années 1860 et le début des années 1870, à Pokrovskoïe, un petit village de Sibérie, situé à 2500km de Saint-Pétersbourg. Ses parents sont de pauvres paysans, des moujiks. Cela fait seulement quelques années que le servage a été aboli en Russie : le système agricole du pays était encore proche de celui de l’Europe occidentale durant le Haut Moyen-âge. Les paysans étaient des serfs, un statut à peine supérieur à celui des esclaves. Ils étaient attachés à la terre de leurs maîtres, des aristocrates, et ne possédaient rien eux-mêmes.
Grigori Raspoutine est né juste après l’abolition du servage, mais les serfs devenus moujiks ne sont pas plus riches pour autant. Ils travaillent sur les terres de leurs anciens maîtres et sur leurs propres deniers. La redistribution des terres a été inéquitable, pour ne pas trop bouleverser un ordre social séculaire ; la noblesse russe s’est longtemps opposée à toutes les réformes agraires qui auraient pu mettre en péril leurs privilèges.
Alors que Grigori a environ 8 ans, un hiver, il joue au bord d’une rivière glacée. Soudain, la glace se brise. Il tombe à l’eau. Son frère Andrei se jette à son tour dans la rivière pour le sauver. L’eau est si froide qu’elle le paralyse. Il coule et meurt noyé…
Grigori, lui, est parvenu à remonter sur la berge. L’eau ne l’a pas tué mais il contracte une grave pneumonie dans les jours qui suivent le drame. La fièvre le fait délirer. Il est sûr de voir apparaître une belle dame qui veille sur lui, juste à côté de son lit.
À cette époque, les habitants de la Russie sont orthodoxes et très pieux. Les icônes religieuses sur fond doré sont omniprésentes dans les lieux de culte et dans les maisons. Selon le pope du village, le petit Gricha a eu la chance d’avoir une apparition de la Vierge Marie.
Raspoutine, guérisseur et devin
Raspoutine finit par guérir. Il devient un grand gaillard solide, très pieux, et qui semble plein d’empathie pour le monde qui l’entoure. Il a l’art de rassurer les chevaux apeurés en leur parlant doucement. Les gens du village commencent à lui prêter des pouvoir de guérisseur. À 16 ans, Grigori est convaincu que la Vierge lui apparaît encore. Il pense avoir un lien privilégié avec Dieu. Alors, ce petit moujik qui sait à peine lire et écrire, se met à étudier la Bible. Il en connaît bientôt chaque ligne. Mais ce n’est pas assez. Il commence à faire des pèlerinages dans des monastères et rencontre des « starets », des ermites considérés comme des guérisseurs et des maîtres spirituels.
Après un mariage avec une jeune femme de sa région, Grigori quitte de plus en plus souvent sa demeure familiale pour de nouveaux pèlerinages. Il parcourt à pied les 3000 kilomètres qui le séparent du monastère du Mont Athos, en Grèce. Après un temps dans ce lieu saint, il revient en Russie. Sur son chemin, il vit de la charité des croyants et des services qu’il leur rend. Des services spirituels bien sûr. Grigori Raspoutine sait écouter les gens. Il comprend la nature de leurs failles et sait mieux que personne rassurer et conseiller son interlocuteur.
Par ses prières ou l’apposition de ses mains, il soulage aussi les moribonds.
À ces talents rares, s’ajouterait celui de la divination. En 1903, lors d’une transe en public, il aurait prédit la venue au monde d’un héritier pour le tsar Nicolas II qui est déjà père de 4 filles. Et l’année suivante, la tsarine met au monde le tsarévitch Alexis.
Son entrée dans la haute société
Cette année-là, en 1904, Raspoutine a environ 35 ans. Il visite pour la première fois Saint-Pétersbourg, la capitale de l’empire russe. Il n’a jamais vu autant de faste et de luxe. Le Palais d’hiver, la demeure des Tsars, est un magnifique édifice blanc et vert rehaussé d’or, construit au bord de la Neva. La ville regorge d’hôtels particuliers où vivent les aristocrates. Leur existence est rythmée par des fêtes somptueuses. Les plus ambitieux ont fait de l’intrigue un sport national, pour exercer leur influence sur le tsar. Aucun de ces gens ne comprend ce qu’endure le peuple russe, la misère des campagnes et la détresse de la nouvelle classe ouvrière attirée dans les villes par la révolution industrielle tardive de la Russie.
Comme il est considéré comme un guérisseur par nombre de dames de la haute société, Raspoutine est introduit dans le grand monde. Le guérisseur devin fait forte impression dans l’aristocratie, où le spiritisme et la passion de l’occulte sont à la mode. Quand Raspoutine entre dans une pièce, tout le monde s’arrête pour le regarder. Le Sibérien est vêtu de vêtements modestes et sombres. Il est grand, robuste et très charismatique. Il a des cheveux bruns et longs plaqués sur le crâne et séparés par une raie médiane. Sa barbe très fournie arrive au milieu de sa poitrine. Et surtout, il y a ses yeux clairs et pénétrants qui semblent traverser la personne qu’il regarde.
Raspoutine prend goût à la vie mondaine, mais il a souvent besoin de se ressourcer en rentrant en Sibérie auprès de sa femme et de ses enfants. Il n’a pas encore rencontré le tsar en personne…
Un couple impérial fragile face à un monde en crise
À 37 ans, l’empereur Nicolas II issu de la ligné des Romanov est grand, mince, avec une barbe châtain bien taillée et des yeux clairs. Il est arrivé au pouvoir à 26 ans, après la mort de son père Alexandre III en 1894. Il a été élevé à la dure, il savait qu’il dirigerait la grande Russie un jour… mais il n’est pas fait pour ça, et il le sait.
A peine au pouvoir, il écrit qu’il ignore comment gouverner et qu’il ne sait même pas comment s’adresser à un ministre. Il sait seulement qu’il est un monarque de droit divin : Dieu a voulu qu’il soit à cette place et les choses ne peuvent pas être différentes. Alors il fait ce qu’il peut et continue la politique de son père entre conservatisme et modernisation économique du pays.
Nicolas est un homme au caractère doux et indécis. Ce sont des défauts pour un homme qui jouit du statut politique d’autocrate.
Nicolas II n’est bien qu’avec sa famille, en privé. S’il pouvait, il mènerait une vie bourgeoise, loin des responsabilités de son rang. Il est très amoureux de sa femme, la princesse allemande Alix de Hesse-Darmstadt. La jolie blonde s’est convertie à la religion orthodoxe et a pris le nom d’Alexandra Feodorovna en devenant russe.
Cette femme psychologiquement fragile n’est pas plus à l’aise à la cour que son mari. Elle déteste la compagnie des courtisans russes, qu’elle trouve dissolus. Et puis elle a longtemps souffert de n’avoir eu que des filles : les grandes-duchesses Olga, Tatiana, Maria et Anastasia. Son rôle d’impératrice est de donner des héritiers à la couronne.
Elle y parvient enfin en 1904 quand, après 10 ans de mariage, elle accouche du petit Alexis. Mais elle a transmis une maladie génétique à son garçon. Il est hémophile. Cette pathologie est un secret d’État, un secret lourd à porter pour une femme qui a désespérément besoin de soutien psychologique.
Alors que l’année 1905 commence, nous avons donc un couple fragile au pouvoir face à un monde en crise. Le tsar et la tsarine vivent la majeure partie du temps dans un palais hors de la capitale. C’est leur cocon néo-classique nommé Tsarkoïe Selo. Ils ne comprennent rien aux mutations économiques et sociales qui agitent la Russie. Pour eux, le pays est peuplé de bons moujiks, pleins de déférence à leur égard. Ils ne voient pas surgir les premiers soviets, des comités de prolétaires qui vont bientôt devenir des contre-pouvoirs.
L'erreur du "Dimanche rouge"
Les manifestations du dimanche 22 janvier 1905 sont un choc pour eux. 200 000 ouvriers des usines alentours sont en grève. Ces ouvriers manifestent pour de meilleures conditions de travail, la fin de la censure, la meilleure répartition des terres agricoles et la libération de leurs leaders politiques emprisonnés.
Ce dimanche, entre 50 000 et 100 000 d’entre eux se rendent sur l’esplanade devant le Palais d’Hiver pour faire part de leurs doléances au tsar. La manifestation est pacifique. Il y a des femmes et des enfants. Mais Nicolas II interprète sans doute mal la situation. Il faut dire qu’il n’est pas au Palais d’hiver mais à Tsarkoïe Selo. Il ne voit donc pas ce qui se passe. Il croit avoir affaire à une révolte : il ordonne à l’armée d’intervenir. Les tirs fusent dans la foulent sans défense. Les chiffres ne sont pas fiables, mais on dénombre entre 100 et 2000 morts parmi les manifestants et des centaines de blessés.
Le « dimanche rouge » est une erreur politique qui va longtemps marquer les mémoires.
La rencontre de Raspoutine et de la famille impériale
Grigori Raspoutine revient à Saint-Pétersbourg peu après ce drame. C’est dans ce contexte troublé qu’il est introduit auprès du tsar. Nicolas II est impressionné par ce moujik qu’on lui présente comme un homme de Dieu et un guérisseur. Peut-être qu’il le voit comme un lien entre le peuple et lui.
Peu après, Raspoutine est admis dans l’intimité de la famille impériale. Il devient vite le confident de la tsarine qui lui écrit des lettres de dévotion. Elle l’appelle « son maître » et lui explique combien elle est apaisée quand il est auprès de lui.
Mais surtout, Raspoutine soulage les douleurs d’Alexis. Dès que le tsarévitch fait une chute ou subit le moindre choc, il fait des hémorragies internes qui sont aussi douloureuses que dangereuses.
La première fois que Raspoutine est admis au chevet de l’enfant, il prie pour lui. Et surtout, il jette les remèdes prescrits par les médecins. Les historiens pensent que le starets a empêché le tsarévitch de prendre de l’aspirine. Or l’aspirine est aussi un anticoagulant, qui fluidifie le sang : un véritable poison pour un hémophile. C’est sans doute ainsi que Raspoutine a pu réduire les douleurs de l’enfant.
Alexandra Feodorovna est sous le charme. Elle vient de trouver en Raspoutine la personne capable d’apaiser ses angoisses. Elle l’installe dans un bel appartement de Saint-Pétersbourg pour le garder auprès d’elle. Raspoutine est sans doute grisé par cette ascension sociale inattendue. Il ne sait pas que la faveur de la famille impériale lui vaut déjà de nombreux ennemis…
Pour découvrir la suite de ce récit consacré à Raspoutine, rendez-vous sur l'épisode 2 de la série.