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SAISON 2022 - 2023, modifié à

[A écouter aussi pour réviser le Bac ou le Brevet] Écoutez la suite de l’histoire consacrée à Grigori Raspoutine, racontée dans un épisode inédit en deux parties par Virginie Girod. Aventurier, guérisseur, pèlerin itinérant, incarnation du Diable ? Raspoutine, c’est sans doute tout cela à la fois. Après une enfance très pieuse, Raspoutine se rapproche de Saint-Pétersbourg. Désormais reconnu, il se produit alors dans la capitale de la Russie ou au Palais impérial, la résidence principale du tsar. Le jeune Sibérien est devenu un starets : un guérisseur capable de voir l’avenir. “Au Cœur de l’Histoire” est une production Europe 1 Studio.

Sujets abordés : Russie – Tsar - Guérisseur - Mystère- Sibérie - Romanov - Révolution bolchéviques- Aristocratie – Empire  

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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio. 

Ecriture et présentation : Virginie Girod 

- Production : Europe 1 Studio

- Direction artistique : Adèle Humbert et Julien Tharaud 

- Réalisation : Clément Ibrahim 

- Musique originale : Julien Tharaud 

- Musiques additionnelles : Julien Tharaud et Sébastien Guidis 

- Communication : Kelly Decroix 

- Diffusion et rédaction : Romain Vintillas

- Visuel : Sidonie Mangin

À la fin des années 1900, Raspoutine s’est imposé comme un guérisseur incontournable à Saint-Pétersbourg. Les femmes de l’aristocratie lui tournent toutes autour. Elles s’arrachent les chemises en soie offertes par la tsarine. Pour elles, le tissu imbibé de la sueur du saint homme a la valeur d’une relique.

Raspoutine, le bouc-émissaire

On raconte encore que le starets est membre de plusieurs sectes obscures où on pratique des orgies. Le devin proclamerait qu’il faut beaucoup pécher pour se rapprocher de Dieu alors il pèche volontiers avec les aristocrates de Saint-Pétersbourg. Les caricatures se multiplient. Raspoutine devient un satyre sous les traits de crayon de ses ennemis.

Les aristocrates, jaloux de la proximité de Raspoutine avec la famille impériale, ont tout à gagner à faire de lui un débauché. C’est une manière détournée de s’attaquer à Nicolas II et à sa femme. On ne peut pas critiquer ouvertement le souverain dans un régime autocratique de droit divin. La haine s’abat donc sur le bouc émissaire.

Malgré la violence des rumeurs, une cour s’est agrégée autour de Raspoutine. Sur certaines photos, on peut le voir entouré de femmes de l’aristocratie. Il est leur devin, leur guérisseur mais si on prend un peu de recul, il est surtout leur psychologue.

Il écoute ces femmes rongées par l’ennui qui fantasment en lisant Anna Karénine, la Madame Bovary russe. Quand elles vont mal, il leur caresse l’avant-bras de la même manière que, plus jeune, il flattait l’encolure des chevaux pour les calmer. Dans le monde froid et codifié de la haute société, ce geste affectueux est souvent mal interprété.

Comme il est proche du tsar, Raspoutine est aussi courtisé par les opportunistes de tout poil. Des archives attestent de sa présence dans les grands restaurants de la capitale. Il dîne avec des banquiers et des hommes d’affaires qui espèrent pouvoir toucher le tsar à travers lui.

Le début de la guerre

En 1914, le guérisseur sent venir la guerre. La profondeur des crises politique et sociale ne laisse aucun doute sur les drames à venir pour les observateurs lucides. Dans une lettre, Raspoutine prévient le tsar : il prédit une tempête sur la Russie, des malheurs tout proches, une mer de larmes et de sang… Nicolas II doit protéger son peuple.

Or, le tsar prend très mal les propos de Raspoutine. Pour lui, le guérisseur se permet une intolérable ingérence. Il n’est qu’un moujik, dans le fond. De quel droit un paysan, même s’il est un homme de Dieu, se permet-il de dire au tsar ce qu’il doit faire ?

A partir de là, même si la tsarine continue à le convoquer régulièrement pour soulager Alexis, Nicolas II prend ses distances avec Raspoutine.

En juin 1914, l’attentat de Sarajevo marque le début de la première guerre mondiale. Par le jeu des alliances, toute l’Europe finit par entrer en guerre. Nicolas II n’avait pas très envie de s’y engager mais par sécurité, sur les conseils des va-t-en-guerre qui l’entourent, il fait placer des troupes à la frontière allemande.

Son cousin Guillaume II, l’empereur allemand, interprète ce geste comme une déclaration de guerre. C’est donc l’Allemagne qui déclare la guerre à la Russie. Nous sommes en août 1914.

L’année suivante, le tsar installe son Quartier Général sur le front de l’ouest et laisse le gouvernement entre les mains de la tsarine.

Le conseiller de l'ombre

Alexandra est incapable de diriger le pays. Elle fait de son mieux. Elle se montre dans les hôpitaux militaires et pousse ses deux filles aînées à s’engager comme infirmières. Mais elle ne sait pas comment on gère un gouvernement et comment dialoguer avec la Douma, le parlement du pays. En plus, Alexandra est Allemande… rien ne garantit – aux yeux de l’opinion - qu’elle ne trahira pas la patrie de son mari.

Elle s’en remet donc à Raspoutine. Le starets devient son conseiller de l’ombre. Il catalyse la haine des jaloux et de ceux qui veulent voir la fin des Romanov.

D’une part, les princes russes, comme Felix Ioussoupov, un cousin de la famille impériale, verraient bien leur lignée à la tête du pays. Et d’autre part, le marxisme qui a infusé la classe ouvrière est le terreau fertile du bolchevisme, un courant politique à l’origine du communisme russe. C’est désormais la dynastie des Romanov qui est menacée.

En 1916, Nicolas II sait ses troupes épuisées. Il rêve de la fin de la guerre. On dit même qu’il commencerait à songer à la signature de la paix avec l’Allemagne sans l’accord préalable des Alliés. Les Anglais ne sont pas d’accord. S’ils ne sont plus attaqués à l’est, les Allemands vont pouvoir mobiliser 400 000 hommes en plus sur le front ouest, contre les Anglais donc.

Les Russes les plus patriotes ne sont pas d’accord non plus. Ils refusent de s’incliner face à l’Allemagne.

Dans les salons feutrés de Saint-Pétersbourg, des espions anglais et quelques aristocrates russes réfléchissent à un plan pour faire échouer les projets de Nicolas II. Pour y parvenir, ils envisagent de s’attaquer à l’homme qui – selon eux – est le plus influent de l’empire.

La mort de Raspoutine

L’hiver 1916 est particulièrement froid. La Neva est glacée. La ville est couverte d’un manteau blanc. Mais ce n’est pas la température polaire qui glace l’âme de Grigori Raspoutine. Il a l’intuition qu’il aura déjà quitté ce monde quand l’année 1917 commencera. D’ailleurs, il l’écrit au Tsar : s’il est assassiné par des membres de la famille impériale, Nicolas II lui-même connaîtra une fin terrible. La révolution va bouleverser le pays, le peuple souffrira…

Raspoutine voit-il l’avenir ou sent-il l’air du temps avec une lucidité étonnante ?

Le 16 décembre 1916, Raspoutine est invité par le prince Félix Ioussoupov à prendre le thé, tard dans la soirée. Le jeune et beau prince blond a l’air de sortir d’un conte de fées. On lui donnerait le bon dieu sans confession. Et il veut seulement présenter le guérisseur à son épouse, la grande-duchesse Irina.

Félix vient chercher lui-même Raspoutine chez lui et l’emmène dans son hôtel particulier. Derrière la façade simple de sa demeure, sa cache un palais où les ors rutilent. Ce qui se passe ensuite est sujet à caution.

Raspoutine est manifestement drogué, attaché et torturé par Félix Ioussoupov et ses complices. Parmi ceux-ci, il y aurait son amant, le grand-duc Dimitri Pavlovitch et son ami anglais, Oswald Rayner, un agent du renseignement du MI6. Mais tout cela est assez incertain. La teneur exacte des échanges entre les conjurés et Raspoutine reste inconnue. À un moment, l’un d’eux tire une balle dans la tête de Raspoutine à bout touchant en plein milieu du front. Deux autres balles lui sont tirées dans le corps.

Les conjurés chargent ensuite le cadavre du guérisseur dans une voiture et gagnent un pont à la sortie du centre-ville. L’eau n’est pas tout à fait gelée au niveau des piles du pont. C’est là que les meurtriers jettent le cadavre pour qu’il soit emporté dans la Baltique à quelques kilomètres de là.

Mais rien ne se passe comme prévu. Le cadavre ressurgit quelques jours plus tard sur les berges de la Neva ; un cadavre congelé qui conserve les marques bien visibles de son supplice.

Quand elle apprend la mort de son starets, la tsarine s’écroule littéralement. Elle demande à ce que Raspoutine soit inhumé dans le parc de Tsarkoïe Selo.  De son côté, l’agent anglais Oswald Rayner quitte la Russie en urgence. Le prince Félix Youssoupov, quant à lui, est exilé sur ses terres, loin de Saint-Pétersbourg. Dimitri Pavlovitch quant à lui, est envoyé sur le front Perse.

Le plus troublant… ou le plus logique aux vu de la situation géopolitique, est de voir les prophéties de Raspoutine s’accomplir.

Le massacre de la famille impériale

En février 1917, le froid est intense. Le peuple a faim, l’armée souffre, des grèves éclatent dans les usines russes. Les manifestations, de plus en plus violentes, mues par l’idéologie bolchevique, réclament la fin de l’autocratie. L’armée est envoyée mater les révoltés. Mais une grande partie des soldats passe du côté du peuple. L’État-Major ne contrôle plus rien et pousse Nicolas II à abdiquer. L’empereur renonce au pouvoir en mars 1917. C’est la fin du tsarisme. Le soviétisme s’impose. Dans la rue, le chaos est partout.

Les gouvernements provisoires se succèdent. Pendant quelques temps, les Bolchevicks rouges affrontent les Russes blancs, les derniers partisans du tsarisme. Finalement vaincus, une bonne partie d’entre eux s’exileront à Paris.

Sur ces entrefaites, la famille impériale est placée en détention, d’abord à Tsarkoïe Selo puis à Tobolsk en Sibérie et enfin à Ekaterinbourg, dans l’Oural, une région aux mains des bolchevicks les plus acharnés. Le 17 juillet 1918, Nicolas, Alexandra et leurs cinq enfants sont réunis dans le salon de la maison où ils sont séquestrés. Ils sont ensuite sauvagement assassinés. La dynastie des Romanov s’éteint dans un bain de sang.

De son côté, le gouvernement provisoire continue à se méfier de l’aura de Raspoutine, que beaucoup de Russes considèrent encore comme un saint homme. Sa tombe est profanée, son corps brûlé et ses cendres dispersées.

Les confessions du prince Ioussoupov

Reclus dans la campagne, le prince Ioussoupov survit à la révolution. En 1919, il est exfiltré de son pays par la Royal Navy. Il vivra jusqu’en 1967 entre l’Angleterre et la France. C’est lui qui a continué à forger la légende noire de Raspoutine. Dans un livre intitulé La fin de Raspoutine publié dans les années 1920, il livre sa vision aussi personnelle que romancée de la mort du mystique de Sibérie. Il en fait un être satanique. Il raconte par le menu le complot qu’il a fomenté pour sauver la Russie de son influence néfaste.

Il explique avoir reçu, dans la nuit du 16 au 17 décembre 1916, le starest dans son hôtel particulier et lui avoir offert, alors qu’ils prenaient le thé ensemble, des biscuits au cyanure. À sa grande surprise, ce poison neurotoxique n’aurait eu aucun effet sur le mystique. Après une bagarre, Raspoutine se serait enfui et aurait été abattu dans la cour de la demeure Ioussoupov. Une version d’un meurtre que les rapports de police et de médecine légale de l’époque ne corroborent pas. Mais ce récit contribue à faire de Raspoutine l’éminence noire du tsar. Et il n’y a plus personne pour contredire Ioussoupov qui se rêve en héros des Russes blancs.

En Russie, il existe encore des gens qui considèrent Raspoutine comme un saint. Dans la cour de l’ancien hôtel particulier des Ioussoupov, à Saint-Pétersbourg, il y a toujours un bouquet de roses fraîches. Cette tradition perdure encore aujourd’hui. Ce sont les émules de Raspoutine qui viennent fleurir le lieu où il serait mort…