L’INTEGRALE - Napoléon et Joséphine

Ses invités : 

• Bernard Chevallier, Conservateur Général Honoraire du Patrimoine, Président du Comité Scientifique du Jubilé Impérial.
• Amaury Lefébure, Conservateur Général du Patrimoine, Directeur du Musée National des Châteaux de Malmaison et Bois-Préau
• Charles Napoléon, Président de la Fédération Européenne des Cités Napoléoniennes, Ambassadeur du Jubilé Impérial

Le récit intégral est disponible sur YouTube.

Le récit

Nous sommes le 25 décembre 1809. Dans le parc de Versailles, le Grand Trianon se tient sous la pluie froide. Cela fait une semaine que Napoléon s’est installé dans l’ancien appartement de Madame de Pompadour. Il passe ses journées dans le Salon des Sources à fixer le feu dans l’âtre, à regarder les flammes qui dansent.

Soudain, on entend un peu d’agitation, des berlines qui remontent l’avenue du Trianon. C’est l’impératrice Joséphine qui arrive de la Malmaison avec quelques familiers pour le repas de Noël. Elle a avec elle les enfants qu’elle a eus de son premier mariage : Eugène de Beauharnais, vice-roi d’Italie, et la reine Hortense.

Napoléon les accueille et Joséphine sourit. Elle a toujours cet air d’aisance qu’elle promène partout avec elle. En vérité, elle donne le change car à ce moment-là, son cœur n’est que douleur et amertume. L’empereur et Joséphine viennent de divorcer…

Pour comprendre la mesure de cet événement et l’importance extraordinaire qu’a pu occuper Joséphine dans la vie de Napoléon, il faut revenir sur un certain nombre d’éléments essentiels.

Une union pas comme les autres

Lorsque Joséphine rencontre Napoléon en 1795, elle a six ans de plus que lui et c’est une rescapée de la Terreur. Son mari, le vicomte de Beauharnais, n’a pas eu la même chance et a été exécuté le 23 juillet 1794, quelques jours avant la chute de Robespierre. Napoléon épouse Joséphine en 1796.

Joséphine a déjà deux enfants de son premier mariage, Eugène et Hortense, mais elle ne parvient pas à en donner à Napoléon. C’est là tout le problème. Car à partir de 1804, c’est la question de l’avenir d’une dynastie impériale. Elle avait beau soutenir son mari et suivre sa carrière, elle n’était plus en mesure d’assurer la continuité dynastique.

Le mariage religieux de Napoléon et Joséphine avait eu lieu le 1er décembre 1804, dans des conditions assez extraordinaires. Le Pape était à Paris pour le sacre qui devait avoir lieu le lendemain et les deux époux s’étaient épousés religieusement la veille de l’événement.

Les vieux fidèles disaient que l’impératrice portait chance à Napoléon et que si elle s’en allait, rien ne serait plus comme avant. Comment Napoléon en est-il venu à prendre cette décision, à franchir le pas, à répudier Joséphine, à qui il portait tant d'amour ?

La grossesse de Marie Walewska

En 1807, nous sommes dans une période faste du règne, c’est le moment de la gloire de Tilsit et Napoléon rentre à Saint-Cloud dans un étrange état d’esprit. Eléonore Denuelle vient de lui donner un fils, le futur comte Léon. A ce moment, l’empereur est aussi amoureux de Marie Walewska, une ravissante polonaise. Le fils de son frère Louis, le petit Napoléon, est mort, et le deuxième fils de la reine Hortense est malade. L’incertitude pèse sur la continuité dynastique.

Inquiet, Napoléon parle à Joséphine de la possible nécessité, un jour, de prendre une femme qui lui donnerait des enfants. Pour l’impératrice, c’est une épée de Damoclès qui va désormais constamment planer au-dessus de sa tête.

A l’automne 1807, à Fontainebleau, l’ennui s’empare de la cour. On voit Joséphine trembler devant l’arrivée d’une rivale, Carlotta Gazzani, qu’elle avait dans un premier temps interdit de salon avant de l’adopter peu à peu, pour faire contre-feu à Marie Walewska, dont on sentait chaque jour monter la faveur.

En octobre, Fouché lui-même vient voir Joséphine pour lui demander si elle est consciente de la situation dans laquelle elle place l’Empire, et l’enjoindre de faire elle-même la démarche de demander le divorce. « Un excès de zèle », selon Napoléon, qui n’est pas allé jusqu’à désavouer Fouché, ou en tout cas le renvoyer. Plus tard, à Sainte-Hélène, il dira : 

" « Je l’eusse renvoyé sur-le-champ pour s’être mêlé de ce qui se passait dans mon lit, si cela n’eut paru vouloir rejeter une opinion qu’il m’importait plutôt d’accréditer » "

.

Là est le fond de l’histoire. Au fond de lui-même, Napoléon veut qu’on comprenne qu’il a besoin d’un descendant, qu’il a besoin d’inscrire sa dynastie dans la durée. Dans la mesure où Joséphine ne peut pas lui donner d’enfant, elle devient un obstacle à la continuité dynastique. Dans toute la France, dans tout l’Empire, on ne parle déjà plus que de cela.

Napoléon vacille

Lorsqu’il rentre d’Italie le 1er janvier 1808, Napoléon se montre curieusement un peu mieux disposé. Il va rendre une visite au peintre Jacques-Louis David, qui est en train de mettre la dernière main à son tableau sur le couronnement de l’impératrice, commencé quatre ans plus tôt. Joséphine n’en est pas moins inquiète, très inquiète. Elle est constamment plus ou moins malade et de son côté, Joachim Murat, prince de Naples et mari de Caroline Bonaparte, travaille son impérial beau-frère en faveur d’un divorce.

Napoléon vacille finalement en avril 1808, en voyant Hortense de Beauharnais enceinte (elle ne le sait pas encore, mais elle porte le petit Louis Napoléon, futur Napoléon III). Il dit à sa belle-fille : « Cela me fait mal de vous voir ainsi. Que j’aimerais votre mère si elle était dans cet état ». Joséphine, de son côté, s’applique à maintenir son train de vie habituel. Quand l’empereur passe la nuit chez elle, elle essaie de faire comme si de rien n’était.

En septembre 1809, l’empereur Napoléon apprend que Marie Walewska est enceinte et que la naissance est prévue pour mai 1810. Cette fois, il en est sûr, c’est bien Joséphine qui est devenue stérile. Elle a bien eu des enfants de son premier mariage mais elle ne pourra pas lui en donner. La grossesse de Marie Walewska lève les derniers doutes de Napoléon sur sa capacité à procréer.

« Dieu m’est témoin que je l’aime plus que ma vie, et plus que ce trône », écrit Joséphine. C’est pour elle un moment extrêmement dur. Pour Napoléon aussi. Lui aussi l’aime, probablement plus que son trône également, mais il y a là un devoir d’Etat.

En octobre 1809, Napoléon fait savoir à Joséphine qu’il sera à Fontainebleau du 26 au 28 octobre. L’impératrice se met en route et arrive de nuit, à 6h. Napoléon, qui avait l’habitude de s’avancer et d’aller au-devant de son épouse, attend cette fois dans la bibliothèque. Il lui reproche de n’être pas arrivée assez vite. Elle veut s’excuser, mais elle sent à ce moment les larmes lui monter aux yeux. Sa gorge se serre. Elle en est certaine, Napoléon a pris sa décision. Reste à savoir quand il va lui annoncer la nouvelle.

L'annonce du divorce entre Napoléon et Joséphine

Les jours passent, dans un état de tension extrême. La nouvelle tant redoutée arrive le soir du jeudi 30 novembre. Le souper est silencieux, l’atmosphère est très lourde. Joséphine a pleuré toute la nuit et on n’entend rien que le bruit uniforme des assiettes apportées et rapportées, tristement varié par la voix monotone des officiers de bouche. Napoléon ne pose aucune question au cours de ce dîner. Il s’isole finalement avec Joséphine et lui explique :

" « La raison d’état et la consolidation de ma dynastie veulent que j’aie des enfants. Tu as les tiens mais quand je t’ai épousée, tu n’étais plus capable d’en faire. Il n’est point juste que tu me prives de ce que désirent tous les hommes » "

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Joséphine ne peut répondre à travers les larmes qui inondent ses joues. Il prétend souffrir davantage : « Puisque c’est moi qui afflige, il est bien normal que je souffre davantage ». « Tu ne le feras pas », répond Joséphine, « Tu ne voudras pas me faire mourir ». L’empereur ne se laisse pas attendrir : « Ne cherche pas à m’émouvoir. Je t’aime toujours mais la politique n’a pas de cœur, elle n’a que de la tête. Je te donnerai 5 millions par an, une principauté dont Rome sera le chef-lieu ». Joséphine sanglote : « Non, je te supplie de me laisser en France, pas trop loin de toi ».

Le divorce est enclenché. Joséphine est complètement bouleversée mais l’empereur l’est probablement encore plus. « Le divorce est devenu un devoir rigoureux pour moi. Je la plains de toute mon âme. Je lui croyais plus de caractère et je n’étais pas préparé aux éclats de sa douleur », dit-il.

Le 15 décembre 1809, on emporte des Tuileries les malles de Joséphine. Il y a soudain un silence dans la cour des Tuileries et l’on voit l’impératrice qui apparaît, le visage dissimulé sous un voile, au bras de Mme d’Arenberg. Elle est suivie par sa fille Hortense et on la voit monter dans une autre voiture chargée de dorures. Cette voiture s’appelle l’Opale, les stores ont été baissés, le fouet claque. Le carrosse s’éloigne, il va regagner la Malmaison.

Le Noël le plus triste

Dès le moment où Joséphine quitte les Tuileries sous une pluie battante, Napoléon ne songe plus qu’à une chose, c’est de la revoir, malgré leur divorce. Il lui écrit plusieurs fois par jour et lui envoie des messagers constamment. Il refuse aussi de rester aux Tuileries ou d’aller à Saint-Cloud, résidence qui lui rappelle trop de souvenirs. Il choisit donc de s’installer au Trianon, demeure neutre.

Il écrit à Joséphine :

" « On me dit que tu n’as plus de courage depuis que tu es à la Malmaison. Ce lieu est pourtant tout plein de nos sentiments, qui ne peuvent ni ne doivent changer, du moins de mon côté. J’ai bien envie de te voir mais il faut que je sois sûr que tu es forte et non faible. Je le suis aussi un peu et cela me fait un mal affreux » "

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Au Trianon, ses sœurs Caroline et Pauline se sont pourtant chargées d’essayer de le distraire. Elles se sont faites accompagner de la jeune et charmante Christine Mathis, une piémontaise au sein provocant et aux cheveux magnifiques. Pauline a préparé la demoiselle à ce qu’on attendait d’elle. Napoléon reste d’une humeur de chien. Il va chasser du côté de Marly mais en vérité, il n’aime pas la chasse.

Le 24 décembre, n’y tenant plus, il invite Joséphine pour le lendemain. Le repas de Noël ne sera pas un événement heureux, les souvenirs sont trop vivaces, la tristesse trop palpable.

Joséphine prend bientôt le chemin de la Normandie et du château de Navarre, près d’Evreux, dont l’empereur lui a fait don et qu’elle a entièrement redécoré. C’est surtout le travail de l’architecte Louis-Martin Berthault, qui s’est appliqué à respecter les souhaits de la duchesse de Navarre.

Une petite cour se forme autour de l’ancienne impératrice (qui a tout de même gardé son titre), qui est servie dans une maison de 150 domestiques. Le vernis est brillant mais la vie au château de Navarre est un peu ennuyeuse. On y mène une vie extrêmement réglée, même si Madame de Rémusat affirme que si l’on n’y cause guère, on ne s’ennuie jamais près de Joséphine.

Joséphine d’ailleurs, est de moins en moins tourmentée. Elle n’a plus les migraines qui la tenaillaient depuis maintenant des années, elle a simplement mal aux yeux et quand on s’en soucie, elle répond : « C’est d’avoir trop pleuré ». Elle se remet aussi à voyager. La fin de sa vie est à la fois assez triste et assez sereine.

Le 26 décembre 1809, au lendemain de Noël, on voit Napoléon regagner les Tuileries au bras de Christine Mathis. Il reviendra au Trianon six mois plus tard, le 28 juin 1810, cette fois au bras de la nouvelle impératrice Marie-Louise, fille de l’empereur d’Autriche et petite nièce de Marie-Antoinette.

La raison d’Etat l’a emporté dans cette affaire. De quoi lui faire oublier le plus triste Noël de son existence…