La “lady” Agatha Christie a renouvelé le roman policier du XXe siècle et a su imposer son talent dans le monde entier. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars raconte le parcours de la talentueuse romancière britannique.
Hercule Poirot, Miss Marple... Les personnages de “La reine du crime” ont marqué des générations de lecteurs. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars revient sur la vie et les œuvres haletantes de la romancière Agatha Christie.
Le lundi 6 décembre 1926, Agatha Christie fait la une de tous les journaux du Royaume-Uni. Mais ce n’est pas en raison de ses talents de romancière. Elle n’a publié que deux romans policiers qui en font un auteur à succès “La mystérieuse affaires de Styles” en 1920 et au printemps 1926 “Le meurtre de Roger Ackroyd”. Non, c’est beaucoup plus grave : Agatha Christie a disparu ! Le Royaume-Uni est en émoi, les Etats-Unis aussi. Le New-York Times écrit : “La romancière Agatha Christie disparaît de sa maison d’une étrange manière”. Deux jours plus tôt, le samedi matin, la police a retrouvé sa voiture, une superbe Morris Cowley, près de Guildford, dans le Surrey, à 30 km de son domicile, à mi-pente d’une colline. Le capot était enfoncé dans un taillis, au bord d’une profonde carrière de craie. Les freins étaient desserrés et les phares désormais éteints, faute de batterie chargée, sur la position “on”. Sur le siège arrière, un manteau de fourrure, une petite valise contenant des effets personnels dont deux paires de chaussures et un permis de conduire au nom d’Agatha Christie. Mais la romancière, elle, reste introuvable. S’agit-il d’un accident ? D’une tentative de suicide ? S’est-elle fourvoyée en cherchant son chemin dans la nuit ? Est-ce un coup de publicité de son éditeur pour augmenter ses ventes ? Une magistrale mise en scène pour tester l’intrigue de son nouveau livre ? Tom Roberts, un jeune policier de 21 ans, déclare que seuls les taillis dans lesquels s’est enfoncée la voiture l’ont empêchée de se fracasser dans la carrière.
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Agatha Christie a disparu !
Immédiatement, son mari, le colonel Archibald Christie, s’est rendu sur les lieux. Il partage l’avis du commissaire Kenward : il s’agit d’un accident. A cette période de l’année, la nuit tombe à 4 heures de l’après-midi et le brouillard est omniprésent. Les deux hommes estiment qu’après avoir abandonné sa voiture, la romancière a pu se perdre dans le noir, frigorifiée, et s’être noyée après avoir glissé dans l’un des nombreux étangs de la région. Une battue est immédiatement organisée. Les recherches se poursuivent le lendemain, dimanche. Une foule de curieux est accourue sur les lieux. La battue ne donne rien. Agatha Christie s’est volatilisée ! Le colonel Christie a amené Peter, le fox-terrier chéri de sa femme dans l’espoir qu’il renifle la piste de sa maîtresse. Mais le chien ne s’intéresse qu’à la poursuite des mulots !
Convaincu qu’il s’agit d’une noyade, le commissaire Kenward fait venir une pompe pour draguer l’étang proche de l’accident, nommé “the Silent Pool”,” la piscine silencieuse” que l’on dit hanté ! Un collègue de Kenward, le commissaire Goddard, enquête, lui, dans le Berkshire, comté où se situe Styles, la maison du couple Christie. Les poubelles sont fouillées, les carnets de chèques épluchés, mais sans révéler le moindre indice. Les témoignages de la cuisinière, de son époux et de la femme de chambre concordent : après le diner qu’elle a pris seule, Mme Christie a brusquement quitté la maison vers 21 heures 45. Les domestiques ont entendu aussi des éclats de voix des deux époux pendant le breakfast du matin. L’enquête piétine, sans doute aussi parce qu’elle se déroule à cheval sur deux comtés, avec deux équipes différentes et deux policiers à fortes personnalités et aux avis diamétralement opposés.
Une disparition mise en scène ?
Kenward, le policier du Surrey, est convaincu qu’il s’agit d’un accident. Goddard, le policier du Berkshire, plus âgé et qui a déjà débrouillé des affaires compliquées, est persuadé qu’Agatha Christie est bien vivante et qu’elle a mis en scène sa disparition. Les journalistes enquêtent aussi. Au fur et à mesure que les jours passent, les lecteurs découvrent que la vie conjugale des Christie était en pleine crise. La dispute, entendue par le personnel au matin du 3 décembre, était la conséquence d’un conflit qui durait depuis cinq mois. On commence à penser que le mari pourrait être impliqué dans la disparition de son épouse. Ce héros de guerre, abandonné seul dans sa luxueuse maison avec leur petite fille, n’est peut être pas étranger au drame…
Début août, Archibald Christie avait annoncé à sa femme qu’il désirait divorcer. Il était parti puis revenu à Styles, en promettant à Agatha de ne plus revoir Nancy Neele dont il était tombé amoureux. Le matin du tragique vendredi, il avait avoué à Agatha qu’il avait revue la jeune femme et qu’il passerait le week-end avec elle chez des amis, les Sam James, un de ses collègues de la City. Le colonel était, en effet, devenu banquier. Archibald n’a appris la disparition de son épouse que le samedi matin, par un coup de téléphone de la nurse écossaise de leur fille, Carlo Fischer. A son retour à Styles, la nurse a donné au mari une lettre écrite par Agatha ; il l’a immédiatement brûlée… Pourquoi ne l’a-t-il pas montrée à la police ? La seule qui connaisse vraiment les origines du drame est Carlo Fisher. Agatha Christie l’avait engagée un an auparavant pour taper ses manuscrits et s’occuper de sa petite fille Rosalind. La secrétaire sait qu’Agatha refuse le divorce, qu’elle est à bout de forces, qu’elle dort très mal. Le médecin appelé a demandé à Carlo d’installer un lit dans la chambre de Mme Christie et de ne pas la quitter. Mais le soir du 3 décembre, Carlo Fisher n’était pas là, elle était à Londres. C’est en rentrant à pied de la gare, à 23 heures, que l'Écossaise épouvantée a découvert les portes du garage grandes ouvertes et les domestiques tétanisés.
Le samedi 11 décembre, le Daily News publie à la une trois photos. Au centre, la vraie Agatha, à droite déguisée avec une perruque brune, à gauche avec une paire de lunettes. C’est un appel à témoins. Il faudra douze jours à la police pour retrouver Agatha Christie à Harrogate, une élégante station thermale du Yorkshire. Ce sont deux musiciens de l’orchestre qui jouent tous les soirs dans la grande salle de bal de l’Hôtel des Thermes, le plus grand d’Harrogate, qui l’ont reconnue. Elle s’y était inscrite sous un faux nom, Theresa Neel (le nom de la maîtresse de son mari). Elle prétendait venir d’Afrique du Sud et précisait que ses bagages allaient la suivre. La femme de chambre qui apporte les plateaux du petit-déjeuner l’a trouvée très fatiguée. Et elle a remarqué que cette voyageuse sans bagages, après être sortie faire des courses, s’est fait livrer chapeaux, vêtements, chaussures et articles de toilette qu’elle n’avait pas en arrivant. La jeune femme semblait traumatisée, prétendant avoir perdu un enfant. Le commissaire Macdowell, chef de la police du Yorkshire, enquête. Le colonel Christie arrive par le train du soir pour vérifier si cette Mme Neel est bien son épouse. A 19h30, il arrive et confirme qu’il s’agit de sa femme. Ils dînent à la même table puis Agatha Christie retourne seule dans sa chambre. Archibald a téléphoné à la sœur aînée d’Agatha, Madge Watts, qui arrive aussitôt de Manchester avec son mari. C’est chez eux, à Abney Hall, un imposant manoir victorien, que la romancière se reposera jusqu’aux fêtes de Noël.
Agatha est retrouvée mais le mystère demeure. Le public reste sur sa faim ! C’est seulement le 7 février 1928, ulcérée par toutes les horreurs qu’on a pu inventer sur sa disparition, qu’elle décide de s’expliquer dans le Daily Mail. Elle raconte avoir quitté sa maison dans un état dépressif grave, avec l’intention de se suicider. Elle a roulé jusqu’à la crête de la colline et laissé la voiture descendre en contrebas. La voiture s’encastre, le choc est violent. Agatha est projetée contre le volant, blessée à la tête et à la poitrine. Elle perd alors la mémoire. Elle a erré toute la nuit puis toute la journée avant de se retrouver à Harrogate, dans la peau d’une autre femme. Elle explique que ses troubles avaient commencé après la mort de sa mère, au printemps 1926. Cela l’avait beaucoup affectée, elle en avait perdu le sommeil. Il lui a fallu plusieurs jours pour retrouver, peu à peu, sa propre identité. Elle ne donne aucun detail sur les raisons privées qui l’ont poussée au suicide. Agatha était profondément blessée par la liaison de son mari et son désir de divorcer. C’est la jalousie qui l’a poussée à envisager le pire. Elle dit avoir été stupide. Désormais, son divorce avec le colonel Christie est inévitable. Mais qui est donc cette romancière désespérée ?
Une enfance heureuse
Agatha est née le 15 septembre 1890 dans une grande et belle demeure, Ashfield, située dans la très chic station balnéaire de Torquay, dans le Devon. Sa mère, Clara, l’avait achetée peu de temps après son mariage. Elle avait eu un coup de foudre pour cette maison surplombant la mer. Son père, Frédéric Miller, est Américain. Il est riche, fils unique, orphelin. Il a hérité d’une grande fortune immobilière à New-York. Clara, elle, est originaire de Manchester, la ville du coton anglais, timide, avec des idées très originales. C’est, en fait, une grande mélancolique. Le couple, qui s’est marié en 1878, est heureux. Ils vivent principalement à Torquay où va naître leur première fille, Madge, en 1879. Ils se rendent régulièrement aux Etats-Unis où Frédéric a ses affaires ; c’est à New-York que naîtra leur fils Monty. Agatha voit quant à elle le jour à Ashfield, dix ans après sa sœur et son frère.
C’est une jolie blonde. Elle a évidemment une nurse qu’elle adore et à qui sa mère a fait d’étranges recommandations. Alors que sa fille aînée est pensionnaire dans une chic institution à Brighton, elle estime, désormais, que les enfants ne doivent pas aller à l’école, qu’il ne faut pas fatiguer son cerveau et qu’on ne doit surtout pas lui apprendre à lire ! C’était mal connaître Agatha. Sa sœur Madge, merveilleuse conteuse, lui lit des histoires chaque fois qu’elle le peut. Agatha reprend les livres, tourne les pages avec ravissement et un soir, la nurse, éberluée, l’entend lire plusieurs paragraphes. Elle est obligée d’annoncer piteusement à Clara qu’elle est désolée, que sa petite fille a appris à lire toute seule, alors qu’elle n’a pas 5 ans ! Elle dévore les livres, sa sœur lui fait lire “Les aventures de Sherlock Holmes” et celles de “Rouletabille”. La maison est très bien fréquentée. Rudyard Kipling arrive en voisin sur un tandem avec son épouse américaine. Henry James est aussi un habitué. En 1897, la famille assiste à Londres, depuis les gradins de White Hall, au magnifique défilé organisé pour le jubilé de diamant de la reine Victoria. Agatha a 7 ans. Honteuse, elle avouera plus tard n’en avoir gardé aucun souvenir…
L’année suivante, à son retour de New-york, son père est soucieux. Ses associés ne gèrent pas convenablement sa fortune, les revenus se dégradent. Ils vont louer Ashfield pendant un an et se rendent en France. On a conseillé à Frédéric Miller de faire une cure à Pau. Pour Agatha, ce voyage est une véritable fête. Après la traversée de la Manche et un court passage par Paris, elle prend un train de nuit pour Pau. Elle découvre sa passion pour les wagons-lits. Plus tard, elle sera une fidèle cliente des “sleepings”. Après Pau, on gagne la station thermale de Cauterets, dans les Hautes-Pyrénées. Agatha admire le Pic du Midi enneigé et adore faire du toboggan entre les pins sur ses fonds de culottes. Ensuite, direction la Bretagne, à Paramé, au Grand Hôtel des Bains, sur la Côte d’Emeraude.
Une femme aux multiples hobbies
Agatha se découvre alors une autre passion, elle l’aura toute sa vie : la natation. Elle s’enchante lorsqu’elle assiste à l’opérette “Les cloches de Corneville”. Cette année de vacances en France s’achève sur l'île anglo-normande de Guernesey. Agatha y dévore les livres de la comtesse de Ségur et “Sans famille” d’Hector Malot. La famille regagne Ashfield en 1899. Monty, le frère d’Agatha, 19 ans, est militaire. Il part pour l’Afrique du Sud se battre contre les Boers. De son côté, le père d’Agatha ne va pas bien. Les soucis financiers le minent. Il se rend à Londres pour tenter de trouver un poste dans la banque chez les Pierpont Morgan. Cela ne marche pas. Et puis il prend froid. A son retour à Ashfield, son rhume dégénère en double pneumonie. Il meurt le 26 novembre 1901. Agatha adorait son père, elle ne l’oubliera jamais.
Sa sœur s’étant mariée, elle se retrouve seule avec sa mère qui l’emmène à Paris, l’inscrit dans un école sérieuse avenue du Bois où des acteurs de la Comédie-Française enseignent l’art dramatique et où de grands noms du Conservatoire donnent des cours de chant ainsi qu’une solide éducation musicale. Elle travaille sa voix avec l’un des meilleurs professeurs de Paris, le baryton Jacques Bouhy. Elle est douée et envisage, très sérieusement, une carrière de cantatrice. En même temps, elle grandit et va faire, avec sa mère, un long séjour au Caire. Tout en découvrant les trésors de l’Egypte (on sait qu’elle y reviendra…), elle s’amuse follement car la vie sociale au Caire est intense et il y a des bals tous les soirs.
A son retour à Londres, elle teste ses pouvoirs de séduction. En 1908, Agatha a 18 ans et de nombreux soupirants. Elle continue à prendre des cours de chant. Elle espère devenir cantatrice et c’est une véritable douche froide quand une amie américaine de sa mère lui dit : “Votre voix n’est pas assez puissante pour l’opéra et ne le sera jamais. En revanche, vous pourrez devenir une bonne chanteuse de concert, et vous avez de quoi vous faire un nom.”
Son grand rêve s’effondre. Elle a été élevée dans le culte de l’excellence. C’était “prima donna” à l’opéra ou rien !
Agatha devient Madame Archibald Christie
Le 12 octobre 1912, lady Clifford, une amie de sa mère, donne un grand bal en l’honneur des officiers d’artillerie d’Exeter, dans son magnifique château. Agatha, plus ou moins fiancée à un jeune homme qui ne la convainc pas, le major Lucy, est invitée. Un de ses amis lui a dit qu’il y aurait à ce bal un merveilleux danseur, le sous-lieutenant Archibald Christie, et qu’elle devait essayer de le rencontrer. A peine arrivée, elle est présentée au fameux Archibald. Il est beau, charmant, il a beaucoup d’assurance. Ce soir-là, elle ne dansera qu’avec lui. Troublée, elle lui avoue qu’elle est déjà fiancée et qu’elle n’a pas l’intention de le revoir. Mais Archibald s’accroche. Il débarque à Ashfield en motocyclette et s’invite à dîner ! Avant de partir, il propose à Agatha de l’emmener à un concert quelques jours plus tard. Elle tombe éperdument amoureuse de lui. Elle rompt sans regret avec le major Lucy qu’elle voyait de toute façon très peu.
C’est au même moment que, déçue par son échec lyrique, elle envisage d’écrire. Elle rédige, avec difficulté, un premier roman inspiré par son séjour au Caire “Neige sur le désert”. Elle obtient un rendez-vous avec un éditeur londonien. Il refuse son livre et l’encourage à commencer un autre roman. C’est à ce moment-là qu’éclate la Première Guerre mondiale. Le sous-lieutenant Christie est envoyé au front. Agatha a eu le temps de le voir avant son départ. Elle devient infirmière à l’Hôtel de Ville de Torquay transformé en hôpital de la Croix Rouge. Trois jours avant le premier Noël de guerre, Archibald a sa première permission. Agatha et sa mère accourent à Londres accueillir le héros. La jeune fille a dans l’idée qu’ils pourraient se marier très vite, comme le font alors beaucoup de couples. Le jeune homme a vécu tant d’horreurs sur le front, a pris tant de risques au cours de ses missions, qu’il ne songe qu’à profiter de ces quelques jours de permission. Il veut se marier tout de suite.
C’est un mariage de guerre. Agatha n’a pas de robe blanche, juste un manteau et un petit chapeau tout à fait ordinaire. Deux témoins ont été prévenus à la dernière minute. Ils se marient à Bristol, la veille de Noël 1914. Sa mère n’est même pas au courant ! Sa soeur Madge, qu’elle prévient par téléphone, est folle de rage. Les mariés passent leur nuit de noces au Grand Hôtel de Torquay. Le lendemain, le grand déjeuner de Noël à Ashfield est merveilleux. Sa sœur redevient affectueuse et sa mère se montre profondément heureuse du bonheur des mariés. Puis Archibald repart pour le front. Agatha lui dit adieu sans savoir si elle le reverra…
L’infirmière Agatha fait ses classes
A l’hôpital de Torquay, Agatha, désormais Christie, est l’assistante du médecin qui dirige le laboratoire de pharmacie. Au bout de quelques mois, elle travaille pour obtenir son diplôme de préparatrice en pharmacie. Elle devient experte en fabrication d’onguents, en détection de l’arsenic et autres substances dangereuses. Le dimanche, elle travaille dans une des grandes pharmacies de la ville. Le pharmacien lui montre un petit tube brunâtre qu’il sort de sa poche. Il lui explique que c’est du curare et ce qu’en font les Indigènes d’Amazonie. Toutes les substances dangereuses du laboratoire sont rangées dans une armoire fermée à clé. On y trouve de l’arsenic, de la digitaline, du thallium. Bref, la future reine du crime fait son éducation pharmaceutique… Parallèlement, elle commence à écrire car les temps sont durs et elle doit gagner de l’argent. Ce sera un roman policier. Elle va inventer son équivalent de Sherlock Holmes. Il s’appellera Hercule Poirot. Elle l’imagine ainsi : “Un petit homme tiré à quatre épingles qui aime les choses allant par paires, carrées plutôt que rondes. Il serait très intelligent, il ferait “travailler ses petites cellules grises”, une expression à retenir.”
Ce détective sera de nationalité belge car à Torquay, pendant la guerre, des bateaux remplis de Belges fuyant leurs villages en ruines ont été accueillis et Agatha, qui parlait français avec eux, s’amuse de certaines de leurs expressions cocasses. Elle va inventer son crâne en tête d'œuf et son extravagante moustache noire un peu ridicule. Il sera maniaque et attentif aux désordres, révélateurs, selon lui, de nombreux indices. Pour le lecteur, il sera comique et rassurant, avec un nom qui fait un peu rire. Comme pour le Sherlock Holmes de Conan Doyle, il faut un équivalent du docteur Watson. A l’hôpital, un officier blessé s’appelait Hastings. Agatha en fera le faire-valoir britannique d’Hercule Poirot. A ce partenaire, il devra tout expliquer lors du dénouement. Entre-temps, la guerre s’est terminée. Le major Christie et sa femme s’installent à Londres et le 8 août 1919, Agatha donne naissance à une ravissante petite fille prénommée Rosalind. Son premier livre, “La mystérieuse affaire de Styles”, sort en librairie et obtient un grand succès. Poirot y fait sa première apparition.
Le colonel Christie est alors chargé de s'occuper de la grande exposition sur l’Empire britannique qui doit s’ouvrir dans deux ans. Il fera le tour des Dominions, Afrique du Sud, Nouvelle-Zélande, Australie, Canada. Le couple quitte Londres le 20 janvier 1922. Rosalind est confiée à sa tante et à sa grand-mère. Ce tour du monde permet à Agatha de trouver de nouvelles idées pour son prochain roman. Avant son départ, elle a déjà remis deux manuscrits à son éditeur “Mr. Brown” et “Le crime du golf”. Sa carrière démarre. Au retour du couple, en 1923, “Le crime du golf” est un nouveau succès. L’année suivante, un recueil de onze nouvelles intitulé “Les enquêtes d’Hercule Poirot” sort en librairie. Les finances du couple Christie vont bien. Ils s’installent dans une grande maison à Sunningdale, qu’ils baptisent Styles.
Début 1926, Agatha Christie publie un livre qui remporte un énorme succès “Le meurtre de Roger Ackroyd”. Mais une petite polémique surgit. Un critique trouve indécent de tromper le lecteur jusqu’à la fin du livre où l’on découvre que l’assassin n’est autre que… le narrateur ! Pour ne rien arranger, la mère d’Agatha meurt le 5 avril. Elle sombre dans la dépression avant d’apprendre que son mari a une liaison et veut divorcer, comme je vous l’ai raconté au début de ce récit. La séparation est inéluctable. Agatha Christie va devoir commencer une nouvelle vie.
Ressources bibliographiques :
Jean des Cars, Portrait dans L'Éventail, Bruxelles (Novembre 1976)
Béatrix de l'Aulnoit, Les mille vies d’ Agatha Christie (Tallandier, 2020)
Marie-Hélène Baylac, Agatha Christie, les mystères d’une vie (Perrin, 2019)