Le château d’Amboise est un bijou d’architecture et un condensé d’histoire niché au bord de la Loire. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars vous raconte les grands événements qui se sont déroulés entre les murs de cette forteresse médiévale transformée par des rois épris d’Italie.
Au XVIe siècle, Amboise est le théâtre de représailles sanglantes suite à la conjuration de Huguenots qui projetaient d’enlever le jeune roi François II. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars revient sur les grandes heures de cette forteresse médiévale transformée en palais Renaissance, l’un des joyaux des châteaux de la Loire.
En mars 1560, la Cour de François II et de son épouse Marie Stuart réside à Blois. Le souverain catholique et sa puissante mère, Catherine de Médicis, sont prévenus qu’un gentilhomme protestant, La Renaudie, a réuni en Bretagne puis à Tours des conjurés huguenots.
Ceux-ci prétendent se rendre à Blois pour demander au roi adolescent – il n’a alors que 15 ans – la liberté du culte réformé. En réalité, c’est une conjuration : le but des Huguenots est d’enlever le monarque ! La Cour quitte immédiatement Blois, trop difficile à défendre, pour Amboise, cette forteresse médiévale qui, bien que transformée en palais Renaissance, est réputée quasiment imprenable.
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Malgré un édit de pacification signé par François II, les conjurés persistent et arrivent en masse autour d’Amboise. Et La Renaudie a la folie d’attaquer. Les Guise, catholiques, et les troupes royales les massacrent. Ils font quelques prisonniers, dont La Renaudie qui est écartelé et dont les restes sont suspendus à un pont sur la Loire. Les corps mutilés des morts sont jetés dans le Fleuve ou pendus aux remparts du château.
Les survivants ont été enchaînés pour offrir à la Cour et à Amboise le spectacle d’un exemple. La Reine-mère Catherine sait qu’il faut frapper fort pour affermir le pouvoir de son trop jeune fils et imposer la religion catholique. On dresse une tribune afin que la famille royale au complet assiste aux représailles. François II et Marie Stuart sont atterrés. Le roi, vêtu de violet et de noir, est sur le point de s’évanouir. Marie est aussi pâle que lui. Elle serre les poings et se retient pour ne pas perdre connaissance.
Ce jour-là, cinquante neuf prisonniers vont être décapités, un à un. Une boucherie ! Mais François et Marie resteront jusqu’au bout, sous le regard implacable de Catherine de Médicis. Ironie de l’Histoire, Marie Stuart connaîtra le même supplice vingt sept ans plus tard, lorsqu’un bourreau maladroit devra s’y reprendre à trois fois pour lui trancher la tête à coups de hache, sur ordre de sa propre cousine, la reine Elizabeth Ier d’Angleterre…
Mais pour l’instant, les deux époux ne sont que des enfants, épris de beauté, de chants, de danses et de poésie. Ils n’ont jamais vu d'hommes mourir, et encore moins en leur nom... Amboise est le théâtre de ces horreurs. Mais l’histoire de cette forteresse médiévale ne se résume pas à cette sombre journée.
Amboise est rattaché au Domaine Royal
Au XIe siècle, les vassaux des comtes de Blois et d’Anjou se jalousent pour contrôler le passage de la Loire. La dynastie d’Amboise tient la place, un promontoire au-dessus du fleuve, un bastion aux murs épais. Mais le grand chambellan de Charles VII, La Trémoille, un Poitevin qui sert le roi depuis 1427, voit des complots partout. Après s’être méfié de Jeanne d’Arc, il assure Charles VII que Louis d’Amboise le trahit.
En 1434, le roi se débarrasse de lui et confisque la place avec le fief d’Amboise, qui sont désormais rattachés au domaine royal. Il ne va pas y résider souvent, préférant ses châteaux du Berry et de Touraine, mais il commence la construction d’un logis réservé à l’habitation privée du château, les grandes salles situées dans les ailes étant réservées aux réceptions.
Le dauphin Louis, futur Louis XI, a été élevé au château de Loches puis exilé dans le Dauphiné. C’est là qu’après la mort de sa première épouse, il se remarie avec Charlotte de Savoie. Devenu le roi Louis XI, c’est pour elle qu’il va s’intéresser à Amboise. Il y entreprend de grands travaux : les plans deviennent plus amples, le décor, toujours gothique, plus raffiné. Parallèlement, il améliore les fortifications. La reine Charlotte et ses enfants résident à Amboise et c’est dans ce château que naît son seul fils, le futur Charles VIII.
Le Dauphin, de santé fragile, passe son enfance à Amboise. Son père sait qu’il y est en sécurité, contre deux fléaux potentiels : les ambitions de Charles Le Téméraire, son ennemi juré, et la menace de la peste, qui ravage la Provence. Dans le village d’Amboise, au pied du château, il n’y a pas d’auberge. Nul voyageur ne peut donc être hébergé et les étrangers ne sont pas les bienvenus, la paroisse leur est interdite.
Louis XI, un peu paranoïaque, veille sur son fils. Cinq ans après la mort de Charles le Téméraire en 1477, il s’installe à Plessis-lès-Tours, dans un modeste bâtiment, guère réjouissant. Il y meurt en 1483. Son successeur, le nouveau roi Charles VIII, n’a que 13 ans. Il règne sous la régence de sa sœur, Anne de Beaujeu. C’est elle qui arrange son mariage, en 1491, avec Anne de Bretagne. Grâce à ce mariage, le duché de Bretagne est rattaché au royaume de France. Mais le jeune roi déteste Plessis-lès-Tours. Avant même son mariage, il est revenu à Amboise et songe à en faire une résidence fastueuse, aérée et gaie.
De nouveaux corps de bâtiments
Ce monarque, enflammé par les romans de chevalerie, rêve de croisades contre les Turcs et d’expéditions lointaines. C’est pour faire valoir ses droits à l’héritage de la Maison d’Anjou qu’il entreprend, dès 1494, les guerres d’Italie. En 1495, il occupe Naples. Parallèlement, il commence de grands travaux à Amboise. Un chantier, ouvert en 1492 et achevé en 1497, fait émerger deux nouveaux corps de bâtiments pour plaire à sa jeune épouse Anne.
Les expéditions italiennes ont ébloui le roi. Charles VIII est émerveillé par les jardins, les palais, les usages d’un pays plus riche et plus raffiné que la France. Cela va fortement l’influencer dans ses travaux à Amboise. D’Italie, il ramène de nombreux artistes et artisans afin d’embellir les lieux. Les Italiens travaillent surtout aux décors intérieurs et aux jardins. La floraison exubérante de la Renaissance en Val-de-Loire commence à Amboise.
Les visiteurs du roi admirent la très grande Tour des Minimes, adossée au logis royal. Elle est célèbre pour sa large rampe que peuvent emprunter les cavaliers. Elle permet le ravitaillement du château et un accès facile aux terrasses. Cette rampe s’enroule autour d’un noyau central vide qui apporte, à la fois, l’aération et la lumière.
A l’intérieur, l’immense Salle des Etats, de style gothique, avec sa forêt de colonnes et ses grandes cheminées, est elle aussi impressionnante. Mais Charles VIII utilise aussi la terrasse pour ses réceptions. Les jardins italiens sont superbes. Il fait aussi accrocher des centaines de tapisseries pour dissimuler les murailles. Pour se protéger des intempéries, on tend au-dessus de la terrasse un voile couleur de ciel et orné du Soleil, de la Lune et des planètes. Une féérie cosmique ! Les fêtes que donne Charles VIII sont inoubliables.
Pour faire pendant à la tour des Minimes, le roi fait édifier la Tour Heurtault dont les voûtes d’ogive sont un chef d'œuvre architectural. Enfin, il y a la ravissante petite chapelle Saint-Hubert, l’oratoire de la reine Anne de Bretagne. Construite entre 1491 et 1496, c’est un bijou du gothique flamboyant. Elle est aujourd’hui le seul vestige des bâtiments qui, jadis, longeaient tout le rempart.
Une chambre est dédiée à la musique. Charles VIII y écoute ses tambourineurs. Dès qu’il sort, il aime regarder travailler les vingt-deux artistes qu’il a ramenés d’Italie, surtout attachés aux détails ornementaux car la construction du château est achevée. Le roi est passionné par ses jardins, dessinés et composés par l’habile paysagiste Pacello de Mercogliano. Il dira : "Il ne manque qu’Adam et Eve pour en faire un vrai paradis terrestre".
Hélas, le 7 avril 1498, veille des Rameaux, le rêve de Charles VIII va se briser. De son front, il heurte le linteau d’une petite porte très basse qui permet d’accéder à une galerie où se trouvent les appartements de la reine. Il venait la chercher pour qu’elle assiste à une partie de jeu de paume. Le roi se relève, assiste à la partie puis, tout d’un coup, s’effondre. A 11 heures du soir, il s’éteint, à l’âge de 28 ans, victime d’une commotion cérébrale.
Charles VIII n’a pas d’héritier direct. C’est son cousin Louis d’Orléans, fils du poète Charles d’Orléans, qui lui succède. Le nouveau souverain, Louis XII, interrompt les travaux d’Amboise et envoie les architectes et les maçons travailler au château de Blois, qu’il préfère. Il réserve Amboise à Louise de Savoie et à ses enfants.
François 1er à Amboise
François d’Angoulême, futur François Ier, n’a que 7 ans lorsque sa mère Louise de Savoie et sa sœur Marguerite, la future célèbre poétesse Marguerite de Navarre (à ne surtout pas confondre avec la reine Margot, fille d’Henri II), s’installent à Amboise sur ordre de Louis XII.
Le jeune prince va y recevoir une éducation intellectuelle, sportive et militaire très accomplie. Il garde un si bon souvenir de son adolescence à Amboise que, devenu le roi François Ier, il y réside les trois premières années de son règne, de 1515 à 1518. Amboise est le théâtre d’un tourbillon de fêtes, de bals, tournois, de mascarades et de combats d’animaux sauvages.
Toutes les occasions sont bonnes : ses fiançailles, son départ pour l’Italie, la naissance du dauphin. La Cour fait assaut de luxe et de plaisirs. François Ier achève le château, dont la partie commencée par Louis XII, entre 1517 et 1520. A partir de 1519, la Cour devient itinérante. Le roi ne fera plus que de brefs séjours à Amboise, en 1526, à son retour de captivité en Espagne, et surtout dans la nuit du 17 au 18 octobre 1534, lorsque survient l’affaire "des placards".
Sur la porte de la chambre royale, on découvre affiché un violent pamphlet protestant contre les "horribles, grands et insupportables abus de la messe papale". François Ier prend des mesures de répression. Ce sont les prémisses de la tragédie que seront les guerres de religion…
Après sa victoire en Italie à Marignan, François Ier fait venir le grand Léonard de Vinci en France en 1517. Il l’installe dans un petit château à deux pas d’Amboise : le Clos-Lucé. Entre les deux hommes, une estime et une admiration mutuelle forment des liens sincères. Léonard devient le metteur en scène de génie des grandes fêtes de François Ier. L’artiste universel meurt le 2 mai 1419 au Clos-Lucé, loin du roi qui est à Saint-Germain en Laye. Il est enterré dans la petite chapelle Saint-Hubert du château d’Amboise, l’ancien oratoire d’Anne de Bretagne. Désormais François Ier va préférer Chambord et Fontainebleau à Amboise. Progressivement, les rois de France vont se désintéresser de ce château.
Louis XIV fait d’Amboise une prison
En 1626, Louis XIII attribue Amboise et Blois à son turbulent frère Gaston d’Orléans, conspirateur impénitent. Puis le château va revenir à la Couronne. Louis XIV en fera une prison, d’abord pour y enfermer, avant son procès, le trop riche surintendant des Finances Fouquet, puis pour l’insupportable et trop libertin Lauzun. Amboise est ensuite abandonné par les rois. L’Ile de France va supplanter le Val de Loire. Le château est donné, en 1762, au duc de Choiseul par Louis XV. Choiseul le cède au duc de Penthièvre, petit-fils de Louis XIV et beau-père du duc d’Orléans, futur Philippe-Egalité. Pour la première fois, le château devient la propriété de la famille d’Orléans.
A la Révolution, il est confisqué puis donné par Napoléon à un ancien membre du Directoire. Le nouveau propriétaire, sans grands moyens, fait détruire les deux tiers du bâtiment qu’il ne peut pas entretenir.
Le roi Louis-Philippe, nouveau propriétaire d’Amboise
En 1822, sous la Restauration, le duc d’Orléans, futur Louis-Philippe, hérite de sa mère, légataire du duc de Penthièvre, une énorme fortune foncière. Parmi ses domaines, le château d’Amboise. Huit ans plus tard, après la chute de Charles X, Louis-Philippe, devenu roi des Français, entreprend de restaurer le château. Au deuxième étage du logis, il fait aménager de confortables appartements, tendus de soie rouge. L’atmosphère est familiale et les soirées au coin du feu paisibles.
La belle-fille du roi, épouse de son fils aîné le duc d’Orléans, est Hélène de Mecklembourg-Schwerin. Elle va importer la coutume germanique du sapin de Noël, qui trônera, pour la première fois, à Amboise.
Abdelkader est prisonnier à Amboise
Quatrième fils du roi Louis-Philippe, le duc d’Aumale est nommé commandant en chef en Algérie, en 1843. Il a 21 ans et il s’illustre par un fait d’armes légendaire : la prise de la smala d’Abdelkader. Ce célèbre combattant, né en 1807 à Mascara, appartient à une grande famille qui prétend descendre du Calife. La conquête de l’Algérie par la France, à partir de 1830, a transformé cet érudit en chef de guerre. Pendant quinze années, il va conduire le djihad contre les Français. Après la prise de sa smala, il entraîne le Sultan du Maroc dans sa lutte mais c’est un échec. Vaincu et traqué, il se rend au général Lamoricière le 23 décembre 1847.
Ce tout nouveau gouverneur de l’Algérie lui accorde l’aman, c'est-à-dire la vie sauve. Le duc d’Aumale lui promet la liberté et le droit de s’installer à Saint-Jean d’Acre ou à Alexandrie. Mais le roi Louis-Philippe refuse de valider la promesse de son fils. Abdelkader est prisonnier. Dans un premier temps, le chef vaincu, accompagné de son fidèle lieutenant et de quarante-cinq membres de sa famille ainsi que de serviteurs, est installé au château de Pau. Il y reste du 23 avril au 8 novembre 1848. Louis-Philippe n’est plus souverain. La Deuxième République décide de son transfert au château d’Amboise pour des raisons de sécurité. Louis-Napoléon Bonaparte est élu Président de la République le 10 décembre 1848. Il est favorable à la libération du prisonnier mais son ministre de la Guerre s’y oppose.
Le château d’Amboise va alors se transformer en palais musulman. Les hommes sont séparés des femmes. L'Émir occupe un important appartement dans l’aile Charles VIII du logis royal. Les habitants de la ville sont stupéfaits : depuis la tour des Garçonnets, le muezzin appelle les fidèles à la prière cinq fois par jour. On s’affaire à la préparation du couscous, les moutons étant tués et préparés au château.
Louis-Napoléon n’a pas changé d’avis : dès l’année 1850, les autorités assouplissent le régime d’Abdelkader. Il sort d’Amboise et va visiter tous les châteaux de la Loire, à commencer par Chenonceau. Après le coup d’Etat du 2 décembre 1851, Bonaparte décide de libérer l’Emir. Il va l’en informer lui-même le 16 octobre 1852. Profitant d’un voyage dans le sud-ouest, le Prince-président fait arrêter son train en gare d’Amboise. Dans la magnifique salle des Etats du château, le neveu de Napoléon Ier déclare : "Abdelkader, je vous annonce votre mise en liberté". Soutenu financièrement par la France, il s’installera à Damas où il mourra en 1883.
Amboise est restitué aux Orléans
Napoléon III avait confisqué tous les biens des Orléans au début de son règne. En 1872, la Troisième République les restitue au chef de famille, le comte de Paris, petit-fils de Louis-Philippe. Le château fait alors l’objet d’une restauration importante.
Près d’un siècle plus tard, après l’abrogation de la loi d’exil en 1950, le comte de Paris, chef de la Maison d’Orléans, petit-neveu du précédent comte de Paris, récupère ses biens et, notamment, le château d’Amboise. En 1974, il charge la Fondation Saint-Louis, propriétaire des biens Orléans, de gérer et d’administrer le château. D’importants travaux sont réalisés.
Aujourd’hui, dans la Salle des Etats, cœur de la vie politique du monument de Louis XI à François Ier, à deux pas du balcon où les conjurés furent pendus, on peut admirer un portrait de Louis XIV par Philippe de Champaigne à côté de celui de l’Emir Abdelkader. Un étonnant condensé d’histoire.
Ressources bibliographiques :
Hortense Dufour, Marie Stuart (Editions du Rocher, 2006)
Jean-Pierre Babelon, Châteaux de France (Flammarion-Picard, 1989)
Jean des Cars, Les Châteaux de la Loire (Perrin, 2009)