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SAISON 2020 - 2021, modifié à

En juillet 1918, le Tsar Nicolas II et la famille impériale sont exécutés dans la cave de la villa Ipatiev. Deux ans plus tard, à Berlin, une jeune inconnue est repêchée du Canal Landwehr. Pendant plus de soixante ans, elle se fera passer pour l’une des filles du Tsar, Anastasia de Russie, ​qui aurait échappé au massacre… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars vous révèle la vérité sur la fin mystérieuse de la ​grande duchesse Anastasia. 

En février 1920, une jeune inconnue à l’accent slave est retrouvée dans un canal de Berlin. Alors qu’elle est internée dans un asile, différents individus pensent la reconnaître… Il s’agirait d’une des filles du Tsar Nicolas II ​qui aurait survécu au massacre de la famille impériale un an et demi plus tôt. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars revient sur l’histoire d’une fascinante imposture qui a semé le doute pendant des décennies. Retrouvez l'audio de cette première partie sur notre chaîne YouTube.

Tout commence au soir du 17 février 1920, en Allemagne. A Berlin, un policier voit une jeune femme qui, du pont Bendler, se jette dans l’eau glacée du Canal Landwehr. C’est une tentative de suicide. Repêchée, elle est conduite aux urgences. Transie, pauvrement vêtue, elle est couverte de cicatrices et sa  tête porte des traces de coups violents. On la soigne et la police  l’interroge. Elle répond dans un allemand au fort accent slave : "Je n’ai rien demandé".

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Cette jeune femme refuse de donner son nom, son lieu de résidence, ce qu’elle fait dans la vie et surtout les motivations de son acte désespéré. Chaque fois qu’elle parle, c’est pour demander à ses interlocuteurs de la laisser tranquille. L’inconnue semble terrorisée. Indigente, elle est transférée à l’asile d’aliénés de Dalldforf. Elle y est inscrite sous le nom de "Fraulein Umbekannt" ce qui veut dire "Mademoiselle Inconnue".

Elle est petite, mesure 1,54 mètre et pèse 50 kilos. Diagnostiquée "à forte tendance dépressive", elle est installée dans le bâtiment 4 de l’établissement, au milieu de quatorze patientes calmes. Après un premier examen, on l’interroge à nouveau. Son registre d’admission révèle les observations suivantes :

" Très réservée. Refuse de révéler son nom, ses origines familiales, son âge et son occupation habituelle. Reste assise dans une attitude butée. Assure qu’elle ne dira rien, qu’elle a ses raisons et que si elle avait voulu parler, elle l’aurait déjà fait. A la question de savoir si elle entend des voix ou si elle a des hallucinations, elle a répondu : ‘Vous n’êtes pas très bien informé, docteur’. Elle reconnaît avoir tenté de mettre fin à ses jours mais refuse de fournir la moindre explication.  "

Dans les premiers mois, souvent prostrée, la tête enfouie sous ses couvertures ou le visage tourné vers le mur, l’inconnue ne parle guère, mange peu, dort mal et intrigue ses voisines de chambre... Le médecin qui l’avait examinée au commissariat lui avait arraché une seule information : elle serait une ouvrière. Elle semble en tout cas obsédée par l’idée qu’on la reconnaisse. Elle révèle des bonnes manières et elle a un maintien étonnant pour une ouvrière. 

L’inconnue est-elle une miraculée ?

Peu à peu, elle parle avec les infirmières qui s’étonnent de ses connaissances sur l’histoire de la Russie et des monarchies effondrées après la guerre. Mais c’est une autre patiente, Clara Peuthert, arrivée fin 1921, qui va avoir une révélation. Clara est persuadée que le visage de l’inconnue ne lui est pas étranger. Puis elle a une illumination en feuilletant un numéro du journal Berliner Ilustrierte Zeitung, qui évoque le massacre de la famille impériale russe en 1918 et laisse entendre qu’une des quatre filles du tsar aurait échappé au massacre. Clara pense qu’il s’agit de la grande duchesse Tatiana. Quand elle le dit à l’intéressée, celle-ci fond en larmes. 

Clara Peuthert quitte l’asile en janvier 1922. Elle tombe alors sur un jeune exilé russe qui vend des images de la famille impériale devant une église orthodoxe. Clara lui raconte son histoire. D’abord incrédule, il finit par se rendre lui-même à Dalldorf pour rencontrer l’inconnue. Il s’appelle Schwabe et c’est un ancien officier de la Garde personnelle de l’Impératrice douairière, Maria Feodorovna, la mère de Nicolas II. Il est certain d’être capable de savoir s’il s’agit de la grande duchesse ou  d’une simple fausse ressemblance. La rencontre ne dure que quelques minutes mais elle impressionne l’ancien officier.

Bien qu’elle ne parle pas russe et qu’elle n’ait pas reconnu l’Impératrice douairière sur la photo qu’on lui a présentée, il est frappé par sa ressemblance avec une fille du tsar. Il contacte alors le Conseil Monarchiste Suprême, créé en 1921, et qui siège à Berlin avec pour objet de fédérer les Russes monarchistes en exil. La comtesse Zenaïde Tolstoï, membre de l’institution, est elle aussi convaincue. Un couple d’exilés russes, le baron Arthur Gustavovitch von Kleist et son épouse Gerda, accepte de l’accueillir chez eux à Berlin. Entre-temps, l’inconnue aura dit aux infirmières que la photo de l’inconnue montrée par Schwabe est sa grand-mère et qu’elle n’est pas la grande duchesse Tatiana mais sa sœur Anastasia...

Une longue enquête commence. Mais comment serait-il possible qu’une des grandes duchesses ait échappé au massacre de la famille impériale à Ekaterinbourg ?

Le massacre de la famille impériale

Une chose est sûre : la Grande Guerre a été terriblement meurtrière pour la Russie, les défaites ont succédé aux défaites. La Révolution grondant dans la capitale Petrograd, le tsar avait été contraint d’abdiquer le 3 mars 1917. Après l’avoir d’abord assigné à résidence au Palais Alexandre de Tsarskoie Selo, le Président du gouvernement provisoire, Kerenski, sentant approcher la Révolution bolchévique, décide d’éloigner la famille impériale de la capitale dans le but de la protéger. Elle embarque dans un Transsibérien fin juillet 1917.

Lors de la Révolution d’octobre, Lenine prend le pouvoir et Kerenski est en fuite. La famille est prisonnière dans des conditions de plus en plus terribles. Les Romanov passeront quelques mois à Tobolsk avant de gagner Ekaterinbourg, dans l’Oural, fin avril 1918. Les prisonniers y sont gardés dans une maison dite "à destination spéciale", la maison Ipatiev. C’est la dernière étape de leur calvaire. 

Le 16 juillet 1918, le nouveau commandant de la maison Ipatiev, Yourovski, envoyé par Lénine, est aussi féroce que méticuleux. Moscou peut lui faire confiance... A minuit, le 17 juillet, il réveille les prisonniers, les fait descendre au sous-sol de la maison. La famille impériale est au complet : l’ex-tsar Nicolas II, son épouse Alexandra, les quatre grandes duchesses Olga, Tatiana, Maria, Anastasia et le tsarévitch Alexis pas tout à fait remis de sa dernière crise d’hémophilie. Anastasia tient dans ses bras l’épagneul de son petit frère, Joy. Sont également présents le Docteur Botkine, le cuisinier, le valet et la femme de chambre. Soudain, à 3h15 du matin, on entend un bruit de voitures. Onze hommes armés de revolvers surgissent. Yourovski annonce :

" Nicolas Alexandrovitch, vos amis ont essayé de vous sauver mais ils n’ont pas réussi. Nous sommes dans l’obligation de vous fusiller. Votre vie est terminée. "

 

Et l’exécution est immédiate

Moscou est évidemment prévenu aussitôt. C’est Sverdlov, chef du Soviet local, qui annonce que Nicolas Romanov et les siens voulaient fuir alors que l’armée tchèque, contre-révolutionnaire, de l’amiral Koltchak, approchait. En effet, après la signature de la paix, la Russie devenue soviétique est déchirée dans une terrible guerre civile entre les Rouges bolchéviques et les Blancs monarchistes. Le Soviet d’Ekaterinbourg a pris la décision d’exécuter les prisonniers. Lénine semble ainsi n’être pour rien dans ce massacre. Pour Moscou, annoncer la tuerie de toute une famille y compris d’un garçonnet très malade est assez difficile. Le 20 juillet, la presse, évidemment sous contrôle, diffuse l’information : elle n’annonce que la mort de l’ex-tsar. On ne parle ni de la tsarine ni des enfants.

Tous les fantasmes sont alors possibles et on peut penser qu’une partie de la famille a échappé au massacre. C’est pour cette raison qu’à l’époque, il n’est pas invraisemblable que l’inconnue de Berlin puisse être Anastasia qui aurait échappé à la tuerie.

L’inconnue de Berlin explique sa survie

Celle que, pour plus de clarté, nous allons maintenant appeler Anastasia, s’installe donc chez le baron et la baronne von Kleist. Elle n’est pas en bonne santé. Elle est irritable, hantée par des cauchemars. Mais maintenant, elle doit répondre à des questions : comment a-t-elle survécu au massacre ? Comment, quand et pourquoi est-elle arrivée en Allemagne ? Pourquoi ne parle-t-elle pas russe ? Veut-elle rencontrer sa grand-mère et les autres membres de la famille qui ont pu quitter la Russie ?

Pour la langue russe, ce serait un blocage car elle lui rappelle trop de mauvais souvenirs. La nuit du massacre, Anastasia aurait survécu grâce aux bijoux cousus à son corset, qui l’auraient protégée des balles. Elle serait tombée puis Tatiana serait tombée sur elle, la protégeant lorsque les assassins ont achevé les blessés. Un garde bolchevique du nom d’Alexandre Tschaikovsy l’aurait alors ramassée dans la maison Ipatiev, l’aurait fait passer pour morte puis l’aurait emmenée sur une charrette de paysan jusqu’en Roumanie. Un long et éprouvant voyage…. 

C’est là qu’elle aurait mis au monde un garçon avant d’épouser son sauveur et de s’installer à Bucarest. Fin 1919, son mari meurt. Anastasia aurait alors décidé de gagner l’Allemagne à pied et en train pour retrouver la famille de sa mère, l’Impératrice, née Alix de Hesse-Darmstadt. Puis, elle serait partie avec son beau-frère Serge mais sans son fils, laissé en Roumanie. A l’arrivée à Berlin, Serge aurait disparu et c’est là que prise d’angoisse, elle aurait tenté de se suicider.

Une histoire qui va en tromper plus d'un 

Bien sûr, son récit est truffé d’invraisemblances, d’approximations, de dates invérifiables. Et pourtant, un nombre impressionnant de personnes vont y croire, comme à une sorte de miracle pour effacer la tragédie de la maison Ipatiev. Mais tout le monde ne mord pas à l’hameçon. Dès 1922, la baronne Buxhoeveden, ancienne dame d’honneur de l’Impératrice Alexandra, qui avait accompagné la famille à Tobolsk, affirme que la jeune femme ne peut pas être la grande duchesse Anastasia. D’autres sont convaincus de son identité, comme les enfants du docteur Botkine.

Encore plus troublante est sa réaction face à un certain Philippe Dad’ Assel, blessé français auquel la grande duchesse avait rendu visite pendant la guerre à Tsarskoie Selo, dans le grand palais transformé en hôpital. Il se trouve alors devant l’inconnue de Berlin. Et elle s’exclame : "Mais c’est l’homme aux poches !". "L’homme aux poches", c’était effectivement le surnom que la grande duchesse avait donné à ce blessé.

Partisans et adversaires s’affrontent. Les deux tantes de Nicolas II, Xenia et Olga, ainsi que le précepteur suisse qui avait passé treize ans dans l’intimité de la famille mais n’avait pu l’accompagner jusqu’à la maison Ipatiev, ne la reconnaissent pas. La princesse Tatiana de Metternich, née Vaissilitchikov, dont le père fut le dernier chambellan de Nicolas II, m’a précisé que la grand-mère de la véritable Anastasia, l’Impératrice douairière Maria Feodorovna, mise en présence de l’inconnue, lui avait dit immédiatement : "Vous n’êtes pas la grande duchesse Anastasia…"

Finalement, dix-sept grands ducs et princes de la maison impériale de Russie signent une déclaration commune négative. En revanche, la famille de Hesse, donc celle de la tsarine, observe un silence total, ne voulant pas s’en mêler. Pour certains, cette attitude serait une approbation.

Parfois, l’inconnue de Berlin dit des choses que seuls des intimes et des membres de la famille impériale peuvent savoir. Par exemple que l'État-Major russe avait engagé des négociations secrètes en 1916 avec Guillaume II et des hauts-dignitaires  allemands, parents de la tsarine... Alors, cette femme est-elle sincère lorsqu’elle le dit ou le lui a-t-on soufflé ? En effet, on peut penser que lors de son séjour chez les von Kleist, on ait tenté de « rafraîchir sa mémoire » en lui racontant la vie avec ses parents au palais Alexandre de Tsarskoie Selo, mille anecdotes qu’elle enregistre et peut restituer par la suite de façon très convaincante.

L’affaire Anastasia prend une nouvelle consistance lorsqu’en 1926, la tombe du tsar Alexandre Ier est ouverte à la demande de Staline. On s’aperçoit alors qu’elle est vide. Cela ravive toutes les spéculations sur sa fausse mort mystérieuse en 1825, puisque son corps n’avait pas été identifié... Dans un pays traversé, depuis des siècles, par des rumeurs d’empereurs disparaissant puis réapparaissant ou de vrais-faux usurpateurs, l’affaire Anastasia ne semble pas si extraordinaire. Le doute l’emporte… Mais la conviction des uns comme des autres manque singulièrement de preuves.

La vraie fausse Anastasia triomphe aux Etats-Unis

En février 1928, celle qu’on appelle Anastasia part pour les Etats-Unis. Le fils du docteur Botkine a convaincu Xenia, la fille du grand duc Georges Mikaelovitch, lui-même petit-fils de Nicolas 1er, mariée à un magnat de l’étain, William Leeds, d’accueillir la présumée grande duchesse dans sa très belle maison d’Oyster Bay, près de New-York. Xenia assure la reconnaître. La presse américaine est enthousiaste de rencontrer la survivante de la famille impériale, alors qu’il y a une importante diaspora russe aux Etats-Unis !

Au même moment, en Europe, juste après la mort de l’impératrice douairière revenue dans sa famille au Danemark, douze membres de la famille Romanov venus assister à ses obsèques signent ce qu’on appelle la "Déclaration de Copenhague" :

" Pour nous, proches parents du tsar, il est extrêmement douloureux d’admettre cette réalité : aucun membre de cette branche de notre famille n’est plus de ce monde...S’agissant de la personne en question, le devoir nous oblige à déclarer que son récit n’est que fabulations. Le souvenir de nos chers disparus serait à jamais terni,si nous laissions ce récit dénué de tout fondement se répandre et passer pour un fait établi. "

Apparemment, les Américains ne se soucient guère de cette déclaration. Celle qui, désormais, à défaut de reconnaissance d’identité démontrable, se fait appeler Mme Anderson, s’installe dans un hôtel élégant de Long Island. Elle s’est brouillée avec sa cousine Xenia et commence à revendiquer des droits sur la fortune supposée des Romanov déposée dans les coffres de la Banque d’Angleterre. Évidemment, cette perspective a de quoi exciter les partisans de Mme Anderson. Ce fameux "trésor" est une sorte de fantasme qui durera longtemps car la Banque d’Angleterre ne dit rien à ce sujet. Elle ne réagit pas. 

Mais quand la crise de 1929 éclate, tous les soutiens américains de la présumée grande duchesse disparaissent. En 1930, Mme Anderson regagne l’Europe. Elle va s’installer en Allemagne. Après la guerre, des journalistes de Paris-Match la retrouvent, vivant dans une cabane de la Forêt Noire. Elle continue à proclamer son identité impériale, intente des procès mais elle est déboutée. Quand elle fait appel, la Cour constitutionnelle de Karslruhe conclut en 1970 à l’impossibilité d’établir ou de réfuter avec certitude l’identité de la plaignante. En effet, à cette époque, on n’a pas encore retrouvé les corps des Romanov martyrisés et pourtant une enquête très sérieuse avait commencé dès juillet 1918.

 

Ressources bibliographiques :

Jean-Christophe Buisson, "Anastasia, une étrange affaire" dans "Les énigmes de l’histoire du monde", sous la dircetion de Jean-Christian Petitfils ( Perrin / Le Figaro Histoire, 2019).

Jean des Cars, "La saga des Romanov", de Pierre le Grand à Nicolas II (Plon, 2008).

Jean des Cars, "Nicolas et Alexandra de Russie, une tragédie impériale" ( Perrin, 2015).

 

"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière 
Diffusion et édition : Clémence Olivier et Salomé Journo 
Graphisme : Karelle Villais