Malgré leurs dix-neuf ans d’écart, Diane de Poitiers, l’ancienne gouvernante du petit Henri II, devient sa favorite. Le souverain éperdument amoureux lui accorde toutes les faveurs… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au Cœur de l’Histoire", Jean des Cars retrace le destin de Diane de Poitiers.
Diane de Poitiers a joué un rôle particulier auprès du roi Henri II. Elle fut chargée de s’occuper des enfants du souverain mais s'est aussi attelée à transformer les domaines d’Anet et de Chenonceau… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au Cœur de l’Histoire", Jean des Cars raconte comment Diane de Poitiers a su influencer le roi et se comporter en véritable souveraine.
A la mort de François 1er, si Catherine devient reine de France, c’est Diane qui règne sur Henri II. En ce début de règne, le roi, comme il est d’usage, renvoie ceux qui lui ont été hostiles, à commencer par la duchesse d’Etampes, Anne de Pisseleu, maîtresse de François 1er. Celle-ci envisage de se rendre à Saint-Germain pour jurer fidélité au nouveau souverain mais Henri II l’invite à rester chez elle. Et c’est le propre mari de la duchesse qui se venge : il l’exile en Bretagne. Elle y passera dix-huit ans, jusqu’à sa mort... En revanche, le Connétable de Montmorency, qui avait été chassé de la Cour, y revient. Il est élevé à la charge de grand maître de l’Hôtel du Roi. C’est lui qui choisit et nomme ceux qui seront quotidiennement au service du monarque. Il devient aussi capitaine des principales places militaires du royaume.
Le nouveau souverain ne récompense pas que les hommes. Sa femme, Catherine, alors enceinte pour la troisième fois, reçoit une rente annuelle colossale de 200.000 livres. La veuve de François 1er, Eléonore d’Autriche, est autorisée à rentrer chez son frère Charles-Quint et peut continuer à recevoir les revenus de ses domaines en France qui se montent à 60.000 livres par an. Diane n’est pas oubliée mais il faut remarquer que sur le plan financier elle reçoit moins que Catherine et Eléonore et qu’elle n’obtient rien sur le plan politique.
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Néanmoins, Henri II lui donne les revenus seigneuriaux des marches de Bretagne et lui restitue les revenus des terres du domaine d’Anet. Enfin, en juin 1547, il lui fait don des seigneuries de Chenonceau et des terres de la seigneurie d’Amboise.
Chenonceau n’est alors qu’un petit château par rapport à celui que nous connaissons. Construit pour le Trésorier Thomas Bohier, il avait été vendu par son fils à François 1er pour honorer les dettes de son père. En 1539, il avait été intégré du domaine royal mais François 1er l’avait délaissé et au moment où Henri II le donne à sa maîtresse, la rentabilité en est très médiocre : 1000 livres par an…
Rien donc de très fastueux ni de répréhensible dans les dons obtenus par Diane de Poitiers. Mais c’est surtout par son statut que Diane va être mise au premier plan : en effet, le Roi a décidé d’officialiser sa relation avec la grande sénéchale.
Henri II officialise sa liaison avec Diane
Trois semaines après la mort du Roi, le 25 juillet 1547, Henri II est sacré à Reims. Diane assiste à la cérémonie au premier rang alors que Catherine est reléguée dans une tribune. Et partout dans la ville de Reims, on ne voit que les emblèmes de Diane de Poitiers.
Depuis qu’il est son amant, Henri a adopté pour devise et attributs ceux de la déesse dont sa maîtresse porte le prénom : un croissant de Lune, un arc et des flèches. Il a aussi choisi pour couleurs celles que Diane avait adoptées depuis son veuvage, le noir et le blanc.
Devenu Roi, il ne change rien. Plus encore, il invente son chiffre : un H majuscule auquel il ajoute deux croissants de Lune opposés l’un à l’autre contre les barres verticales de la lettre H et qui formaient deux D, D pour Diane, évidemment. Pour sauver l’honneur, on pouvait penser que les croissants de Lune formaient aussi le C de Catherine son épouse… Une étrange association à trois que le Roi affirme au reste du monde…
En effet, Henri II affiche son chiffre partout, non seulement dans l’intimité sur sa vaisselle et ses livres mais aussi sur les façades des édifices qu’il fait construire, par exemple dans la Cour Carrée du Louvre. Non seulement les initiales de sa maîtresse étaient exposées partout mais ses nombreux portraits ornaient les murs de toutes les demeures royales. Ainsi, la salle de bal de Fontainebleau devient un hymne à la gloire de la belle Diane.
La favorite a été peinte par les plus grands artistes de son temps : le Primatice, François Clouet qui l’immortalise dans "Le bain de Diane" où elle est montrée les seins nus. Elle est aussi représentée en Diane chasseresse vers 1550, entièrement nue, seulement vêtue d’une longue écharpe, portant arc et carquois et accompagnée d’un lévrier blanc. D’autres peintures la montrent dans de somptueuses robes brodées de perles et de diamants, portant toujours dans ses cheveux le croissant de Lune, emblème de la déesse.
Le sculpteur Jean Goujon la représente nue, adossée à un cerf couché, son bras droit enserre tendrement le cou de l’animal tandis qu'elle tient un arc de la main gauche. Pratiquement dans toutes ces représentations, Diane de Poitiers est associée à la déesse de la chasse. Les poètes chantent ses louanges.
Ainsi Clément Marot :
"Ne vante plus, Ô Rome,ta Lucrèce...
Et toi Egypte, ôte ta Cléopâtre :
La France seule a tout cela en mieux,
En quoi Diane à l’un des plus beaux lieux
Soit en vertu, beauté, faveur et race :
Car si cela elle n’avait des Cieux,
D’un si grand roi ne méritait la grâce"
Bien entendu, cette surexposition de la maîtresse royale fait circuler des poèmes anonymes. L’un d’eux donne des conseils au nouveau roi de France : “Suis les vertus de ton grand-père, (Louis XII), suis les mérites de ta bonne mère (Claude de France), ôte toi de ta vieille hère (évidemment Diane de Poitiers)...
Le 8 octobre 1548, Henri II titre sa favorite duchesse de Valentinois. Diane n’a aucun pouvoir politique, ne participe à aucun Conseil. Mais comme le Roi, elle est très opposée aux protestants. Elle encourage les nombreux édits qui augmenteront la répression des disciples de Luther et de Calvin. Ce zèle anti-réformés est peut-être aussi une stratégie de Diane pour échapper à l’opprobre de la hiérarchie catholique car elle est tout de même coupable d’adultère avec le Roi.
Mais elle n’est pas que la maîtresse du Roi. Elle est toujours la gouvernante de ses enfants. Elle a assisté aux dix accouchements de la reine Catherine de Médicis, elle préside au choix des nourrices, elle contrôle la nourriture, elle choisit les précepteurs et leur entourage.
Évidemment, Catherine de Médicis, si elle feint de ne pas connaître les détails de la relation de son époux avec Diane, il est évident qu’elle est jalouse et qu’elle a du mal à supporter son omniprésence. Elle se console en se disant que le temps joue contre la favorite. Catherine se maîtrise, elle domine sa jalousie, elle masque sa haine à l’égard de celle qui la prive de l’amour du Roi qu’elle aime passionnément. Elle ne vient pas du pays de Machiavel sans connaître le pouvoir des apparences. Mais bien plus tard, en 1588, un an avant sa mort, Catherine déversera sa bile dans une lettre à sa fille la reine Margot : "Jamais femme qui aimait son mari n’aima sa putain, car on ne peut l’appeler autrement, encore que le mot soit vilain à dire à nous autres."
Diane et ses châteaux
Tout en veillant sur les enfants royaux, Diane ne néglige pas de s’occuper de ses domaines. Anet, d’abord, où elle reçoit fréquemment les enfants royaux. Elle le transforme complètement en une somptueuse demeure grâce à l’architecte Philibert de l’Orme.
La Diane chasseresse qui domine l’entrée, coiffée de son croissant de Lune, est au côté d’un puissant cerf, une référence évidente au Roi. Le haut-relief de bronze est dû au ciseau de Benvenuto Cellini. Elle demande encore à Philibert de l’Orme de lui construire une magnifique chapelle, surmontée d’une admirable coupole où elle a l’intention de faire placer son tombeau. Cette chapelle sublime ne sera achevée qu’après sa mort.
Mais la grande passion de Diane qui sublime l’amour qu’elle inspire au Roi est son château de Chenonceau. Diane à l’idée de relier l’ancien manoir Bohier, élégante construction Renaissance sur la rive droite du Cher, à la rive gauche par un pont. Toute la beauté et l’originalité de cet admirable vaisseau naîtront de cet exploit architectural. Il semble posé sur l’eau, tel un palais vénitien. Elle entreprend aussi d’agrandir le jardin sur les bords du Cher. Une véritable œuvre d’art qui n’est achevée qu’en 1553.
14.000 journées de travail d’ouvriers ont été nécessaires. Des charpentiers, des maçons, des charretiers, des bêcheurs, des carriers et des gazonneurs ont œuvré à cette rénovation. Ils ont charrié plus de 7.000 tombereaux de pierre pour bâtir les levées qui entourent et protègent le parterre. On y a déversé 1.100 tonnes de terre à gazon. Les parterres sont gazonnés, le reste du jardin n’est pas composé de fleurs et d’essences rares mais de végétation trouvée sur place : des aubépines et des noisetiers pour les haies, le berceau et le cabinet de verdure. Diane va aussi faire planter des arbres fruitiers, surtout des pruniers et des cerisiers pour l’agrément. Ce chantier à lui seul coûtera plus de 5.000 livres.
Le Roi trompe Diane avec une belle Écossaise !
Diane ne se contente pas d’être la gouvernante des enfants de France, elle se réjouit, même si elle n’y a pas contribué, de l’arrivée à la Cour de la petite reine d’Ecosse, Marie Stuart en août 1548. Elle est élevée presque comme une sœur avec les enfants d’Henri II. Elle est déjà fiancée à François, le Dauphin.
Mais Marie Stuart n’est pas arrivée seule. Elle est accompagnée d’une gouvernante, la belle et rousse lady Fleming, nettement plus jeune que Diane. Or, en 1550, la duchesse de Valentinois s’est blessée à la jambe lors d’une chute de cheval. Elle s’est retirée à Anet, le temps de sa convalescence. La reine Catherine est alitée car elle vient d’accoucher de son cinquième enfant. Le Roi s’ennuie. Le Connétable de Montmorency, l’homme le plus important de la Cour, décide de favoriser le rapprochement avec lady Fleming. Cette idée est couronnée de succès.
La rumeur se répand à la Cour que le Roi rejoint la belle Écossaise tous les soirs dans ses appartements qui sont ceux… de Marie Stuart à Saint-Germain-en-Laye. Avertie, Diane s’y rend en toute hâte et surprend son royal amant à la sortie du lit de lady Fleming. Terrible colère de la favorite ! Colère augmentée quand Lady Fleming se retrouve enceinte !
Mais Henri II met vite fin à cette courte aventure. Il jure une fidélité éternelle à la sublime Diane qui a quand même 51 ans. Quant à l’irrésistible lady Fleming, après avoir accouché d’un bâtard royal, d’ailleurs reconnu par Henri II, elle prend le premier bateau pour son Ecosse natale. On ne la reverra pas.
La fin tragique d’une liaison
Le 3 avril 1559, Henri II conclut le très contestable traité de Cateau-Cambrésis résultat de cinq mois de négociations avec l’Espagne et l’Angleterre. Si Catherine de Médicis peut-être satisfaite que la France renonce enfin à ses ambitions italiennes, elle juge que les avantages de cette paix sont bien minces, seulement l’acquisition des trois évêchés, Metz, Toul et Verdun. Ils se révèleront des atouts un siècle plus tard.
Pour compenser le recul français, deux brillants mariages sont décidés. L’union de la fille aînée d’Henri II et de Catherine, Elisabeth, avec Philippe II d’Espagne et celle de la sœur du Roi, Marguerite, avec le duc de Savoie. Ce second mariage est célébré le 28 juin à Paris et suivi d’un tournoi rue Saint-Antoine.
Henri II porte les couleurs de Diane et comme l’avait prédit Nostradamus, il périt d’un coup de lance de son capitaine des Gardes, l’Ecossais Montgomery. L’œil crevé, le cerveau bientôt gangréné, le souverain expire dans les bras de Catherine le 19 juillet 1559 après d’atroces souffrances.
Veuve accablée de chagrin, Catherine de Médicis réagit d’une manière très politique. D’abord, elle décide de porter le deuil noir, contrairement à l’usage du deuil blanc des Valois. Par ce geste, elle signifie qu’elle ne se remariera pas et qu’elle tire un trait sur sa vie de femme. Le noir lui permet aussi d’être remarquée et bientôt, on ne verra qu’elle. Elle s’installe au Louvre, au plus près du pouvoir, celui de son fils aîné le roi François II. Il n’a que quinze ans et depuis un an, il est marié à Marie Stuart, reine d’Ecosse, dont la mère est une Guise.
Catherine se fait aménager une chambre tendue de noir mais ouverte à tous les visiteurs. Elle s’informe, propose. C’est maintenant elle qui va diriger la France. La duchesse de Valentinois, Diane, qui n’avait que son statut de favorite, n’est plus rien. Elle va se montrer docile, très consciente de la haine que lui voue Catherine.
Elle fait immédiatement parvenir à la mère du nouveau souverain un coffret accompagné d’une lettre. Il contient les joyaux de la Couronne qu’elle avait reçus du Roi et la lettre une demande de pardon, un peu tardive… Mais Catherine de Médicis, qui sait que Diane est très proche des Guise et du parti catholique, ne s’acharne pas contre celle qu’elle appelle désormais “La mère Poitiers” ! Elle laisse à Diane tous ses biens, à l’exception de Chenonceau qu’elle lui échange contre le château de Chaumont où sa rivale ne viendra jamais…
A Chenonceau, Catherine se venge. Elle l’embellit en ajoutant une magnifique galerie sur le pont construit par Diane et invente un nouveau jardin, le sien, face à celui de la favorite. Désormais, Catherine va gouverner la France depuis le petit cabinet vert de ce château adoré.
Quant à Diane, elle s’enferme dans son château d’Anet, une sorte d’exil doré. Elle s’éteint le 22 septembre 1566 à l‘âge de 67 ans. On a découvert récemment qu’elle a sans doute été victime d’une intoxication à l’or, qu’elle absorbait en potions buvables pour retarder les ravages du temps. Personne ne la pleurera. Elle a pourtant réussi à construire un mythe qui se confond avec la beauté de ses portraits et de ses statues. Pendant ce temps, Madame Catherine, si longtemps bafouée et après une longue attente, est devenue un véritable reine de la Renaissance.
Ressources bibliographiques :
Didier Le Fur, Diane de Poitiers (Perrin, 2017)
Ivan Cloulas, Henri II (Fayard, 1985)
Jean des Cars, La saga des favorites (Perrin, 2013)
Jean des Cars, Des couples tragiques de l’Histoire (Perrin, 2020)