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SAISON 2023 - 2024, modifié à

Riche aristocrate russe, elle n’a pas marqué l’histoire de son vivant, mais de sa mort ! Sa sépulture, l’une des plus imposantes du célèbre cimetière du Père-Lachaise, est entourée d’une bien curieuse légende…  

Elisabeth Alexandrovna Stroganoff est née à Saint-Pétersbourg en 1779, dans une famille d’industriels prospère. À 16 ans, elle se marie avec le comte Nikolaï Demidoff. Leur union, arrangée, n’est pas très heureuse. Diplomate russe, Demidoff s’installe à Paris. Elisabeth tombe sous le charme de la capitale française qui se relève à peine de la Révolution. Mais les tensions géopolitiques croissantes entre le Premier Empire et l’Angleterre, alliée à la Russie, contraignent rapidement les Demidoff à quitter la France. Elisabeth compte cependant bien y retourner. Après avoir donné naissance à un deuxième fils, elle demande une séparation de fait avec son mari, savoure la liberté obtenue et retourne s’installer à Paris. Elle y meurt de maladie six ans plus tard, à 39 ans. Le cimetière du Père-Lachaise a été construit quinze ans plus tôt, pour décharger les autres nécropoles parisiennes. C’est là que l’aristocrate russe a choisi de se faire enterrer, sans regarder à la dépense. Sa dernière demeure est un gigantesque mausolée de marbre blanc, encore aujourd'hui l'une des plus impressionnantes tombes du cimetière.  

À l’époque, la sépulture ne fait pas l’objet d’une attention particulière. Mais en 1893, un article dans la presse américaine prétend qu’une princesse russe aurait laissé derrière elle un étrange testament. Il prévoirait d’attribuer la somme de cinq millions de francs à quiconque resterait à ses côtés dans le mausolée pendant une année complète ! Immédiatement, les prétendants accourent, persuadés de pouvoir faire fortune facilement…  

Thèmes abordés : cimetière du Père Lachaise, empire Russe, Napoléon Ier

 

"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio

- Présentatrice : Virginie Girod 

- Auteure : Solène Grandclaude

- Production : Caroline Garnier

- Réalisation : Nicolas Gaspard

- Direction artistique : Julien Tharaud

- Composition de la musique originale : Julien Tharaud et Sébastien Guidis

- Edition et Diffusion : Nathan Laporte

- Promotion et Coordination des partenariats : Marie Corpet

- Visuel : Sidonie Mangin

 

 

Bibliographie et ressources en ligne

Rumeurs et légendes urbaines - Jean-Bruno Renard 

The Victorian Book of the Dead - Chris Woodyard 

 

Le mausolée Demidoff 

https://perelachaisehistoire.fr/le-mausolee-demidoff/    

Article du Temps 

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2350328   

Chronologie de la légende 

https://www.davidcastleton.net/baroness-demidoff-pere-lachaise-cemetery-paris-glass-coffin-vampire-russian-princess-will/   

https://perelachaisehistoire.fr/le-mausolee-demidoff/   

 Nous sommes le 1er novembre 1896. Engoncé dans son manteau de laine, Adolphe Brisson frissonne. Le temps s'est bien refroidi à Paris, ces derniers jours, et le ciel fait grise mine. Il aurait préféré rester au lit ce matin, mais il a du travail. En tant que journaliste au quotidien Le Temps, il se doit d'être toujours sur le pont. Aujourd'hui, son rédacteur en chef l'a envoyé à l'est de Paris, au cimetière du père Lachaise. C'est la Toussaint et le journal a besoin de quelques histoires croustillantes !

Adolphe Brisson doit y rencontrer le conservateur. Il ne sait pas encore bien ce qu'il va lui demander mais il se dit qu'il pourra improviser. Ces gens qui voient passer les morts toute la journée ont toujours de bonnes anecdotes cachées dans les tiroirs. Il ne devrait pas avoir trop de mal à trouver une histoire qui fera mouche et qui plaira à son rédacteur en chef. L'entretien sera diffusé le lendemain. Le jour de la fête des morts, évidemment.

A son arrivée au cimetière, Adolphe Brisson est étonné d'être accueilli par un vieillard très jovial. Il s'attendait à rencontrer un homme austère, taiseux, à la mine triste. Quelqu’un qui aurait eu davantage l’air de côtoyer la mort à longueur de journée !

Le conservateur l'accueille dans son cabinet joliment décoré et encombré de paperasses. Après trente ans de bons et loyaux services au Père Lachaise, il a accumulé beaucoup de choses, mais surtout beaucoup d’histoires. Le journaliste ne sait toujours pas où orienter la conversation mais il a de la chance : le conservateur est un grand bavard. Il est tout disposé à raconter ses anecdotes mais il préfère prévenir Brisson : il n'aime pas beaucoup les journalistes. Quelques années plus tôt, l'un d'entre eux a affirmé que les hauteurs du Père Lachaise étaient remplies de lapins de garenne qui se laissaient attraper au collet en venant brouter l'herbe des tombes. Pendant des mois, le conservateur a dû chasser la foule à l'affût des lapins. Une vraie plaie. Et la princesse russe, ah la la, cette princesse russe, quelle histoire ça aussi…

La curiosité du journaliste est piquée. Des histoires de lapins, ce n'est pas forcément intéressant mais une princesse russe… Le conservateur sent qu'il a éveillé l'intérêt de son interlocuteur. Il leur sert à tous les deux un petit verre, va s'asseoir dans son fauteuil en cuir, et commence à raconter l'étrange histoire de la comtesse Demidoff, enterrée non loin de là.

Enfance paisible et mariage arrangé

Elisabeth Demidoff naît le 5 février 1779 à Saint-Pétersbourg, la capitale du puissant empire russe, sous le nom d'Elisabeth Alexandrovna Stroganoff. C'est une femme bien née. Son père est un riche industriel de la capitale. Il a fait fortune dans le sel et la fourrure et possède plus de 200 000 hectares de terres dans l'empire. La mère d'Elisabeth, quant à elle, est connue pour être d'une rare beauté, ce qui lui vaut d'être dame d'honneur pour Catherine II.

Elisabeth Stroganoff vit une enfance paisible, profitant de la fortune de ses parents aristocrates. Elle bénéficie d'une éducation de qualité, et voyage dès son plus jeune âge. Elle découvre l'Europe, et apprécie particulièrement l'Italie et la France.

Mais sa vie prend une autre tournure à ses 16 ans. On lui demande d'épouser un comte, un certain Nikolai Demidoff, de six ans son aîné. Elle n'est pas très enthousiaste. Mais elle sait qu'elle n'a pas vraiment le choix. C'est une aristocrate et Demidoff est un comte. Un comte très riche, qui plus est, un excellent parti donc. Elle finit par accepter et le couple se marie en Toscane en 1795. Elisabeth n'a que dix-sept ans. Il faut bien vous l'avouer, le mariage n'est pas heureux. La comtesse est une femme jeune, presque toujours joyeuse et dont la beauté est vantée partout où elle passe. Le comte, lui, est plutôt taciturne, tourné vers son travail. Il ne montre que peu d'intérêt pour les choses de l'amour… ou pour son épouse, d'ailleurs. Ils sont trop différents.

Un an après leur union, Elisabeth donne tout de même naissance à leur premier enfant, un petit garçon nommé Paul. Elle est quelque peu soulagée, elle a fait son devoir d’épouse. Elle vient de donner un descendant à son époux, à sa lignée. Mais cela ne renforce en rien les liens du couple. Le comte reste indifférent et Elisabeth s’ennuie ferme.

Deux ans après la naissance de Paul, une bonne nouvelle vient mettre un peu de piment dans la vie de la jeune femme. Son mari a été nommé diplomate. Ils doivent s'installer à Paris. Et autant vous le dire tout de suite, ce sera le début d'une vie beaucoup plus mouvementée…

Elisabeth Demidoff et Bonaparte

Le couple s'installe à l'hôtel particulier de Brancas, dans l'actuel 6e arrondissement. C'est une demeure cossue, située au cœur de la capitale. Elisabeth a à peine posé ses valises qu'elle tombe amoureuse de l'endroit. Il ne lui faut pas longtemps pour développer les mêmes sentiments à l'égard du quartier, puis de la ville.

A Paris, la vie est redevenue paisible pour les aristocrates qui n'ont plus vraiment à craindre les sombres conséquences de la Révolution. Le soulèvement du peuple semble loin, de même que la Terreur. A vrai dire, depuis moins d'un an, la France est devenue un Consulat, avec à sa tête, un certain Napoléon Bonaparte… Elisabeth se prend d'affection pour cet homme charismatique. Il est peut-être un peu impétueux mais il a un tempérament de leader, et de grandes ambitions, des qualités qu'elle admire. Il ne lui faut pas longtemps pour être complètement acquise à sa cause. Et pour une fois, les deux époux s'entendent sur un sujet : Nicolas Demidoff devient lui aussi un grand défenseur du Premier Consul. Quatre ans après l'installation du couple à Paris, la France est proclamée Empire et Bonaparte devient Napoléon Ier. C'est une grande victoire pour eux !

Mais leur bonheur est de courte durée. Les grandes ambitions du nouvel empereur font de lui un homme dont les autres puissances se méfient. William Pitt, le premier ministre britannique, en est particulièrement conscient. Son sentiment anti-français prend le dessus et il décide de briser le traité d'Amiens, qui assurait la paix entre la France et la Grande-Bretagne. Napoléon mobilise son armée, prêt à envahir la perfide Albion.

William Pitt sait qu'il a l'avantage en mer, mais que ses troupes ne tiendront pas une semaine si la Grande Armée de Napoléon pose le pied sur le sol britannique. Il décide de former une coalition avec trois autres pays : l'Autriche, la Suède… et la Russie. C'est une très mauvaise nouvelle pour le couple Demidoff. A Paris, la tension monte et le sentiment anti-russe est de plus en plus oppressant. Nicolas Demidoff qui, vous vous en souvenez sûrement, est diplomate, est rappelé par la Russie. Elisabeth fait ses bagages, la mort dans l'âme.

Le retour à Paris

Toutefois, la famille ne rentre pas en Russie et préfère poser ses valises en Italie, où ils passent plusieurs années. Mais la dolce vita n'arrange pas les tensions dans le couple. Les deux époux sont trop différents. En 1811, Elisabeth tombe tout de même enceinte et Nicolas décide qu'ils doivent maintenant rentrer en Russie.

Pour la comtesse, c'est la goutte d'eau ! Ils s'installent à Moscou alors qu'elle est enceinte jusqu'au cou et elle donne naissance à un deuxième fils, Anatole, en avril 1812. Mais elle ne peut plus supporter son mari. A l'époque, on ne peut pas divorcer en Russie, encore moins chez les aristocrates, mais qu'à cela ne tienne ! A peine remise de son accouchement, elle demande une séparation de fait. Concrètement, ils ne divorcent pas mais ils ne sont plus obligés de se côtoyer. Il accède à sa demande sans rechigner. Lui non plus, n'aime pas beaucoup sa femme…

A 33 ans, Elisabeth Demidoff savoure enfin la liberté qui lui a fait défaut toute sa vie. Pour fêter ce nouveau départ, elle prend une décision radicale : elle retourne s'installer à Paris. Il ne lui faut que quelques semaines pour plier bagage et faire le voyage jusqu'à la capitale française. Elle s'installe dans d'autres appartements et jouit d'une vie luxueuse… qui sera malheureusement de courte durée. En 1818, six ans après son retour à Paris, Elisabeth Demidoff contracte une maladie inconnue. Elle meurt quelques semaines plus tard, à l'âge de 39 ans seulement.

La comtesse, qui avait vécu une vie sans trop de tumultes, aurait pu rester dans l'anonymat le plus complet. Mais c'est dans la mort qu'elle va se forger une réputation…

Le caveau d'Elisabeth Demidoff

Elisabeth Demidoff avait choisi de se faire enterrer dans le nouveau cimetière du Père Lachaise. Au moment de sa mort, c'est un cimetière assez neuf, construit moins de quinze ans plus tôt pour décharger les autres nécropoles de la capitale. Et pour son tombeau, elle n’a pas regardé à la dépense. Elle s’est fait construire un gigantesque mausolée de marbre blanc, posé sur un socle frappé des symboles de la famille Demidoff : un marteau de forgeron, une zibeline et un loup. Elle ne voulait pas d'un simple cercueil ! Eh bien, c’est réussi !

Dans le caveau, on dit que le sol est fait de marbre précieux et que le cercueil est en cristal de roche. Aujourd'hui encore, la tombe est l'une des plus impressionnantes du cimetière. Vers 1852, le mausolée est déplacé de la 39e à la 19e division, où il se trouve toujours. En dehors des visiteurs qui jugent la tombe de très mauvais goût, la comtesse ne fait l'objet d'aucun commentaire pendant plusieurs décennies. Jusqu'à ce qu'un Américain mette son petit grain de sel !

Une annonce dans le journal

Le 25 octobre 1893, aux Etats-Unis, le Chicago Daily Tribune publie un tout petit article, qui raconte l'histoire d'une princesse russe, morte cinq ans auparavant, et qui aurait laissé derrière elle un bien étrange testament. Dedans, elle promet la somme de cinq millions de francs (soit un million de dollars) à quiconque resterait à ses côtés dans le mausolée pendant une année complète.

L'article déchaîne les passions outre-Atlantique et est repris par d'autres journaux, qui donnent de nouveaux détails. Non seulement, le testament stipule qu'il faut rester un an avec la princesse, mais que celui qui accepte le défi doit rester dans la solitude la plus totale. Le repas est apporté par une servante et une promenade par jour peut être accordée, seulement quand les portes du cimetière sont closes.

A la fin de l'automne 1893, le conservateur du cimetière du Père Lachaise reçoit une lettre. Elle est étrange, cette lettre, il n'en reçoit pas souvent, des comme ça ! Déjà, elle est écrite en anglais. Comme il ne le parle pas, il faut traduire le contenu. Quelle n'est pas sa surprise quand il découvre qu'elle a été écrite par un Américain, qui demande à passer toute une année dans le caveau Demidoff en échange d'un million de dollars ! Ces Américains sont vraiment fous à lier, pense-t-il…

Sauf qu'il reçoit une deuxième lettre. Puis trois, puis quatre, puis des centaines ! Certaines sont écrites en anglais, et d'autres en français ! La rumeur s'est répandue comme une traînée de poudre et même certaines gazettes de France reprennent le sujet. Le conservateur croule sous les demandes, il ne sait plus vraiment où donner de la tête.

Mais la richissime comtesse Demidoff a-t-elle vraiment écrit un tel testament ? Et surtout, des intrépides ont-ils finalement relevé le défi ?

Le secret du testament

Vous l'avez sans doute vite compris, il est peu probable qu'Elisabeth Demidoff ait laissé ce testament derrière elle. En tout cas, nous n'en avons aucune trace écrite, ni au cimetière, ni dans les Archives de Paris. Mais alors, d'où vient cette étrange légende ?

Si vous avez fait le calcul, vous avez sans doute réalisé que le tout premier article paru dans le Chicago Daily Tribune contient au moins deux fausses informations. D'une part, il précise qu'Elisabeth est une princesse, alors qu'elle est comtesse. D'autre part, la date de sa mort est placée cinq ans avant la parution de l'article, soit en 1888. Or, Elisabeth Demidoff est morte 70 ans plus tôt. Mais il faut bien avouer que l'histoire d'une princesse russe morte récemment est sans doute plus vendeur…

Le contenu du testament s'explique facilement. A l'époque, la peur d'être enterré vivant pouvait provoquer une véritable panique chez certaines personnes. Ce qui explique peut-être pourquoi Elisabeth Demidoff aurait pu rédiger ces termes dans son testament.

Quant à savoir pourquoi la rumeur s'est répandue comme une traînée de poudre, la fascination pour le morbide connaissait un véritable regain de popularité au moment de la parution de l'article. La révolution industrielle était loin d'avoir balayé toutes les superstitions.

Mais alors, des téméraires ont-ils finalement pu tenter l'expérience ? On raconte que oui. Aucune preuve tangible n'existe, mais on peut évidemment compter sur les rumeurs. Autant vous dire que ceux qui auraient tenté l'expérience, et ils ne seraient qu'une poignée, n'ont pas très bien fini. La plupart ne seraient restés que quelques jours, avant de crier, de supplier qu'on les laisse sortir. Un homme serait devenu complètement fou, et un autre serait mort d'une crise cardiaque à peine quelques heures après avoir été libéré du tombeau. Certains candidats auraient entendu des sons mystérieux, qui n'appartiennent pas à ce monde, ou auraient avoué avoir été paralysés de terreur. On raconte que d'autres seraient sortis du mausolée couverts de bleus et d'écorchures.

Bref, vous l'aurez compris, il faut être bien téméraire pour oser s'approcher du caveau de la comtesse Demidoff, qui repose dans son étrange cercueil de verre. Vous ne recevrez sans doute pas l'héritage de la riche comtesse russe, mais vous pouvez toujours admirer le mausolée qui domine le cimetière du Père-Lachaise de toute sa hauteur. Pour l'apercevoir, rendez-vous dans les allées de la 19e division, vous pourrez difficilement le manquer !

On ne sait pas si l'actuel conservateur du Père Lachaise continue de recevoir des lettres de téméraires prêts à tenter l'expérience. Ce qui est sûr, c'est qu'Adolphe Buisson a bien publié son article dans Le Temps, le jour de la fête des morts. Comme une bonne blague qui résiste aux effets du temps.

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