En 1952, Elizabeth II et son époux, le prince Philip partent pour un long voyage à travers le Commonwealth, de l’Afrique du Sud à la Nouvelle-Zélande. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars vous raconte comment la reine a depuis ce voyage réussi à forger un lien très fort avec les pays membres de cette organisation.
Comme hier la décolonisation, le Brexit menace le Royaume-Uni. Depuis le début de son règne, la reine s'appuie sur une organisation économique et affective : le Commonwealth. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars vous raconte comment Elizabeth II a bâti un lien indéfectible avec cette communauté d'Etats appartenant à l'ancien Empire britannique.
La princesse héritière Elizabeth a très peu voyagé dans son enfance et son adolescence. La guerre l’en a empêché. Son premier grand périple, c’est avec ses parents et sa sœur Margaret qu’elle l’effectue, en 1947, en Afrique du Sud. A la veille de son mariage avec Philip, elle découvre, pour la première fois, un Etat membre de cette association appelée Commonwealth, littéralement "Communauté de Richesses". En Afrique du Sud, la période n’est pas faste. Les prochaines élections risquent d’installer l’apartheid. Néanmoins, c’est au Cap, le 21 avril 1947, jour de ses 21 ans, qu’elle prononce son premier discours de princesse héritière : " Je déclare devant vous tous que toute ma vie, qu’elle soit longue ou courte, sera dédiée à votre service et au service de notre grande famille du Commonwealth, empire auquel nous appartenons tous".
C’est le premier engagement de la future Elizabeth II à l’égard du Commonwealth. Après leur mariage et la naissance de leurs deux premiers enfants, Charles et Anne, le couple princier part le 31 janvier 1952 pour un long voyage à travers le Commonwealth, de l’Afrique à l’Australie et à la Nouvelle-Zélande. C’est un périple que son père, le roi George VI, voulait accomplir depuis son avènement. La guerre l’en avait empêché. Maintenant, c’est sa très mauvaise santé qui le lui interdit. Une photo nous le montre, amaigri, fatigué, dans un dernier salut de la main à sa fille et à son gendre : il a tenu à les accompagner à l’aéroport et à voir partir leur avion.
Leur première destination est le Kenya. Ils séjournent dans un hôtel dont certaines chambres, notamment la leur, sont aménagées dans des arbres. Le 6 février 1952, Elizabeth y apprend la mort de son père. Elle est désormais reine. Elle regagne Londres. Le voyage à travers le Commonwealth est annulé. Il est reporté. Elle ne le fera qu’après son couronnement, en juin 1953. Mais qu’est-ce que le Commonwealth ? Et pourquoi est-il aussi important pour la monarchie britannique ?
L’invention du Commonwealth
Depuis le milieu du 19ème siècle, l’Empire de la reine Victoria évolue dans le sens d’une libéralisation croissante des relations entre l’Angleterre et ses colonies. Lorsque les colonies canadiennes se fédèrent et se dotent d’un gouvernement autonome, Londres va inventer une appellation nouvelle pour un Etat qui n’est plus une colonie : le Dominion du Canada en 1867. Le terme s’appliquera plus tard, en 1901, également à la Nouvelle Fédération Australienne puis à la Nouvelle-Zélande en 1907. L’adhésion est volontaire, les membres étant uniquement liés par un commun serment d’allégeance à la Couronne britannique.
Le terme de Dominion s’étendra donc à toutes les anciennes colonies reconnaissant le souverain de Grande-Bretagne comme chef du Commonwealth. La Première Guerre mondiale a fortement accéléré cette évolution. Dans les négociations de paix de l’après-guerre, la complète souveraineté des Dominions est reconnue. Le terme de Commonwealth à la place de celui d’Empire, apparaît pour la première fois en 1922, dans le Traité de Londres qui reconnaît un nouveau Dominion, l’Etat Libre d’Irlande.
Mais c’est en 1931 que le Statut de Westminster substitue, juridiquement, au terme d’Empire celui de Commonwealth. Une Communauté de Nations. Il comprend le Royaume-Uni, ses colonies, ses protectorats et un groupe d’Etats indépendants toujours liés par leur serment d’allégeance à la Couronne Britannique et par leur libre volonté d’association. L’Empire se métamorphose. Une tentative est faite pour ressusciter une solidarité économique afin de faire face à la grande dépression. En 1932, les accords d’Ottawa, capitale du Canada, établissent la préférence impériale. Le résultat n’est pas un très grand succès. Des divergences économiques subsistent entre les divers membres. La Seconde Guerre mondiale fait disparaître les dernières survivances du système impérial.
En décembre 1946, Clement Attlee, Premier ministre britannique, demande à lord Mountbatten, héros de la guerre en Birmanie, s’il accepterait le poste de Vice-Roi des Indes. Il devra, en fait, négocier l’indépendance de l’Inde. C’est une décision déchirante pour le roi George VI et son gouvernement. Churchill, alors dans l’opposition, y est farouchement opposé mais c’est une nécessité : l’Inde est en effervescence et réclame son indépendance.
Mountbatten est atterré. Il va voir le roi George VI et lui fait part de son inquiétude, jugeant qu’il s’agit d’une mission impossible. Mais le souverain lui demande de l’accepter. Mountbatten va être, avec l’aide de Nehru et de Gandhi, le principal artisan de l’indépendance de l’Inde et du nouvel État, musulman, du Pakistan en 1947. Le 15 août 1947 est le jour de l’indépendance. Les cérémonies se succèdent. Mountbatten est acclamé dans les rues de Delhi. Nehru, Premier Ministre de l’Inde indépendante, se lève pour proposer un toast au roi George VI et fait cette déclaration : "Tout le monde a pu voir avec quel enthousiasme la foule a célébré ce grand jour... Maintenant que l’Inde a acquis son indépendance, le peuple n’a pas seulement manifesté sa joie, il a également montré à quel point son attitude avait changé à l’égard des Britanniques... Quelles que soient à l’avenir les relations entre l’Inde et la Grande-Bretagne, je suis convaincu que l’amitié entre les deux peuples restera intangible ".
On sait que la partition entre l’Inde et le Pakistan entraîne des déportations massives de populations et des massacres épouvantables. Cependant, le Royaume-Uni avait géré de main de maître cette difficile décolonisation. L’Inde et le Pakistan sont complètement indépendants mais font partie du Commonwealth. Il en sera de même pour Ceylan. En revanche, en 1948, tandis que le mot Dominion n’est plus en usage, deux autres Etats accèdent à l’indépendance mais se retirent du Commonwealth, la Birmanie et la République d’Irlande, l’Eire. Ils utilisent le droit de sécession, reconnu par le statut de Westminster de 1931.
L’Afrique du Sud, en 1961, et la Rhodésie, en 1964, feront de même. Mais, même si l’on part, un retour est toujours possible. Dès 1950, le serment d’allégeance à la Couronne britannique n’était plus une condition obligatoire pour appartenir au Commonwealth.
Elizabeth II et Philip visitent le Commonwealth
C’est après les fastes de son sacre et de son couronnement le 2 juin 1953 que la reine Elizabeth II va enfin, accompagnée du prince Philip, commencer le grand périple à travers le Commonwealth, tant de fois reporté. Ils seront absents six mois, de novembre 1953 à mai 1954. Leurs deux enfants, Charles et Anne, devront s’habituer aux longues absences de leurs parents. Ils sont confiés à leur chaleureuse grand-mère, la reine mère Elizabeth, la veuve de George VI. Noël 1953 se passera avec elle à Sandringham. A ce moment-là, Elizabeth et Philip sont à l’autre bout du monde en Nouvelle-Zélande, après un long périple africain.
C’est en Libye, à Tobrouk, en mai 1953, qu’ils vont retrouver leurs enfants. Ceux-ci sont si troublés de les retrouver après une si longue absence qu’au lieu de les embrasser, ils leur tendent respectueusement la main ! Charles et Anne sont arrivés à bord de ce qui va devenir le mode préféré de déplacement de la reine, le magnifique yacht royal Britannia. Construit dans le chantier écossais de Clyde Bank, ce bateau, voulu par le roi George VI, avait été baptisé par la reine le 16 mars 1953, trois mois avant son couronnement. Les finitions intérieures n’étaient pas achevées.
C’est un magnifique navire de 127 m de long, destinés aux périples officiels du couple royal jusqu’à son désarmement en 1997, pour le plus grand chagrin de la reine. Ce yacht, Elizabeth et Philip l’ont aménagé à leur goût. Ils en ont décidé les moindres détails. La reine dira du Britannia : "C’est la seule maison que nous ayons construite ensemble." Pendant quarante-trois ans, le Britannia transportera le couple royal pour tous ses voyages officiels à travers le Commonwealth et le reste du monde. Ce sera aussi le bateau familial qui conduit, chaque été, la reine et ses proches en Ecosse.
A partir de 1961, la reine Elizabeth II et le prince Philip entreprennent une série de voyages à travers l’ancien Empire. Ils sont envoyés en mission par le nouveau Premier ministre, Harold Macmillan. Ces périples ont, en effet, un but économique. Le chef du gouvernement vient d’établir un tarif douanier particulier pour toutes les anciennes colonies dont la souveraine demeure le chef d’Etat. Le couple accomplit ces voyages avec un grand professionnalisme. Partout, il reçoit un accueil chaleureux, souvent coloré. Le premier de cet immense circuit est un voyage en Inde. Il est important. Le seul souverain britannique à s’être rendu en Inde était le grand-père de la reine, le roi George V en compagnie de la reine Mary, en novembre 1911. Le président de la République indienne les accueille en leur disant :"Notre relation avec le Royaume Uni fait partie de notre histoire des deux cents dernières années ".
Malgré l’indépendance, les liens restent forts. La reine assiste à la parade spectaculaire de Republic Day avant d’aller déposer une couronne de 400 roses blanches sur la tombe du Mahatma Gandhi.
Elizabeth II est éblouissante, changeant de toilette deux à trois fois par jour. Des promenades à dos d’éléphant jusqu’aux dîners de gala où elle apparaît étincelante en robe du soir, étincelante de diamants, en portant les joyaux de la Couronne. Elle sait que lors de ses apparitions, elle doit être particulièrement visible et capter l’attention du public. Sa mère lui a parfaitement appris comment doit se comporter une reine. Philip chasse le tigre et fait un carton. En Inde, on applaudit. A Londres, on est plus réservé...
Au Ghana, la reine est acclamée
Un autre voyage dans le Commonwealth, en Afrique celui-là, sera plus délicat. En 1959, la reine avait dû renoncer, en raison de sa grossesse (elle attendait Andrew) à un voyage officiel au Ghana, en Afrique occidentale, Le Ghana est un Etat issu de l’ancien Togo britannique et de la Gold Coast. Elle s’en était excusée auprès du président ghanéen, le docteur N’Krumah, très susceptible et très fier d’être à la tête de la première colonie africaine ayant acquis son indépendance. Il avait été si déçu qu’il avait déclaré : "Si on l’avait annoncé la mort de ma propre mère, le choc aurait été moindre !"
Puisque la reine ne pouvait venir, il était venu la voir à Balmoral et était tombé sous son charme. Elizabeth II lui avait promis de venir le visiter dans son pays. Un nouveau voyage au Ghana était prévu en 1961. Mais entre-temps, la situation s’était détériorée dans ce pays : N’Krumah procédait à des purges qui décourageaient même ses partisans. Après un voyage à Moscou, il s’était séparé de tous ses conseillers occidentaux. La "Guerre Froide " gagnait l’ Afrique.
Macmillan demande à la Reine de renoncer à son voyage. Il le juge risqué pour sa sécurité et aussi choquant qu’inutile pour l’opinion : le Ghana est tout sauf une démocratie. C’est un désaccord majeur entre la Reine et son Premier ministre. C’est une première pour la Reine mais il y en aura d’autres, notamment avec Margaret Thatcher.
Mais pour Elizabeth II, il s’agit d’un point d’honneur. Elle a fait une promesse au président N’Krumah et elle la tiendra. Elle se rend, avec Philip, au Ghana en novembre 1961. C’est la première visite d’un souverain britannique dans ce pays. A Londres, la presse se déchaîne. Ce voyage est à haut risque et totalement inopportun. Et pourtant, tout va bien se passer. Le président N’Krumah considère qu’il s’agit d’un moment historique pour le Ghana. Elizabeth II prend place dans une somptueuse Rolls-Royce appartenant à...un chef de tribu du centre du pays : dans un État marxiste, les limousines britanniques ont toujours leur place.
A Accra, la capitale, lors d’une fastueuse réception, la Reine, en robe de satin et coiffée d’un diadème historique, danse une rumba avec le chef d’Etat africain. Il est enthousiasmé. La photo fait la une des journaux du monde entier. Dans sa satisfaction le président N’Krumah qualifie Elizabeth II de "plus grand monarque socialiste dans l’histoire du monde ! ".
Le voyage "à haut risque " s’est transformé en triomphe. La Reine a marqué un point en persistant à maintenir les liens avec le Commonwealth, y compris en se rendant, en pleine Guerre Froide, dans un Etat qui a ostensiblement basculé du côté de l’URSS. Elizabeth II a démontré que la diplomatie royale pouvait être efficace.
En 1964, le général de Gaulle met un veto formel à l’entrée de la Grande Bretagne dans la CEE. La Reine, face à ce camouflet spectaculaire, va reprendre ses longs voyages à travers le Commonwealth. Elle commencera par l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Elle veut démontrer que si l’appartenance à l’Europe est importante, le Commonwealth est une entité vivante, un prolongement irremplaçable et nécessaire de l’ancien Empire.
La reine du Commonwealth
En 68 ans de règne, Elizabeth II n’a jamais dévié de ses convictions. Si elle s’est montrée profondément européenne quand le Royaume-Uni a adhéré à l’Union Européenne, elle a persisté à penser que le Commonwealth était nécessaire au Royaume-Uni. Elle n’a jamais manqué une réunion des chefs d’Etats du Commonwealth qu’elle préside.
En 2019, en pleine incertitude sur le Brexit, elle a présidé, à Londres, un sommet particulièrement important. Il s’agissait de renforcer les liens et notamment les échanges commerciaux avec les pays de l’ancien empire colonial alors que le Royaume-Uni se préparait à quitter l’Union Européenne. Le commerce entre les 53 pays membres de l’organisation devrait progresser de 17% pour atteindre 700 milliards de dollars dans l’année.
L’hebdomadaire "The Economist " a refroidi un peu cet enthousiasme en affirmant que le Commonwealth est "une agréable illusion ". Elizabeth II ne semble pas de cet avis car pour elle, même si les échanges commerciaux sont extrêmement importants, ce qui compte le plus est que le Commonwealth est une famille et on sait combien Elizabeth II est attachée à cette notion de famille.