Au début du 20ème siècle, la voix d'une Britannique s'éleva pour réclamer le droit de vote pour les femmes. Dans ce nouvel épisode de "Au coeur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des cars dresse le portrait d'une femme déterminée qui fut à l'origine du mouvement des suffragettes en Grande-Bretagne : Emmeline Pankhurst.
Elles menèrent un long combat pour obtenir le droit de voter. A l’occasion de la journée des droits des femmes, Jean des cars revient sur l’histoire de ces Britanniques qui, au début du 20ème siècle, bousculèrent l'ordre patriarcal. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, découvrez l'histoire des suffragettes britanniques et de leur leader, Emmeline Pankhurst.
Ministre de l’Intérieur du Gouvernement britannique, Herbert Gladstone (fils d’un Premier Ministre de la reine Victoria) avait mis les suffragettes au défi. Dans un discours au Parlement, il avait expliqué que dans toutes les grandes crises du 19ème siècle, les résultats n’avaient pu être obtenus que parce que les partisans des réformes se réunissaient par dizaines de milliers dans tout le pays.
Il avait ajouté, imprudemment :
" Il ne fallait pas s’attendre à ce que les femmes puissent réunir ce type de foules, mais le pouvoir appartient à la foule et à travers ce pouvoir, un gouvernement peut être poussé à l’action plus efficacement que dans les conditions actuelles. "
Une manifestation au cœur de Londres
De cette façon, le ministre pensait clore les réclamations incessantes des suffragettes pour obtenir le droit de vote des femmes. C’était sous-estimer la présidente de l’Union Sociale et Politique des Femmes, Emmeline Pankhurst.
Celle-ci décide aussitôt de relever le défi. Elle fixe au 21 juin 1908 la date d’une énorme manifestation à Hyde Park, au coeur de Londres. La plus grande foule qui avait été rassemblée en cet endroit était de 72.000 personnes. Emmeline table sur 250.000 manifestants... au moins !
Pendant les mois qui précèdent la manifestation, le mouvement dépense plus de 1.000 Livres en publicité. Londres et les principales villes de province du royaume se couvrent de grandes affiches. Elles représentent les femmes qui présideront les plateformes à partir desquelles les discours seront prononcés. Elles placardent aussi les trajets par lesquels les sept cortèges doivent passer. Pendant des semaines, une petite armée de militantes écrit des annonces à la craie sur les trottoirs. Elles distribuent des tracts, font du porte à porte pour convaincre les femmes de se déplacer. Le mouvement invite tout le monde, y compris les membres des deux Chambres du Parlement, la chambre des Communes et la chambre des Lords.
Quelques jours avant la manifestation, une certaine Mme Drummond loue et décore un petit bateau qui remonte la Tamise jusqu’au Parlement de Westminster à l’heure où les députés prennent un verre avec leurs amis sur la terrasse. Tout le monde quitte les tables et se rassemble au bord de l’eau où le bateau est arrêté. D’une voix forte, Mme Drummond lance son invitation au Conseil des Ministres et aux parlementaires de se joindre à la manifestation des femmes dans Hyde Park. On appelle la police. Mais le bateau est déjà loin lorsqu’elle arrive...
Une foule immense, un triomphe
Le dimanche 21 juin est une journée radieuse. Le soleil brille sur Londres et la foule est immense. Laissons parler Emmeline Pankhurst :
" Quand je montai sur mon estrade à Hyde Park, j’évaluai les foules impressionnantes et innombrables qui arrivaient de toutes les directions, je fus remplie d’un étonnement mêlé de crainte. Jamais je n’aurais pu imaginer possible de réunir tant de monde pour une manifestation politique. C’était un spectacle grandiose, heureux et magnifique, car les robes blanches et les chapeaux des femmes, garnis de fleurs, donnaient au parc l’aspect d’un vaste jardin en pleine floraison. "
Des clairons sonnent. Ils annoncent les discours des oratrices de chacune des vingt estrades. En l’absence de micro, seul le tiers ou la moitié du public peut entendre les discours. Malgré tout, le public reste jusqu’au bout. A 17 h, les clairons sonnent la fin des interventions. La grande manifestation se disperse après avoir crié trois fois : "Vote pour les femmes!".
Pas un incident ne vient troubler la dispersion. Le lendemain, le Times écrit: "Les organisatrices avaient compté sur la présence de 250.000 personnes. Cet objectif a certainement été atteint et probablement doublé; il serait même difficile de contredire une personne qui affirmerait qu’il a été triplé. Comme les distances et le nombre des étoiles, les faits ont été au-delà du seuil de perception."
Quant au Daily Express, il déclare :"Il est probable que jamais, en Angleterre, autant de gens n’ont été réunis au même endroit; Les personnes qui, il y a des années, avaient vu les grandes manifestations de Gladstone virent que ce n’était rien comparé à hier". Le gouvernement va-t-il céder ? Pas sûr…
Mais qui est donc Emmeline Pankhurst capable de mobiliser tant de monde autour d’elle pour défendre sa cause ?
Emmeline Pankhurst : une femme engagée et progressiste
Emmeline Goulden est née en 1858 à Manchester dans une famille aisée, progressiste et très engagée. L’un de ses premiers souvenirs d’enfance est celui d’une kermesse qui avait pour but de recueillir des fonds pour soulager la misère des esclaves noirs nouvellement émancipés après la Guerre de Sécession aux Etats-Unis. Elle assistait alors sa mère avec un sac à surprises pour collecter de l’argent. Ses lectures d’enfant sont L’Odyssée et La case de l’oncle Tom.
A 15 ans, on l’envoie à Paris parfaire ses études dans une institution pionnière en Europe pour l’éducation supérieure des jeunes filles. Elle passe quatre ans dans cette chic et vieille maison de l’avenue de Neuilly. De retour à Manchester chez ses parents, son père la pousse à travailler pour le Mouvement en faveur du vote des femmes. En effet, depuis les années 1840, le vote des femmes était défendu par des hommes politiques comme Disraeli et le philosophe John Stuart Mill. Mais le Premier ministre Gladstone et la reine Victoria y étaient farouchement opposés.
Le premier mouvement des suffragettes, ces femmes demandant leur droit de vote, avait été fondé en 1865 par le docteur Pankhurst, un avocat, qui défendait ardemment les femmes tentant, en 1868, à Manchester, de s’inscrire sur les listes électorales. C’est un ami de la famille d’Emmeline. Et elle l’épouse en 1879. Elle a alors 21 ans. Elle aime profondément son mari, plus âgé qu’elle. Ils auront quatre enfants. Les deux aînées, Christabelle et Silvia, seront, plus tard, les collaboratrices de leur mère.
Mais en 1898, son mari meurt. Emmeline doit s’occuper seule de ses quatre enfants. Elle doit travailler. Elle est nommée au bureau d'État-Civil des naissances et décès de Manchester. Le quartier dans lequel elle travaille est un quartier ouvrier. Elle voit de près la misère et prend conscience de la triste condition des petites filles dans cette cité ouvrière. Elle raconte avoir vu des gamines de 13 ans venir à son bureau pour enregistrer les naissances de leurs bébés. Dans bien des cas, elle découvre que le responsable est le propre père de la fillette ou un parent proche…
Emmeline est consciente qu’elle doit continuer l’oeuvre de son mari. Pour elle, seul le droit de vote des femmes leur permettra de peser sur les décisions politiques. Après avoir milité au Parti Travailliste puis au Parti Libéral, elle se rend compte que seuls les hommes prennent les décisions.
C’est ce qui la décide à fonder, en octobre 1903, l’Union Sociale et Politique des Femmes, libre de toute affiliation à un parti. Leur devise est : "Des actes, pas de mots!" Et leur but est d’obtenir le droit de vote. Elles seront l’aile marchante des suffragettes.
Emmeline Pankhurst entre en campagne
Elles commencent par harceler les hommes politiques au cours de leurs meetings. Toujours sur la question du vote féminin. Le jeune Winston Churchill est une de leurs cibles préférées. En 1905, la fille d’Emmeline, Christabelle, devient son adjointe ainsi qu’une jeune fille, ouvrière du textile, Annie Kenney. Très vite, elles s’aperçoivent que c’est à Londres que se fait la politique. Elles décident de s’y installer. Elles tentent d’atteindre les membres du gouvernement.
Et comme on leur refuse l’entrée du Parlement, Christabelle et Annie commencent à haranguer la foule. Elles sont arrêtées, jugées et écopent d’une semaine de prison. Dès lors, la prison devient la menace principale que le gouvernement utilise pour faire taire les suffragettes.
Le 19 février 1906 a lieu à Londres la première manifestation pour le droit de vote des femmes. Entre 300 et 400 femmes, des ouvrières de l’East End mais aussi des femmes de la bourgeoisie et certaines aristocrates sont avec elles. L’Union Sociale et Politique des Femmes voit se multiplier les adhésions. Toute femme peut en devenir membre en payant un shilling. Elles doivent s’engager à adhérer à leur programme et à ne pas travailler pour un parti politique, quel qu’il soit, tant que le vote des femmes n’est pas obtenu. Leurs interventions lors des campagnes électorales ont souvent pour but d’empêcher l’élection des candidats libéraux qui ne les soutiennent pas. Elles obtiennent des succès mais souvent aussi, elles sont tournées en ridicule…
Elles se rendent régulièrement au Parlement pour présenter des messages au Premier ministre lui demandant d’intervenir en leur faveur. L’échec est constant. Leur volonté de se maintenir sur place entraîne des représailles et des arrestations. Mais rien ne les décourage !
Emmeline et sa fille emprisonnées
Pour marquer un grand coup, elles décident d’organiser la grande manifestation à Hyde Park, en juin 1908, celle dont je vous ai parlé au début de notre récit. Comme le Cabinet ne bronche pas, Emmeline et sa fille Christabelle organisent une grande réunion à Trafalgar Square où elles prennent la parole sur le socle du monument de Nelson. Il y a un monde fou! Même Lloyd George, Chancelier de l'Échiquier, c’est à dire ministre des Finances, y assiste ! La police aussi, bien sûr, qui prend des notes pendant les discours des femmes. Le lendemain, 12 octobre, la mère et la fille sont arrêtées. Elles sont inculpées pour avoir commis un acte illégal en distribuant un tract appelant le public à se précipiter à la chambre des Communes, à 19 h 30, le 15 octobre.
Le procès a lieu dès le lendemain. Christabelle, inculpée, prononce sa première plaidoirie d’avocate ! Elle demande d’abord à être jugée devant un jury car elle se considère comme une prisonnière politique. Le magistrat refuse. A l’audience suivante, le premier témoin est le ministre Lloyd George. Christabelle, qui plaide toujours, lui demande si dans les discours qu’il a entendus à Trafalgar Square il y avait des appels à la violence ou à la destruction de biens. L’accusée ridiculise le ministre ! Le procès dure encore plusieurs jours.
Et avant le verdict, Emmeline demande la parole :
" Notre principe a toujours été d’être patientes, de faire preuve de retenue, de montrer à nos soi-disant supérieurs que nous ne sommes pas hystériques, de ne pas utiliser la violence mais plutôt de nous offrir à la violence des autres… Nous sommes ici, non pas parce que nous sommes hors-la-loi, mais nous sommes ici pour devenir des législateurs. "
Cette déclaration provoque des larmes dans le public mais le juge, impitoyable, condamne Emmeline, Mme Drummond et Christabelle à trois mois de détention dans la prison de Holloway, au nord de Londres.
Pétitions et grève de la faim
L’épreuve de la prison est rude pour Emmeline. Les détenues n’ont droit qu’à une promenade par jour dans la cour, en file indienne, un mètre les séparant l’une de l’autre. Il leur est interdit de se parler. Pour Emmeline, c’est insupportable de ne pouvoir échanger avec sa fille. Au bout de quinze jours, elle se rebelle. Elle rejoint Christabelle dans la cour, la prend par le bras. Elle se mettent à parler. Les autres prisonnières acclament cette audace. Toutes sont condamnées à trois jours d’isolement. Pour Emmeline, c’est pire : quinze jours d’isolement sans promenade et sans chapelle.
Mme Drummond, malade, est transférée à l’hôpital. Elle raconte la mutinerie d’Emmeline et sa punition. Aussitôt, des milliers de suffragettes défilent autour de Holloway en chantant et en criant leur soutien. Le gouvernement cède : Emmeline et sa fille pourront se parler une heure par jour, pendant la promenade. Elles sont libérées le 8 décembre 1908.
1909 sera, pour le mouvement des suffragettes, une année d’espoirs et de nouvelles déceptions. Elles décident d’exercer le droit de pétition, inscrit dans la Constitution depuis le XVIIe siècle. La délégation qui vient présenter la pétition au Premier ministre en juin reçoit une réponse négative. Les suffragettes refusent de quitter le Parlement. Nouvelle arrestation, nouveau procès pour Emmeline. Cette-fois, elle n’ira pas en prison. Les autres femmes, qui ont manifesté et brisé des vitres, sont arrêtées. Elles vont utiliser une nouvelle arme : la grève de la faim.
Celle-ci commence en juillet 1909. Les grévistes sont de plus de plus en plus nombreuses. Mais comme à chaque fois, le gouvernement trouve la parade : on va les nourrir de force, à l’aide d’un tube en caoutchouc introduit dans leur estomac ! C’est une véritable torture… De nombreux médecins protestent avec indignation. Une pétition, signée par 116 praticiens célèbres, est adressée au Premier ministre. Ils protestent contre la pratique de l’alimentation forcée. Ils démontrent, en détails, ses graves dangers.
Emmeline enthousiasme les États-Unis
Le 27 octobre 1909, Emmeline Pankhurst arrive à New-York. Elle prononce une conférence au Carnegie Hall. Et elle est saluée comme une héroïne. De même à Boston, à Chicago puis au Canada. A cette époque, le mouvement pour le vote des femmes aux Etats-Unis est en déclin. Emmeline stimule ses auditrices pour qu’elles reprennent le combat.
De retour à Londres en décembre, Emmeline repart à l’attaque. Le décès du roi Edouard VII semble créer une atmosphère propice à des concessions sur toutes les questions difficiles, dont l’émancipation politique des femmes. Des manifestations en soutien à ce texte sont organisées à l’Albert Hall. Un projet de loi est rédigé. Mais ce sera une nouvelle déception. Il y a une manifestation, violente cette-fois : le Black Friday, le 18 novembre, est réprimé par de nombreuses arrestations.
Un long chemin jusqu'à la victoire
En 1912, Emmeline est à nouveau arrêtée puis relâchée après avoir commencé une nouvelle grève de la faim. A la suite d’attentats féministes, elle est nouveau arrêtée et condamnée cette fois à trois ans de prison en 1913. La Première Guerre mondiale met fin aux manifestations des suffragettes. Emmeline les encourage à participer à l’effort de guerre et à s’engager dans les services auxiliaires de l’armée. Le droit de vote des femmes, tant attendu, est enfin accordé, en 1918, même si elles doivent être âgées de 30 ans contre 21 pour les hommes.
Emmeline Pankhurst renonce alors à sa présidence du mouvement. Elle sera candidate du Parti Conservateur à la chambre des Communes. Elle s’éteint à Londres en 1928 au moment où une nouvelle loi donne aux femmes la complète égalité électorale avec les hommes. Elle pouvait mourir. Elle avait gagné son combat.
Vous voulez écouter les autres épisodes de ce podcast ?
>> Retrouvez-les sur notre site Europe1.fr et sur Apple Podcasts, SoundCloud, Dailymotion et YouTube, ou vos plateformes habituelles d’écoute.
>> Retrouvez ici le mode d'emploi pour écouter tous les podcasts d'Europe 1
"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Cheffe de projet : Adèle Ponticelli
Réalisation : Guillaume Vasseau
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Europe 1 Studio