Federico Fellini, l'un des plus célèbres réalisateurs de cinéma, est né le 20 janvier 1920, il y a tout juste cent ans. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars retrace sa carrière.
Il est le seul cinéaste italien à avoir reçu cinq Oscars à Hollywood, quatre pour le meilleur film étranger de l’année et le dernier pour l’ensemble de sa carrière. Federico Fellini est né il y a tout juste cent ans. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars dresse le portrait de ce monument du cinéma.
Dolce Vita fait scandale à Cannes
Scandale au Festival de Cannes de 1960 : le film fleuve (3 heures de projection !) Dolce Vita obtient la Palme d’Or. Et je vais vous raconter une anecdote qui le montre bien. Le film soulevait tellement les passions que les producteurs avaient peur qu’on s’en prenne aux bobines. Elles ont donc été mises sous clé, bien en sécurité dans un coffre de l’ambassade de France à Rome. Elles y sont restées jusqu’à la fameuse projection du film à Cannes.
C’est un film sulfureux à plusieurs titres : il relate les errances, à travers Rome, d’un jeune journaliste, beau mais sans grand caractère, incarné par Marcello Mastroianni comme une sorte de double de Fellini. Elles vont le conduire de provocations en turpitudes.
Au gré de soirées mondaines, de fêtes décadentes et de rencontres sulfureuses, le héros aiguise son désir sans jamais vraiment le rencontrer. Même lors de cette scène devenue culte où Anita Ekberg, la véritable bombe du film qui l’énerve et le fascine à la fois, se baigne dans la Fontaine de Trevi. Elle est l’incarnation de la féminité débordante qui subjugue le réalisateur.
Bien que le film soit compris comme une critique féroce des mœurs contemporaines, de l'Église, du journalisme, de la haute société romaine corrompue, ce n’est pas le propos de Federico Fellini. Son sujet, c’est l’homme, en l’occurrence Marcello, qui est montré dans toute sa faiblesse et sa lâcheté, qui se laisse ballotter à travers toutes ces perversions sans réagir.
Malgré les angoisses de ses producteurs, qui n’avaient rien compris au film et le jugeaient trop cher et trop long, ce sera un triomphe. Il fera de Federico Fellini l’un des tout premiers metteurs en scène du cinéma italien qui est, à cette époque, à son apogée. Mais qui est donc Federico Fellini ?
Un provincial à la conquête de Rome
Federico Fellini naît à Rimini dans une famille de petits-bourgeois. Son enfance dans cette cité balnéaire de l’Adriatique va le marquer profondément. Il la fantasmera plus tard dans ses films. Rimini ne brille que l’été. Le Grand Hôtel se remplit alors de gens riches, parfois célèbres, qui suscitent la curiosité et l’intérêt du petit garçon et de ses camarades de jeux.
Dès l’automne et pendant l’hiver, la ville se replie sur elle-même, comme un théâtre abandonné, laissant les adolescents livrés à l’ennui de longues promenades, sans but et sans espoir.
L’enfance de Federico Fellini se situe en pleine période fasciste. Il sera témoin des excès et des brutalités que le régime de Mussolini inflige à la population. D’autre part, il est né dans une famille catholique et il a vécu des années d’internat au collège confessionnel de Fano. Il en ressortira agnostique et plutôt anticlérical. Et pourtant, son oeuvre sera jalonnée de symboles et de thèmes religieux. Comme beaucoup d’intellectuels italiens, il rejette la religion, mais l’empreinte reçue dans leur enfance les marquera pour la vie.
Fellini a raconté un épisode de sa pré-adolescence qui l’a beaucoup marqué, mais on ne sait si il est authentique. Le petit garçon se serait échappé du collège et aurait été attiré, irrésistiblement, par un petit cirque qui venait de dresser sa tente à Fano. Après avoir rôdé dans les coulisses et assisté au spectacle, il aurait passé une partie de la nuit avec les forains, jusqu’à ce que le directeur du collège vienne le chercher et l’arrache à cet univers merveilleux et à ses nouveaux amis.
Dans cette histoire, il y a sûrement un fond de vérité car l’amour des chapiteaux miteux, des forains et des clowns sera présent dans toute son oeuvre, des Feux du Music-Hall, à l’inoubliable La Strada.
Des dessins fascinants
Le jeune adulte Fellini décide de quitter Rimini où il étouffe pour Florence puis pour Rome, où il va exercer ses talents de caricaturiste. Les dessins de Fellini sont fascinants. Il a un sens aigu du portrait satirique. Plus tard, ses dessins lui permettront d’exprimer ce qu’il va vouloir montrer à l’écran.
Il va passer quelques années dans le journalisme, notamment au Popolo, un quotidien de Rome. Il écrit aussi de petits textes pour la radio. C’est là qu’il va rencontrer la femme de sa vie, la comédienne Giuletta Massina. Il l’épouse en 1943 et à la même époque, il commence à travailler à des scénarios de films totalement oubliés aujourd’hui.
A la fin de la guerre, il rencontre le réalisateur Roberto Rossellini, qu’il reconnaîtra, par la suite, comme le seul maître qu’il ait eu. En 1945, il participe au scénario de Rome ville ouverte et de Paisa, puis du long-métrage Le miracle, toujours avec Rossellini. C’est la seule fois de sa vie où Federico Fellini a joué dans un film et avec la célèbre actrice Anna Magnani comme partenaire.
Il avait écrit l’histoire, celle d’une bergère mise enceinte par un vagabond qu’elle prend pour... Saint-Joseph ! Il était le vagabond, elle était la bergère. Il n’avait aucune envie de jouer ce rôle mais Rossellini l’en avait convaincu car il était terrifié d’être en tête à tête avec Anna Magnani car il était en train de la quitter pour Ingrid Bergman...
Il rencontre ensuite d’autres réalisateurs, notamment Alberto Lattuada. Il co-signe avec lui sa première réalisation Les feux du music-hall en 1950, l’histoire d’une troupe de pauvres baladins qui se produisent dans de modestes théâtres de province. C’est aussi la première fois qu’il dirige sa femme, Giuletta Massina.
Son premier succès : Les Vitelloni
Mais le premier film qui fera vraiment parler de lui est Les Vitelloni, une chronique de jeunes gens désœuvrés dans une ville de l’ Adriatique. C’est très important parce que c’est la première fois qu’il travaille avec le compositeur Nino Rota pour la musique. Désormais, toutes les musiques des films de Fellini seront signées Nino Rota. Leur entente sera magique.
Fellini avait une crainte émotionnelle de la musique. Dès leur première collaboration, Fellini sent que la musique de Nino Rota "est la respiration de ses images". Il dira : "Rota est une zone si particulière de mon travail que j’oubliais presque de le citer. Car, plus qu’un collaborateur, il a été une partie consubstantielle de mon travail ; il a été le cœur de mes films".
C’est avec La Strada, en 1954 puis Les nuits de Cabiria, en 1956, qu’il va vraiment se faire un nom. D’abord, chacun de ses deux films va recevoir l’Oscar du meilleur film étranger. D’autre part, la présence de Giuletta Massina, son épouse, en vedette de ces deux films, est révélatrice des sentiments de Fellini à l’égard de sa femme. Petit bout de femme d’1,57m, elle apparaît comme l’incarnation de la tendresse, de la souffrance et d’une certaine naïveté. Leurs rapports ne sont pas toujours forcément faciles, que ce soit pour Gelsomina, dans La Strada et pour Les nuits de Cabiria, quand le réalisateur impose à sa comédienne une silhouette qu’il a précédemment dessinée et n’est pas forcément flatteuse. Laissons parler Fellini : "J’ai toujours fait des essais avec elle pour ces personnages stylisés que sont Gelsomina et Cabiria, avec sa petite mèche, son petit boléro en plumes de coq, sa bande élastique à la taille, ses chaussures plates, sans talons, ce sont des personnages nés de croquis. Donc, je faisais des essais avec Giuletta et elle protestait un peu contre ces manipulations. Les réticences de Giuletta sont typiques de l’actrice qui voudrait toujours faire ou Marilyn Monroe ou Bette Davis ; elle était très rétive à incarner Gelsomina, et chaque fois que j’essayai de lui mettre sa petite cape militaire en loques, elle essayait de la laisser tomber à terre comme une étole de vison. C’est souvent drôle, le rapport avec les actrices parce qu’elles ont une certaine idée de la façon dont elles veulent apparaître, en tant que femmes, et également de la façon dont elles veulent apparaître dans leur rôle".
Il ne devait pas être facile de résister à Federico Fellini. Giuletta Massina a dû souvent se plier à sa tyrannie. Néanmoins, La Strada, l’histoire d’un trio pathétique composé d’un colosse de foire (Anthony Quinn), d’une créature bizarre, un peu demeurée mais généreuse, d’un autre forain, le fou incarné par Richard Basehart, et Les nuits de Cabiria, l’histoire d’une petite prostituée romaine escroquée par un honorable employé, magistralement incarné par François Périer, ont propulsé Fellini au firmament de Cinecitta.
Désormais, chacun de ses nouveaux films lui permettra de projeter tous ses fantasmes dans une filmographie souvent éblouissante et parfois délirante.
Des triomphes et des échecs
Les années 60 vont être une période faste pour le cinéaste. Après Dolce Vita, il va réaliser Huit et demi, un film étrange et envoûtant où son acteur favori, Marcello Mastroianni, est à nouveau son double. Il incarne un metteur en scène en panne d’inspiration qui se réfugie tantôt dans une cure thermale où une somptueuse infirmière, Claudia Cardinale, prend soin de lui, tantôt dans ses souvenirs d’enfance et dans ses problèmes sentimentaux où il est déchiré entre sa femme et sa maîtresse.
Il termine son film par une ronde finale de toutes ces femmes qui ont hanté sa vie et qui l’emportent sans qu’aucun problème ne soit vraiment résolu. Ce film sera un succès, il recevra l’Oscar du meilleur film étranger, le troisième pour Fellini.
Mais il est à noter qu’il n’a fait tourner son épouse ni dans Dolce Vita ni dans Huit et demi. Le couple est en crise, Giuletta supporte assez mal les infidélités de Federico. Pour tenter de se faire pardonner, il va faire un film dont elle sera l'héroïne Juliette des esprits.
C’est la première fois qu’il utilise la couleur mais le résultat ne sera pas très heureux. Il maîtrise mal son sujet qui est pourtant extrêmement simple : Juliette incarne une bourgeoise trompée qui engage un détective pour tenter d’identifier sa rivale. Elle est hantée de visions qui la tourmentent, elle essaiera de s’en délivrer en se tournant vers les grands arbres et la nature apaisante. Ce film ne sera pas très bien accueilli et ne calmera pas la jalousie de Giuletta. Un double échec.
Il va alors se diriger vers deux œuvres complètement déroutantes, Le Satyricon et Les clowns. Le premier est un péplum qui campe une Rome fantasmée. Le sujet est tiré d’une oeuvre de Pétrone, l’écrivain de l’antiquité romaine : c’est une sorte de réflexion extrêmement érudite sur la décomposition d’une culture. Le deuxième est encore une fantasmagorie sur l’univers du cirque. Ces deux films dérouteront le public, partagé entre les admirateurs passionnés de l’oeuvre de Fellini et ses détracteurs féroces qui ont du mal à le suivre dans des chemins aussi compliqués.
Fellini Roma, une oeuvre personnelle
Il va reconquérir son public avec l’extraordinaire Fellini Roma, une oeuvre extrêmement personnelle dédiée à la ville qu’il adore. Gore Vidal, un des acteurs, résume le propos en déclarant : "Rome est l’endroit rêvé pour attendre la fin du monde". Le film s’achève sur une séquence consacrée à Anna Magnani. Il a eu beaucoup de mal à convaincre l’actrice de tourner pour lui. Magnani, qui pense toujours que Fellini a joué un rôle dans sa rupture avec Roberto Rossellini (ce qui est faux) se méfie de lui et chaque fois qu’il lui propose de tourner une scène, elle répond : "Moi, je n’ai pas confiance, Federico…".
Il raconte lui-même comment il a pu la convaincre de jouer dans la scène finale : "Je lui dis alors : dans le noir et le silence de cette petite place, il y a cette petite silhouette qui longe les murs et rentre chez elle là, au Palazzo Altieri où tu habites, et moi je t’appelle : Anna ! et je te surnomme "Louve ou vestale". Quand, enfin, on a tourné la séquence, elle était émue comme un acteur débutant. C’est la maquilleuse à laquelle elle s’est confiée qui est venue me le dire et d’ailleurs, on voyait qu’elle était très émue".
Dans la scène finale de Fellini Roma, c’est donc Anna Magnani, pour laquelle il a une immense admiration, qui devient l’incarnation même de la ville. Louve et vestale à la fois...
Après Roma, un autre chef d’oeuvre : Amarcord. Fellini revient sur sa ville natale Rimini, son enfance et son adolescence. Le spectacle est fascinant de maîtrise et de virtuosité, de drôlerie et de tendresse. Fellini n’en a jamais fini avec la nostalgie de sa jeunesse. Il est rempli d’images chocs comme l’arrivée du paquebot Rex en pleine nuit, la promenade sensuelle des femmes. C’est tout le charme de Fellini magnifié par une bouleversante musique de Nino Rota, qui lui vaudra son quatrième Oscar de meilleur film étranger en 1974.
Intervista : les retrouvailles, 35 ans plus tard, de Marcello Mastroianni et Anita Ekberg
Le sulfureux Casanova, incarné par Donald Sutherland, pas du tout biographique, est encore une transposition de ses propres fantasmes. Prova d’orchestra (en 1979), c’est-à-dire "répétition" sera sa dernière collaboration avec Nino Rota qui meurt la même année. C’est un grand choc pour Fellini qui va malgré tout nous donner un dernier bijou,Intervista, un film mélancolique et tendre où il se penche sur le passé. C’est une ode d’amour à Cinecitta. Il contient une scène culte : les retrouvailles, 35 ans plus tard, de Marcello Mastroianni et Anita Ekberg. Fellini veut convaincre l’actrice de tourner pour lui un bout d’essai. Elle vit alors dans une maison des environs de Rome, entourée de chiens. Il est émerveillé par la façon d’accepter son âge "en brave campagnarde" et surtout l’absence totale de photos d’elle dans la maison.
Laissons parler Fellini : "Quand je me suis retrouvé là dans sa maison, est née l’idée de projeter sur un toile la séquence de la Fontaine de Trevi pendant que Marcello, habillé en Mandrake, d’un geste de la main fait revenir les images du passé...".
Il revient quelques jours plus tard chez Anita accompagné de son équipe de tournage et de Marcello en Mandrake. Ils envahissent la maison, tendent une toile, allument un fumigène qui crée une atmosphère de brouillard et commencent à projeter la scène du bain dans la fontaine de Trevi. C’est le cinéma dans le cinéma. Anita ne comprend rien. La scène est filmée dans une totale spontanéité. Laissons encore parole à Fellini : "La projection est partie qu’elle fumait et buvait. Elle a regardé ; elle n’a pas dit un mot, toute l’équipe s’est sentie obligée d’applaudir et, elle, la pauvre, elle a penché la tête. Elle pleurait. Elle s’est mise à pleurer en silence, c’était très émouvant. Après, Marcello est allé près d’elle. Il s’est ému lui aussi, je leur ai dit : Vous vous mettez à pleurer tous les deux ?"
La scène des deux acteurs vieillissants, Marcello en Mandrake et elle stupéfaite devant l’écran leur renvoie l’image du passé, de leur jeunesse et de leur beauté. C’est un moment bouleversant. Fellini le magicien a réussi sa dernière pirouette. En 1993, Hollywood lui décernera un Oscar pour l’ensemble de son oeuvre. Trop malade, il ne pourra le recevoir lui-même. Il meurt le 31 octobre de cette année. Giuletta la fidèle, malade elle aussi, ne lui survit pas longtemps. Elle s’éteint le 23 mars 1994.
"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Cheffe de projet : Adèle Ponticelli
Réalisation : Guillaume Vasseau
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Europe 1 Studio
Direction Europe 1 Studio : Claire Hazan
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