Découvrez l’histoire d’Henri Charrière, dit "Papillon", ancien bagnard qui raconte dans ses mémoires comment il a réussi à s’échapper de la plus effroyable des prisons françaises du XXe siècle : le bagne de Saint-Laurent en Guyane. En 1934, Papillon s’échappe du bagne avec deux de ses camarades. Après s’être débrouillés pour se retrouver à l’hôpital, ils ont assommé les gardes à l’aide des pieds d’un lit, et ont sauté par-dessus le mur de la prison pour rejoindre le détenu libéré qui les attendait avec son canot sur le fleuve. Mais l’annonce de leur évasion ne tarde pas à faire le tour de la prison et très vite, des recherches sont lancées… Quelles péripéties attendent Henri Charrière à l’issue de cette première cavale ? Dans cette seconde partie d’épisode produite par Europe 1 Studio, Clémentine Portier-Kaltenbach raconte la suite des aventures de Papillon, un homme en quête de liberté.
Ecoutez l'épisode en entier sur notre chaîne YouTube.
Nous avons laissé Papillon la veille de sa première évasion du bagne de Saint-Laurent du Maroni en Guyane. Avec deux de ses compagnons, il a mis au point un plan simple comme bonjour : on assomme les gardiens avec le pied en fer prélevé à un lit et l'on saute par-dessus le mur de la prison. En bas sur le fleuve, un petit canot nous attend pour nous emmener voguer sur les eaux de la liberté.
Et le plan réussit à merveille ! Papillon s’est juste entaillé les paumes des mains sur les tessons de bouteille scellés en haut du mur du pénitencier.
Une fois repêchés par leurs complices qui les attendaient dans le canot, le courant les emporte à grande vitesse vers l'embouchure du fleuve. Les évadés ont à peine repris leur souffle qu'ils ont déjà parcouru un kilomètre. Au loin, le pénitencier n'apparaît plus que par le faisceau des projecteurs qui garnissent son enceinte.
Le matin suivant, à l’aube, ils abordent sur un rivage où, leur dit-on, personne ne les trouvera à condition de n’en pas bouger le temps que les recherches cessent. Les jours passent, Papillon et ses compagnons se nourrissent de variétés de coqs capturés aux alentours. Mais une nuit, ils sont découvert par un forçat évadé qui les avertit de partir le plus vite possible car la planque que le propriétaire du canot leur a indiqué est un très mauvais plan.
Ce qu'il faut, c'est gagner l'île aux pigeons, où personne ne viendra les chercher parce qu'elle est la résidence forcée des lépreux. Ni une ni deux, les trois fugitifs acceptent le conseil. Une fois arrivés à destination, ils reçoivent des lépreux des vivres et un petit canot à voile qui va leur permettre de prendre le large et de gagner la Colombie.
Refuge à Trinidad et arrestation
Partis à la faveur de la marée, ils atteignent enfin la haute mer. Durant deux semaines, ils naviguent à vue, s'aidant de la position des étoiles la nuit. La tempête succède au beau temps, ils manquent cent fois de chavirer. Par chance, ils croisent un bateau de croisière dont les occupants proposent de les prendre à bord. Papillon refuse et demande simplement confirmation de sa route.
La chance sourit aux audacieux : après quelques jours, ils abordent dans le port anglais de Trinidad, au cœur des Caraïbes, la terre des pirates. Ils trouvent refuge chez un avocat anglais qui leur accorde l'hospitalité dans son immense demeure. Après des années de prison, c'est le luxe, sans transition. Dans le jardin de la propriété il y a même une piscine.
" Cette résurrection, ce retour du tombeau, la sortie de ce cimetière où j'étais enterré, toutes ces émotions successives et le bain de cette nuit qui m’a réincorporé à la vie au milieu d'autres êtres m’ont tant excité que je n'arrive pas à dormir. "
Ayant refait leurs forces, les trois fugitifs, aidés par leur hôte, reprennent le large. Leur but : le Honduras. Mais ils ont dû accepter de prendre à bord trois relégués qu'ils devront déposer en Colombie. Papillon accepte avec réticence : il ne faudra pas s'attarder dans un pays où, à l'évidence, leur tête est déjà mise à prix.
Les jours de navigation se succèdent entre mer d'huile et tempête. Parvenus à vue des côtes colombiennes, ils attendent le moment favorable pour accoster. Malheureusement, une vedette de gardes côtes les repère, ils sont arraisonnés puis arrêtés. Les policiers colombiens n'ont aucun mal à identifier ceux que tout le monde recherche depuis plus d'un mois.
La vie parmi les Indiens
Retour à la case départ : Papillon et ses deux compagnons sont immédiatement incarcérés.
" Un vieux journal m’est prêté par un prisonnier colombien. En première page, nos six photos et au-dessous, le commandant de la police avec son énorme chapeau de feutre, un cigare à la bouche et la photographie d'une dizaine de policiers armés de leurs pétoires. Je comprends que la capture est romancée et embellit le rôle joué par eux. On dirait que la Colombie entière s'est sauvée d'un danger terrible par notre arrestation. "
Mais il en faut plus pour abattre Papillon. En une semaine, il s'est acoquiné avec un bandit de la prison qui lui fournit de quoi s'évader une nouvelle fois. Là encore, le plan est enfantin : ouvrir ses menottes à l'aide d'un fil de fer puis scier les barreaux de la cellule avec une scie à métaux achetée au fameux bandit. Une fois un barreau descellé, se faire la belle.
Aussitôt dit, aussitôt fait ! Les trois français n'ont pas fait deux semaines de prison que déjà, les voilà envolés. Ils marchent jour et nuit, ne mangent presque rien. Ils parviennent dans la péninsule entre Colombie et Venezuela où vivent les Indiens Guajiros. Cette tribu leur accorde le gîte et le couvert, on se presse autour de Papillon, on examine son tatouage, qui semble impressionner les guerriers de la tribu.
Une vie nouvelle commence pour les trois fugitifs.
" Un vieil indien m'examine sous toutes les coutures. Il me fait quitter mon pantalon transformé en short. Quand je suis nu comme un ver, me fait asseoir sur une pierre près du feu, il met sur le feu des feuilles vertes qui font beaucoup de fumée et sentent la menthe. La fumée m'entoure à étouffer mais je ne tousse presque pas et attend que cela passe pendant près de dix minutes. Après, ils brûlent mon pantalon et me donne deux cache-sexes d'indiens : l'un en peau de mouton et l'autre en peau de serpent, souple comme un gant. Il me passe au bras un bracelet de lanières tressées en cuir de chèvre, de mouton et de serpent. "
On fraternise, on apprend l'espagnol, et pour couronner sa nouvelle existence on prend une femme, et même deux. Papillon fait de deux sœurs indiennes ses maîtresses officielles. Pourtant, après un an de vie à l'indienne, le jour vient où il faut partir. Rester en Colombie est trop dangereux. Il fait donc ses adieux à la tribu et voilà Papillon et ses deux acolytes en route pour Santa Marta, le port qu'ils veulent gagner avant de quitter le pays.
L'île du Diable et la dernière évasion
Malheureusement c'est encore la case prison qui les attend : ils sont trop identifiables. Hébergés dans un couvent de bonnes sœurs, ils sont dénoncés et arrêtés. Le cachot dans lequel Papillon est alors jeté est effrayant : à la marée montante, l'eau monte jusqu'à mi-corps, amenant une multitude de rats, de mille-pattes et de crabes, tout cela dégageant une odeur infecte. Pas question de moisir ici ! Les jours passent, nouveau plan pour s'échapper. Avec la complicité de détenus colombiens, on décide du plan suivant.
" Tu commences demain à enlever un policier de la garde de nuit. Dans trois jours tu en enlève un autre. Puis quand il y en a plus qu'un tu fais installer une guérite face à la porte de la cellule. La première nuit de pluie, la sentinelle va s'abriter dans la guérite et moi, je sauterai par la fenêtre derrière. Pour la lumière autour du mur, il faut que tu trouves le moyen de faire toi-même le court-circuit. Quant aux pêcheurs, le canot doit être attaché par une chaîne dont il aura forcé le cadenas lui-même de façon que je n'ai pas à perdre de temps, les voiles prêtes à être hissées et trois grosses pagaies pour prendre le vent. "
Nouvelle cavale, nouvel échec. Cette fois, les fugitifs, qui ont pris le large comme de coutume, vont chavirer et tomber littéralement entre les mains de la police. Ramenés au bercail de Cayenne, ils sont jugés pour tentative d'évasion. Papillon est condamné à deux ans de réclusion forcée sur les îles du Salut au large de Cayenne. Deux ans à l’isolement, sans sortir.
Mais rien ne le décourage : il parvient à se faire une amie de la femme du chef de camp. Il peut jouir d'une certaine liberté, notamment celle d'aller à la pêche. Il a repéré dans le cimetière du pénitencier une tombe fraiche. Il décide d'en faire une planque pour faire un radeau.
Le jour venu, papillon et trois complices viennent prendre les lattes de bois préparées depuis des mois et cachées dans les voûtes du tombeau. On assemble les parties soigneusement numérotées mais au moment de gagner le rivage, nouveau coup de théâtre : ils sont interpellés par des gardes qui ont été avertis la veille par un mouchard. Dix-neuf mois après sa première cavale, Papillon retrouve sa prison initiale, et cette fois pour longtemps.
Onze ans après, Papillon est toujours au bagne. Il prend comme un signe d'être envoyé à l'île du Diable, sur le banc même de Dreyfus.
" Nous sommes en 1941, il y a onze ans que je suis en prison. J’ai 35 ans. Les plus belles années de ma vie, je les ai passées ou en cellule ou au cachot. Ce banc ou Dreyfus, condamné innocent, a trouvé le courage de vivre quand même doit me servir à quelque chose. Ne pas m'avouer vaincu, tenter une autre cavale. Oui, cette pierre polie, lisse, surplombant cet abîme de rochers où les vagues frappent rageusement sans arrêt doit être pour moi un soutien et un exemple. Dreyfus ne s'est jamais laissé abattre et toujours jusqu'au bout, il a lutté pour sa réhabilitation. C’est vrai qu'il a eu Emile Zola avec son fameux « J'accuse » pour le défendre. S’il n'avait été un homme bien trempé, devant tant d'injustice, il se serait certainement jeté dans le gouffre. Il a tenu le coup. Je ne dois pas être moins que lui, je dois abandonner l'idée de faire une nouvelle cavale avec comme devise « vaincre ou mourir ». C’est le mot mourir que je dois abandonner, pour ne penser seulement que je vais vaincre et être libre. "
Cette fois, l'entreprise d'évasion est particulièrement risquée. Il s'agit tout bonnement de se jeter du haut de la falaise après avoir dissimulé deux sacs remplis de noix de coco sur le rivage. Ce sera la belle des belles.
La nuit venue, Papillon, qui a œuvré les jours précédents pour confectionner et cacher son étrange radeau de coco se jette dans la plus grosse vague, les fers aux pieds. Intimement, il sait que c'est sa dernière chance. Et la chance lui sourit.
Après plusieurs jours de mer accroché à son radeau de noix de coco, il parvient à gagner le rivage. Victoire ! Il se trouve près de Georgetown, Guyana, où il n'est pas recherché et où il ne sera pas arrêté.
Les exploits inventés de Papillon
On comprend aisément que tant de péripéties ait pu enthousiasmer des milliers de lecteurs puis des millions de spectateurs. Quand l'éditeur Robert Laffont décide de publier les souvenirs de Papillon, il fait faire une enquête pour vérifier certains détails. Il en ressort convaincu que toute cette histoire est frappée du sceau de la vérité.
Pourtant, avec le temps, nombre d'anciens détenus qui ont connu Papillon vont affirmer les uns après les autres qu’il a tantôt exagéré, tantôt inventé ses aventures. Intrigué par le personnage, l'éditeur Gérard de Villiers se décide à son tour à mener une enquête minutieuse. Il part pour la Guyane et retrouve un à un tous ceux qui ont connu Papillon. Il visite tous les lieux décrits par le célèbre bagnard. Il en revient avec les preuves que la quasi-totalité des épisodes relatés par le héros sont soit les exploits d'autres évadés, soit de pures inventions.
D’abord, comment accorder crédit à un homme qui prétend avoir compté 1870 détenus en partance pour la Guyane, quand le bateau La Martinière ne pouvait en contenir que 800. Dans la description que papillon fait du bagne, il parle des mitraillettes dont sont armés les gardes. Or, à cette époque aucun garde n'avait de mitraillettes.
Lors de sa première évasion, il prend une direction opposée à celle de l'île des lépreux. Les détails qu’il donne correspondent à un endroit précis du fleuve où il était impossible de ne pas se faire intercepter. Parvenu à Trinidad, Papillon dit avoir été l'hôte d'un avocat qui lui présente sa femme et sa fille. Gérard de Villiers a rencontré cet avocat. Il n'a jamais été marié… En outre, l'intéressé ne parle pas un traître mot de français et Papillon, lui, ne savait pas un traître mot d'anglais.
Ensuite, il prétend être resté l'hôte des Indiens durant un an. Le décompte de chacun de ses séjours en divers lieux étant fait, il n'a pas pu y rester plus d'un mois. Petit mensonge deviendra grand. Papillon évoque ses relations avec le chef de camp lors de sa réclusion sur l'île du Salut. Or, à son époque, il n'y avait pas de chef de camp là où il se trouvait et chaque jour, contrairement à ce qu'il affirme dans ses souvenirs, il bénéficiait de trois quarts d'heure de promenade.
De retour à la prison centrale, il raconte ses entrevues avec le commandant en chef, il parle avec ce dernier comme s'il s'adressait à un ami. Ce dernier lui montre même son dossier de condamné. Or tout cela est impossible : aucun détenu n'a jamais rencontré le Commandant en chef, qui avait en outre la réputation de considérer les bagnards comme du bétail. Quant à pouvoir consulter son dossier de condamné, c'est formellement interdit par le règlement.
Mais c'est sa célèbre cavale depuis l'île du Diable qui mérite le détour. Gérard de Villiers a interrogé quelques condamnés qui s'y trouvaient. Il a d'abord appris qu'il était impossible de flotter 40 heures avec deux sacs de noix de coco : ces derniers coulent en moins de dix minutes. Il y a aussi un autre obstacle et non le moindre : l'eau est littéralement infestée de requins et la mer, à cet endroit, recrache régulièrement les cadavres mutilés de ceux qui ont eu l'imprudence de se mettre à l'eau.
Alors, comment Papillon a-t-il pu s'évader de cet endroit ? La réponse est simple : il ne s'en est jamais évadé parce qu’il ne s’y est jamais trouvé.
Pourtant, les millions d'exemplaires vendus de ses souvenirs font de Henri Charrière le modèle définitif de tous les taulards en quête d'évasion. Preuve que l'espérance se nourrit de la vérité comme du mensonge.
Vous voulez écouter les autres épisodes de ce podcast ?
>> Retrouvez-les sur notre site Europe1.fr et sur Apple Podcasts, Spotify, Deezer, Amazon music, Dailymotion et YouTube, ou vos plateformes habituelles d’écoute.
>> Retrouvez ici le mode d'emploi pour écouter tous les podcasts d'Europe 1