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SAISON 2019 - 2020, modifié à

Il y a 150 ans, le livre "Vingt mille lieues sous les mers" sortait en France. Ce récit d'aventure dans lequel le capitaine Nemo part à la découverte des profondeurs marines à bord de son sous-marin "Nautilus" a été imaginé par un auteur dont le nom nous est tous familier : Jules Verne. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars brosse le portrait de cet écrivain à l'origine d'un nouveau genre littéraire, le roman scientifique.

Au début de 1870, paraissait en France un roman d’aventure très original, entraînant ses héros et les lecteurs dans les profondeurs sous-marines. Le titre : Vingt mille lieues sous les mers. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars vous raconte la vie de Jules Verne.

Au large des côtes des Etats-Unis, un monstre marin, de proportions gigantesques et de forme très allongée, est signalé par plusieurs bateaux. Il a provoqué de nombreux naufrages. Les rares rescapés décrivent ses énormes yeux jaunes et des tourbillons d’eau autour de cette masse. Les récits les plus incroyables entretiennent la peur. Une expédition est vite organisée par la frégate américaine Abraham Lincoln. 

À bord, se trouvent un naturaliste français, le professeur Aronnax, son fidèle domestique Conseil et un harponneur, Ned Land. Soudain, la frégate est presque entièrement submergée par une énorme vague. Le monstre qui émerge n’est pas une baleine mais un sous-marin en acier dont le nom apparaît dans des ruissellements d’écume : Nautilus. Les trois hommes sont recueillis à bord (et seulement eux) puis conduits devant le maître du submersible. Il s’annonce sous un patronyme latin : "Je suis le Capitaine Nemo" !

Nemo ? Le terme latin se traduit par "personne". Il s’agirait donc du "Capitaine Personne" ? Qui est donc cet étrange et énigmatique marin ? Jules Verne l'a présenté à son éditeur Hetzel dans une lettre du printemps 1868 : "Il faut que cet inconnu n’ait plus aucun rapport avec l’humanité dont il s’est séparé. Il n’est plus sur terre, il se passe de la terre. La mer lui suffit, mais il faut que la mer lui fournisse tout, vêtement et nourriture. Jamais il ne met le pied sur un continent. Les continents et les îles viendraient à disparaître sous un nouveau déluge, qu’il vivrait tout comme, et je vous prie de croire que son arche sera un peu mieux installée que celle de Noé... Ah, mon cher Hetzel, si je ratais ce livre-là, je ne m’en consolerais pas. Je n’ai jamais eu plus beau sujet entre les mains."

Le trio des naufragés est reçu avec une courtoise glacée puis installé dans de confortables cabines. Ils ne sont pas invités, ils sont prisonniers et ils ont peur. En effet, le Capitaine Nemo est très inquiétant. Ils vont séjourner à bord du Nautilus près de dix mois, vivant des aventures incroyables. Le Nautilus utilise une énergie inconnue. Il passe sous l’isthme de Suez, pas encore percé à l’époque. Les passagers involontaires aperçoivent, stupéfaits, la mythique Atlantide et ses trésors engloutis. Ils se battront contre des cannibales, contre des poulpes géants. Ils chasseront dans des forêts sous-marines et assisteront à l’enterrement d’un marin dans un cimetière de coraux... Une odyssée sous-marine sous l’autorité implacable du Capitaine Nemo. 

Mais qui est donc ce Jules Verne, l’auteur de ce roman fascinant qui dépasse toutes les imaginations ? Il est loin d’être un inconnu et son public est enthousiaste. J’ajoute, car c’est étonnant, que George Sand fait partie de ses lectrices passionnées. C’est même cette célèbre romancière qui lui avait donné l’idée de Vingt mille lieues sous les mers ! 

En effet, elle lui écrit, dès 1865 : "J’espère que vous nous conduirez bientôt dans les profondeurs de la mer et que vous ferez voyager vos personnages dans ces appareils de plongeurs que votre science et votre imagination peuvent se permettre de perfectionner. "

Rien ne le prédestinait à devenir écrivain

Né à Nantes en 1828, rien ne prédestinait Jules Verne à devenir écrivain. Sa famille souhaitait qu’il prenne la succession de son père à la tête de son étude d’avoué. Mais à 20 ans, en novembre 1848, Jules Verne s’installe à Paris, officiellement pour faire ses études de droit. Mais cela l’ennuie. Il songe à une carrière littéraire. Rencontrant, Alexandre Dumas, alors propriétaire du Théâtre Historique, il lui propose une pièce en un acte, en vers. Ce n’est pas un succès. La presse est indulgente mais des amis doivent l’aider financièrement. Jules Verne récidive avec une surprenante opérette Colin Maillard, crée le 20 avril 1853. Cette fois, la presse est enthousiaste. Le spectacle atteint quarante représentations, ce qui est un succès pour l’époque.

Il écrit une nouvelle titrée Les premiers navires de la Marine mexicaine qui prouve sa curiosité pour le monde scientifique et les travaux de gens réputés savants. Même s’il passe sa thèse d’avoué, il refuse de succéder à son père. Ses nombreuses visites à la Bibliothèque Nationale lui permettent d’acquérir un vocabulaire précis. Avec passion, il écoute les récits de voyages d’explorateurs et rêve d’écrire. Mais, marié en 1857, pour vivre et faire vivre son épouse, il devient agent de change. Debout à 5 heures du matin, il écrit jusqu’à 10 heures. Puis, il se rend à la Bourse. Il s’y ennuie et ne réussit pas à faire fortune. Un témoin dira que Jules Verne "y a fait plus de bons mots que de bonnes affaires".

Après un voyage en Ecosse dont il revient enthousiasmé, l’éphémère agent de change publie une étude sur les récits d’aventures maritimes du romancier américain Edgar Poe. Jules Verne se fixe comme but d’éveiller le goût du public par des œuvres romanesques où le fantastique, à la manière d’Edgar Poe, serait épaulé par une imagination foisonnante. Jules Verne veut entraîner ses lecteurs dans des mondes inconnus, faire voyager ceux qui ne voyageront pas ou très peu. Mais pour être crédible, il doit être précis, donc très documenté. Il travaille énormément et accumule des connaissances très détaillées pour ne pas être pris en défaut. En cette époque où les moyens de transport se développent, il explique  même à un ami : "Ne pas savoir quelle direction prend la locomotive, si le train monte par le nord-est ou descend par le sud-est, cela me serait insupportable ! D’autant plus que la nuit venue, je ne verrai rien, n’étant point nyctalope comme les hiboux, les chouettes, les hulottes et les chats de gouttière. "

Ses voyages extraordinaires

En 1862, Jules Verne remet à l’éditeur Hetzel le manuscrit de Cinq semaines en ballon. Après le monde sous-marin, il entraîne ses lecteurs dans les airs. L’auteur se montre très compétent et passionné des problèmes d’aérostation et d’aéronautique. L’ouvrage connaît un succès immédiat. 

L’heureux éditeur fait signer à Jules Verne un contrat d’exclusivité, l’obligeant à fournir deux volumes par an pendant vingt ans. C’est le premier titre de la série Les Voyages Extraordinaires, qui seront couronnés par l’Académie française. Ces volumes, soigneusement illustrés, sont reconnaissables à leur couverture rouge et bleue, ornée de lettres dorées.  L’éditeur et l’auteur tiendront parole : les voyages qu’ils raconteront et publieront sont tous extraordinaires. 

Cette même année 1862, Jules Verne fonde, avec le célèbre photographe Nadar, une société pour l’étude de la navigation aérienne. Deux volumes paraissent : De la Terre à la Lune et Autour de la Lune. Les lecteurs sont fascinés : mais où et comment cet auteur a-t-il trouvé une telle documentation ?  Jules Verne sait mettre en scène ce qu’il décrit. Sa fantaisie dramatique est remarquable : il conduit son public où il veut. Il sait introduire de la poésie. En 1864, avec son Voyage au centre de la Terre, on découvre un autre monde prodigieux : des animaux préhistoriques survivent dans les cavités d’un volcan islandais ! Jules Verne fait voyager où il veut. 

La rigueur de ce qu’il décrit et son talent d’écrivain font merveille : ses livres sont traduits dans toutes les langues européennes. Toutefois, on s’est trompé en le qualifiant de "père de la Science-Fiction". Il fut beaucoup plus le créateur du roman scientifique. Ses personnages sont inoubliables et ils deviennent des symboles.

Le pari du Tour du monde en 80 jours 

De plus en plus passionné par les progrès des moyens de parcourir le monde, entre les chemins de fer, les ballons et la marine à vapeur, le romancier publie, en 1873, un livre particulièrement astucieux où il introduit un véritable suspense. C’est Le tour du monde en 80 jours. L’histoire paraît d’abord en feuilleton dans le quotidien Le Temps. Le récit, passionnant, fait monter le tirage du journal. Les correspondants de presse de tous les pays télégraphient chaque jour les nouvelles péripéties des héros.  

L’idée est simple mais prodigieuse : il s’agit d’un pari entre un gentleman anglais et ses camarades de club : Philéas Fogg  doit faire le tour du monde en 80 jours. L’enjeu du pari est important : la somme convenue est de plusieurs milliers de Livres. Accompagné de son domestique, l’inventif Passepartout, Philéas Fogg part. Mais soupçonné, à tort, d’avoir dévalisé une banque, il est sous la surveillance d’un policier qui s’acharne à le retarder et le poursuit. Dans ce roman, les rebondissements sont permanents et tous les moyens de se déplacer sont utilisés, du ballon à l’éléphant. De nombreux obstacles retardent Philéas Fogg qui a l’oeil sur sa montre. En Inde, il sauve la jeune veuve d’un maharadja qui, selon la tradition hindoue, devait périr sur un bûcher. Aux Etats-Unis, le train transcontinental qui relie la côte Ouest à la côte Est sera attaqué et donc arrêté par des Indiens. Encore un retard ! Si le distingué Philéas Fogg surmonte tous les obstacles, il ne parvient pas à se débarrasser du policier. Mais son imagination (et celle de Jules Verne !) est incroyable. Jules Verne réussit parfaitement le dosage entre le flegme de Philéas Fogg et son ingéniosité, partagée avec Passepartout, pour se sortir des situations les plus inattendues. 

Le récit est haletant, d’une grande invention et très précis. L’auteur a accumulé une documentation incroyable mais parfaitement exacte. Certains lecteurs du feuilleton sont si passionnés qu’ils offrent à Jules Verne une fortune pour que son héros gagne son pari ! Et des compagnies maritimes proposent à l’auteur des sommes folles pour que Philéas Fogg soit à bord d’un de leurs paquebots !

Revenu à Londres et lavé de tout soupçon, Philéas Fogg est convaincu d’avoir perdu son pari, à 24 heures près... Mais, soudain, il réalise que s’étant toujours dirigé vers l’Est, il a gagné 24 heures et, en même temps, son pari ! Il a bien fait le tour du monde en deux mois et vingt jours ! Triomphant avec élégance, il se présente à son club où ses amis, qui croyaient avoir gagné, sont obligés de reconnaître sa victoire. C’est une idée géniale du romancier ! Ce  livre est le premier qui ait fait connaître au grand public la notion de fuseaux  horaires. 

Pour Michel Strogoff, il s'inspire de l'actualité 

Avec Michel Strogoff en 1876, c’est un nouveau triomphe. Mais c’est aussi le reflet d’une actualité diplomatique. En effet, les aventures de courrier du tsar de Russie, qui doit se rendre de Moscou à Irkoutsk, en Sibérie, paraissent au moment où est forgée l'Alliance Franco-Russe. Celle-ci doit rompre l’isolement européen de la France à cause de la défaite de 1870. Le roman de Jules Verne met en évidence la nécessité de construire un chemin de fer Transsibérien afin d’unir réellement l’Empire russe. Lecteur de Jules Verne, le tsar Alexandre III organisera les débuts de ce chantier gigantesque. Les travaux seront réalisés avec le concours des emprunts souscrits par les Français, les fameux emprunts russes. On sait qu’ils laisseront un cuisant souvenir aux souscripteurs jamais remboursés. Mais la Russie, il faut le rappeler, paiera une partie de sa dette d’abord en attaquant l’Allemagne en Poméranie. Cela oblige Guillaume II, à déplacer dès septembre 1914 deux régiments qui menaçaient Paris. Puis, en 1916, le tsar enverra deux régiments (près de 9.000 hommes) se battre sur le sol français.

Les succès de ses livres et de ses adaptations théâtrales rapportent à Jules Verne une pluie d’or. Elle lui permet d’acheter son troisième yacht, le Saint-Michel III. Il va faire des croisières alors que, à l’inverse de ses héros, il a peu voyagé. Et pourtant, les descriptions de ses paysages sont d’une surprenante exactitude. On le verra en Espagne, au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Ecosse, en Norvège, en Islande, en mer Baltique.

En 1872, Jules  Verne se fixe définitivement à Amiens, le pays de son épouse. Cela lui permet d’amarrer son cher bateau au Crotoy, tout en allant fréquemment à Paris ou à Nantes, où sa mère vit toujours. Il explique qu’il ne peut plus travailler à Paris : "On n’y peut trouver une heure de calme et de tranquillité !  Il y a trop de fièvre et trop de bruit ! C’est un fait, je regagne la Province ! Bonsoir Paris !".

1872 l'année de la consécration

1872 est aussi l’année d’une consécration : l’Académie française couronnes ses Voyages Extraordinaires. Il écrit L’Ile Mystérieuse en 1875 et Mathias Sandorf en 1885. Il dédie ce titre à Alexandre Dumas Fils : "A Alexandre Dumas, je vous dédie ce livre en le dédiant aussi à la mémoire du conteur de génie que fut Alexandre Dumas votre père. Dans cet ouvrage, j’ai essayé de faire de Mathias Sandorf le Monte-Cristo des Voyages Extraordinaires".

Le lundi 9 mars 1886, Jules Verne, rentre chez lui. A 17h30, un de ses neveux, Gaston, atteint de la maladie de la persécution et en pleine crise d’aliénation mentale, tire deux coups de revolver sur son oncle. Une balle le blesse au-dessus du pied gauche. Gaston sera interné. Il expliquera qu’il avait voulu attirer l’attention sur son oncle (qu’il admirait !) pour qu’il soit élu à l’Académie française ! Une étrange façon de faire campagne pour Jules Verne ! La balle n’ayant pu être extraite, le blessé souffre énormément. Jusqu’à la fin de ses jours, il marchera avec une légère claudication. Il participe à la vie locale, est élu conseiller municipal d'Amiens sur une liste radical-socialiste. Cela choque énormément sa famille, très conservatrice.

Fin 1904, Jules Verne a une violente crise de diabète mais s’en remet. Le 17 mars 1905, nouvelle crise. Les douleurs sont atroces. Il sait qu’il va mourir. Il l’annonce aux siens. La paralysie le gagne. Il perd conscience le 24 mars et s’éteint le samedi 25 mars, à 7 h du matin. Jules Verne avait 77 ans.

Plus de 5.000 personnes, venues d’un peu partout, assistent à ses obsèques le 28 mars. Il n’y a aucune représentation gouvernemental. Paradoxalement, c’est l’empereur d’Allemagne, Guillaume II, apprenant la nouvelle sur son yacht le Hohenzollern, qui lui rend le plus bel hommage. Le Kaiser déclare "qu’il aurait lui-même suivi le convoi s’il avait pu, car il se souvenait du charme qu’il avait trouvé, dans sa jeunesse, à la lecture des œuvres du grand romancier disparu". 

 

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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars 

Cheffe de projet  : Adèle Ponticelli

Réalisation : Laurent Sirguy et Guillaume Vasseau

Diffusion et édition : Clémence Olivier

Graphisme : Europe 1 Studio

Bibliographie : Charles-Noël Martin La vie et l’oeuvre de Jules Verne (Michel de l’Ormeraie, 1978)