En 1786, s’ouvre le procès exceptionnel du cardinal de Rohan, accusé d'avoir volé le collier. Au lieu de régler cette affaire discrètement, Louis XVI fait la grave erreur d'accepter qu’elle soit jugée en place publique… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars revient sur la gestion catastrophique de l’affaire du collier et sur ses conséquences sur la monarchie.
Lors du procès du cardinal Rohan, en mai 1786, c'est la reine qui est transformée en accusée. Sa mauvaise réputation joue contre elle. Ses dépenses et ses fréquentations au Petit Trianon sont pointées du doigts… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 Studio "Au cœur de l'histoire", Jean des Cars raconte comment l'affaire du collier et le procès public qui a suivi ont participé au discrédit de Marie-Antoinette.
Le Roi est désormais informé de l’affaire par le rapport des joailliers Boehmer qui révèle la supercherie. Louis XVI a aussi en mains la copie certifiée du traité d’achat du collier qui compromet gravement le cardinal de Rohan.
L’arrestation du cardinal dans la Galerie des Glaces
Le 15 août, jour de l’Assomption, est une fête très importante depuis que Louis XIII a dédié la France à la Vierge. Ce 15 août 1785, comme chaque année, à Versailles dans le salon de l’Œil-de-Bœuf et la Galerie des Glaces, tous les courtisans se pressent en grand habit. Il est 11 heures. Ils attendent l’entrée du Roi et de la Reine pour assister ensuite, dans la chapelle royale, à la grand-messe qui doit être célébrée par le grand aumônier de France, le cardinal de Rohan. Les minutes passent. Midi sonne. On n’a toujours pas vu le Roi et la Reine. La rumeur se répand alors que le prélat aurait été convoqué par le Roi dans le Cabinet du Conseil. Lorsque le cardinal pénètre dans ce lieu qui est le cœur du pouvoir, il blêmit. Le Roi et la Reine l’attendent mais leurs visages sont fermés. Il y a aussi le chef du gouvernement, le marquis de Breteuil et le Garde des Sceaux, le marquis de Miromesnil. Louis XVI remet au cardinal le mémoire rédigé par Boehmer et lui demande des explications. Tétanisé, le cardinal reconnaît avoir acheté le collier au nom de la Reine. Mais il assure avoir agi de bonne foi sur ordre de la comtesse de La Motte Valois, l’amie de la Reine. Celle-ci avait remis une demande écrite de Sa Majesté qui lui réservait l’honneur de payer discrètement cet achat. Le cardinal croyait assurer ainsi son retour en grâce !
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Louis XVI, glacial, lui tend la soi-disant demande de la Reine : "Ce n’est ni l’écriture de la Reine ni sa signature. Comment un prince de la Maison de Rohan et un grand aumônier de France a-t-il pu croire que la Reine signait ‘Marie-Antoinette de France’ ? Personne n’ignore que les Reines ne signent que de leur nom de baptême".
Le cardinal pâlit et comprend qu’il a été dupé. Louis XVI lui demande d’écrire sa déposition. Lorsqu’il a fini de la rédiger, il tend sa feuille au Roi et essaie encore de se justifier. C’est alors que la Reine, qui bouillait de colère depuis l’entrée du cardinal dans la pièce, l’interpelle violemment. Elle lui demande comment il a pu imaginer, alors qu’elle ne lui adressait plus la parole depuis huit ans, qu’elle l’aurait choisi pour conduire une telle négociation par l’entreprise d’une aventurière inconnue d’elle !
Le cardinal trompé
Le cardinal admet alors qu’il a été cruellement trompé par cette femme. Il l’a crue parce qu’il ne voulait laisser échapper aucune chance de regagner la confiance de la Reine. Louis XVI lui annonce froidement qu’il va être arrêté pour délit d’escroquerie et crime de lèse-majesté. Rohan supplie qu’on lui épargne l’humiliation d’être arrêté en public revêtu de ses habits sacerdotaux. Il propose même de payer le collier ! Mais sous les regards glacés de la Reine et de Breteuil, Louis XVI se montre inflexible. Il dit alors : "Je fais ce que je dois comme Roi et comme mari".
Breteuil jubile. Il va enfin pouvoir se venger de son vieil ennemi. Le cardinal se retire, s’apprête à entrer dans la Galerie des Glaces. Breteuil s’avance alors sur le seuil de la porte du Conseil et s’adresse au jeune sous-lieutenant des Gardes du Corps pour bien être entendu de tous : "Je vous ordonne, Monsieur, de la part du Roi, d’arrêter Monsieur le Cardinal et d’en répondre !".
La Cour est pétrifiée. Rohan, escorté par des Gardes, parcourt lentement la Galerie des Glaces et l’enfilade des sept salons du Grand appartement du Roi. Une humiliation inimaginable. A la porte du Salon d’Hercule, il glisse à l’un de ses valets un billet donnant l’ordre à son secrétaire, l’abbé Georgel, de brûler un petit portefeuille rouge et son contenu avant qu'on appose les scellés sur ses appartements. C’est le portefeuille dans lequel le cardinal conservait pieusement les lettres de la Reine. Il ne savait pas alors que c’était des faux... Après la perquisition de son domicile, le cardinal de Rohan est conduit à la Bastille.
Étant donné son rang, son séjour n’y sera pas trop pénible. Il a droit à un appartement confortable et à plusieurs domestiques. Mais tout de même, le grand aumônier de France est à la Bastille !
Peu de temps après, Jeanne de La Motte est arrêtée et emprisonnée à la Salpêtrière. Son amant, le faussaire Retaux de Villette, a été ramené de Genève où il s’était réfugié. Il est lui aussi arrêté, de même que Nicole Leguay, coupable du crime de lèse-majesté puisqu’elle s’est fait passer pour la Reine. Le "mage" Cagliostro est aussi interpellé alors qu’il n’était coupable que de conseils fantaisistes. Seul le comte de La Motte n’est pas inquiété. Parti vendre les diamants à Londres, il se garde bien de revenir en France...
Le couple royal ne mesure pas les dangers d’un procès
La Reine, heureuse que les coupables aient été arrêtés, reprend alors le cours de sa vie. Elle inaugure son hameau tout juste achevé, qui va devenir son lieu de prédilection. Et le 19 août, comme prévu, avec "la troupe des seigneurs", elle joue "Le barbier de Séville" dans son petit théâtre de Trianon. Ce sera un grand succès, du moins en apparence. Mme Campan est plus réservée : "On applaudissait à outrance. Cependant, en sortant, on critiquait tout haut, et quelque gens dirent que c’était royalement mal joué !"
En réalité, Marie-Antoinette ne réalise pas qu’une Reine n’aurait pas dû jouer dans cette pièce un peu sulfureuse. Ce sera sa dernière prestation théâtrale. Car ce qu’on appelle désormais "L’affaire du collier" est loin d’être terminée... Le 22 août 1785, Marie-Antoinette écrit à son frère Joseph II :"J’ai été réellement touchée de la raison et de la fermeté que la Roi a mises dans cette rude séance. J’espère que cette affaire sera bientôt terminée mais je ne sais pas encore si elle sera renvoyée au Parlement ou si le coupable et sa famille s’en rapporteront à la clémence du Roi. Mais dans tous les cas, je désire que cette horreur et tous ces détails soient bien éclairés aux yeux du monde".
L'impopularité de la reine
La reine est bien optimiste ! Il est exact que le Roi s’interroge : faut-il confier l’affaire à la Grande Chambre du Parlement de Paris ou la juger lui-même, à huis-clos, ce qui fait partie de ses prérogatives royales ? Lorsque Louis XIV avait été informé que sa favorite, Mme de Montespan, était impliquée dans l’Affaire des Poisons, et donc que le scandale pouvait atteindre la monarchie, il avait immédiatement dissous la Chambre Ardente. Mme de Montespan avait été disgraciée en douceur, sans procès spectaculaire. Louis XVI aurait dû faire ce choix... A ce moment-là, la Reine était très impopulaire. On l’accusait de dépenser trop d’argent et de bien d’autres turpitudes supposées se dérouler dans la discrétion du Petit Trianon. Elle en était elle-même consciente. Pour ses "relevailles" après la naissance du petit duc de Bordeaux quelques mois plus tôt, elle s’était rendue à Paris selon l’usage, à Notre-Dame le matin, l’après-midi à l’Opéra. Son entrée dans sa loge avait été accueillie par un silence glacé, loin de l’enthousiasme qu’elle avait suscité lors de la naissance du dauphin.
Fersen lui-même avait écrit au roi de Suède : "La Reine a été reçue très froidement, il n’y avait pas eu une seule exclamation mais un silence parfait".
En regagnant Versailles, elle avait pleuré dans les bras de Louis XVI en lui demandant, entre deux sanglots : "Que leur ai-je fait ?".
Pour l’opinion, le fait que Marie-Antoinette fasse acheter un collier hors de prix par le cardinal de Rohan n’était pas invraisemblable. Mais Louis XVI est d’une nature généreuse et magnanime. Il laisse le cardinal de Rohan choisir la façon dont il désire être jugé… Il espère sans doute qu’il va choisir la discrétion ! Or, Rohan a choisi le meilleur avocat de France, Guy-Jean Baptiste Target. Celui-ci convainc son client que, puisque le Roi est persuadé de sa culpabilité, il vaut mieux que le cardinal se présente devant le Parlement. Il y aura peut-être plus de chances de prouver son innocence...
Par cette décision désastreuse pour la monarchie, ce qui n’était qu’une affaire privée va être mis sur la place publique. Le baron de Frémilly l’explique dans ses Mémoires : "Au lieu d’exiler le cardinal dans la moindre de ses abbayes, l’imprudent et borné Louis XVI, bon philosophe de Roi, ami de la Justice, ennemi des lettres de cachet, envoya Louis de Rohan à la Bastille et l’affaire au Parlement de Paris. C’était jeter une mèche sur un baril de poudre et le baril éclata dans un fracas épouvantable".
Le procès du cardinal et ses graves conséquences
Les audiences de ce procès exceptionnel commencent le 22 mai 1786. Jeanne de La Motte, avec un culot invraisemblable, nie tout en bloc avant de dénoncer le cardinal de Rohan, la Reine et même Cagliostro pour emmêler tout le monde ! Cagliostro fait un grand numéro de mage ésotérique. Il provoque l’hilarité générale. Le procès a un grand retentissement dans l’opinion. Les pamphlétaires s’en donnent à cœur joie. Tous se retournent contre la Reine. Tout ce qu’elle a fait auparavant joue contre elle : ses dépenses, les fréquentations de sa "petite société", sa vie cachée au Petit Trianon… Bref d’accusatrice, la Reine est transformée en accusée. Le verdict est rendu le 31 mai 1786. Dix-neuf représentants de la famille de Rohan-Soubise, en grand deuil, sont là et s’inclinent à l’entrée des soixante-quatre parlementaires. Jeanne de La Motte est condamnée à être marquée au fer rouge du V de voleuse et enfermée à perpétuité à la Salpêtrière.... d’où elle s’évadera très rapidement !
Son mari, en fuite à Londres, est condamné par contumace aux galères à perpétuité. Le faussaire Retaux de Villette n’est condamné qu’à l’exil. Cagliostro est simplement banni. Quant à Nicole Leguay, victime plus que manipulatrice, elle est acquittée. Le cardinal de Rohan a droit à un réquisitoire sévère du procureur. Mais il est finalement acquitté, sans aucun blâme. On peut considérer qu’il a surtout été coupable d’une grande naïveté. En revanche, on aurait pu retenir le crime de lèse-majesté puisque le cardinal ne s’est même pas excusé auprès de la Reine de l’avoir cru capable de lui donner un rendez-vous nocturne dans les jardins de Versailles !
L’acquittement du cardinal provoque une explosion de joie dans Paris. Dix mille personnes vont l’accompagner à la Bastille, où il va passer une dernière nuit. A l’annonce du jugement, Marie-Antoinette est désespérée. Elle est presque au terme d’une grossesse très difficile qui l’a épuisée. Elle accouchera le 9 juillet suivant de son dernier enfant, la petite Sophie qui ne vivra que onze mois.
Pour la Reine, le temps des plaisirs est terminé. Elle se réfugie au hameau avec ses enfants. Après la mort de Sophie, c’est l’état de santé inquiétant du Dauphin qui la préoccupe. Ce dernier mourra de tuberculose osseuse peu de temps après l’ouverture des Etats-Généraux, en juin 1789. Marie-Antoinette n’a plus qu’à faire face à l’adversité… Finalement, le Roi et la Reine, pour se venger du verdict du Parlement, vont exiler le cardinal en son abbaye de la Chaise-Dieu, en Auvergne, faisant de l’acquitté un martyr. Une erreur de plus.
Comme l’écrira Stefan Zweig, dans sa magistrale biographie de Marie-Antoinette : "La Reine était innocente et, pour rendre publique son innocence, elle en appela au Parlement. Le résultat, c’est qu’on la crut coupable".
Ressources bibliographiques :
Hélène Delalex, "L’affaire du collier ou le génie de l’intrigue" dans "Les grandes énigmes de l’ Histoire" sous la direction de Jean Christian Petitfils, (Perrin / le Figaro Histoire, 2020).
Guy Breton, "Histoires d’amour de l’Histoire de France" ( Tome X, Editions Noir et Blanc, 1965).
Evelyne Lever, présentation et commentaires de la "Correspondance de Marie-Antoinette, 1770-1793" (Tallandier, 2005).
Jean des Cars, "Le Hameau de la Reine" ( Flammarion, 2018).
Jean des Cars, "La saga des Reines" ( Perrin, 2012).