Louis XIV s’éteint le 1er septembre 1715, quelques jours avant son 77ème anniversaire. Le règne le plus long de l'Histoire de France vient de s’achever. Quel est le secret de cette longévité exceptionnelle ? Virginie Girod vous place au chevet du Roi-Soleil pour un examen de santé du souverain.
À une époque où il n’existe ni vaccin ni antibiotique, la mortalité infantile est élevée. En 1647, Louis XIV, qui a 9 ans, est déjà roi lorsqu’on lui diagnostique la variole, une maladie mortelle. Conformément à la théorie des humeurs qui régit la médecine, on multiplie les saignées pour faire baisser la fièvre et on lui fait ingérer du chlorure de mercure. Le traitement est aussi dur que la maladie ! Le jeune roi endure la douleur et guérit miraculeusement. Louis XIV n’est qu’au début de ses pépins de santé : blennorragie, fièvre typhoïde, crises de goutte, le roi survit à tout. Mais le pire est à venir. À 48 ans, Louis XIV souffre d’une fistule annale ! C'est tellement douloureux que le roi ne peut plus rien faire, et doit s’en remettre à la chirurgie, discipline alors méprisée. L’opération est un succès et on raconte que Lully aurait composé un Te Deum en l’honneur de la santé du roi. Copié outre-Manche, l’air composé pour la fistule annale du roi aurait inspiré un peu plus tard l’hymne anglais : God Save The King !
En 1715, le souverain se plaint d’une vive douleur à la jambe. Le membre est ravagé par la gangrène et devient tout noir. Malgré la souffrance, le roi tente de continuer à vivre en suivant l’étiquette rigide qu’il a lui-même instaurée. Mais il est bientôt contraint de se reclure dans sa chambre pour attendre la mort. Après une douloureuse agonie, Louis XIV finit par s’éteindre.
Le corps du Roi-Soleil est déposé dans la nécropole royale de Saint-Denis. Son cœur embaumé et placé dans un cardiotaphe en vermeil, puis il est offert à l’église Saint-Paul-Saint-Louis, à Paris. Dans le désordre de la Révolution française, le cœur est vendu à un artiste qui en fera… de la peinture !
Thèmes abordés : Louis XIV, santé, maladie, variole, Versailles
"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio
- Auteure et Présentatrice : Virginie Girod
- Production : Camille Bichler
- Réalisation : Pierre Cazalot
- Direction artistique : Julien Tharaud
- Composition de la musique originale : Julien Tharaud et Sébastien Guidis
- Edition et Diffusion : Nathan Laporte
- Coordination des partenariats : Marie Corpet
- Visuel : Sidonie Mangin
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Nous sommes le samedi 24 août 1715 au château de Versailles. Le Roi-Soleil est tout proche de son 77ème anniversaire. Mais ça fait déjà plusieurs jours qu’il est malade et cette fois, la fin semble inéluctable.
Ce matin-là, il est perclus de douleurs. Son médecin, Louis-Crescent Fagon vient lui faire un bandage propre. Une longue tache noire marbre sa jambe et la gangrène le dévore jusqu’à l’aine. Le médecin s’efforce de ne pas froncer le nez mais l'odeur du souverain est à deux doigts de lui soulever le cœur. Il faut le cacher pour l’honneur et pour le respect de ce patient royal qui se plaint si peu alors qu’il pourrit littéralement sur pied.
Le Roi-Soleil a une volonté de fer : malgré la douleur, après avoir reçu ses soins, il se lève et se fait habiller, comme tous les jours. Il préside ensuite le Conseil des Finances. Alors que les conseillers et les ministres parlent, le roi constate que ses blessures suppurent. Les bandages commencent à dégorger sur ses vêtements. Il interrompt donc la réunion avant la fin.
Villeroy, le Chef du Conseil des finances, jette un œil par-dessus l’épaule du médecin qui change les pansements. La jambe du souverain est toute noire ! Villeroy sort précipitamment de la salle du conseil et cour à travers le palais jusqu’à ses appartements où il se met à pleurer.
Plus tard, Louis XIV, obéissant à l’étiquette qu’il a lui-même établie, dîne en public. Lui qui a toujours beaucoup mangé se limite à l’absorption d’un simple bouillon. Il se retire ensuite dans son appartement où, comme tous les soirs, Madame de Maintenon et les princesses viennent lui rendre visite. Quelques courtisans admis chez le roi dans la soirée se présentent comme à l’accoutumée. Mais cette fois ç’en est trop. Louis XIV ne peut plus poursuivre cette comédie qu’il s’impose par devoir. La douleur est trop forte.
Il fait sortir tout le monde, à part ses médecins. Une vague de mélancolie le ravage. Il a compris que cette fois, c’est la fin. Il fait appeler son confesseur, le père Le Tellier avec qui il demande à rester seul. C’est le moment de se mettre en règle avec Dieu.
Le jeune Louis XIV attrape la variole
Pour Louis XIII et Anne d’Autriche, la naissance de Louis Dieudonné après 23 de mariage est un don de dieu, comme le laisse entendre son second prénom. On veille précieusement sur le petit dauphin.
À une époque où il n’existe ni vaccin ni antibiotique, la mortalité infantile est élevée. Elle est alors autour 40%. Les maladies infectieuses sont bien sûr les premières faucheuses. Depuis l’Antiquité, la variole sévit par vague et son taux de mortalité est évalué entre 45 et 75%. Mais quand on y survit, on est immunisé pour toujours.
En 1647, Louis XIV, qui a 9 ans, est déjà roi mais le royaume est dirigé par la régente, sa mère, aidée de Mazarin. Cette année-là, Louis XIV est confronté pour la première fois à une maladie potentiellement mortelle puisqu’il développe la variole.
Nous sommes alors le 11 novembre 1647. Il est 17h quand l'enfant se plaint d’une vive douleur dans les reins. Anne d’Autriche est terrifiée. Elle sait qu’un royaume est toujours fragile pendant une régence. Si son fils meurt, sera-t-elle en mesure de conserver la couronne pour son cadet ?
Elle refuse de se poser la question et appelle son médecin, Monsieur Vaultier. Le diagnostic tombe, pour lui, ça ne fait aucun doute, c’est la variole !
Le petit souverain a de la fièvre. Pour la faire baisser, on lui fait une saignée car à l’époque, on croit à la théorie des humeurs développée par Hippocrate, le célèbre médecin de l’antiquité grecque. Si le corps est trop chaud, il souffre d’un excès de sang et il faut donc le vider de cet excédent en ouvrant les veines du bras.
Evidemment, la saignée ne fait pas baisser la fièvre. Pour soigner le mal, on réalise une autre saignée dès le lendemain. Rien n'y fait ! 48 heures après le début des symptômes, les pustules apparaissent sur le visage et plusieurs parties du corps de l’enfant.
Dans les jours qui suivent, le petit Louis XIV délire à cause de la fièvre et on continue à lui faire des saignées. Presque tout son corps est couvert de pustules. Comme l’enfant est au plus mal, les médecins décident de le purger pour évacuer la bile pourrie qui envahit son estomac.
Il n’y a évidemment aucun problème de bile pourrie mais c'est ainsi que la théorie des humeurs fonctionne. Pour purger le petit, on lui donne du calomel, le nom pharmaceutique du chlorure de mercure, la même substance qui empoisonna Agnès Sorel. Le petit roi endure ces traitements plus durs que la maladie avec un grand courage et il guérit miraculeusement. Il a l’étoffe des durs, c'est certain.
Son journal nous dévoile ensuite qu’il survit à une blennorragie (une MST) à l’adolescence. Il contracte ensuite une fièvre typhoïde à 20 ans, qui le laissera presque chauve. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il a lancé la mode des perruques. Plus tard il aura des crises de goutte à répétition. Mais le pire est à venir.
La fistule anale du roi et l'hymne anglais
Nous voilà en 1686. Le roi a 48 ans et il a fait de Versailles son joyau. Mais voilà que depuis quelques temps, il a de plus en plus de mal à marcher et il fait ses promenades en chaise à porteur. Les courtisans se murmurent pudiquement que sa Majesté souffre d’une tumeur à la cuisse.
La réalité est plus triviale ! Le roi à l’habitude de se faire des lavements, ce qu’on appelle alors des clystères. Il s’injecte de l’eau additionnée de divers produits comme du miel dans le fondement avec une grosse seringue mécanique ; tout ça à une époque où on ne désinfecte pas le matériel médical parce qu’on ignore l’existence des virus et des bactéries. Le roi est donc en contact avec une bactérie nommée Anthrax. Et cette bactérie va créer une inflammation du colon qui va aboutir à une fistule anale.
C'est tellement douloureux que le roi ne peut plus rien faire. Les emplâtres et les cataplasmes ne le soulagent pas. Les médecins sont sur les dents et c’est à regret qu’ils abandonnent le terrain aux chirurgiens, les spécialistes d’une discipline alors méprisée. Seul le chirurgien Charles-François Félix de Tassy ose proposer une opération au souverain. Il faut couper la fistule. Ça va faire très mal pendant quelques minutes, puis ça ira mieux. Le roi désespéré finit pas accepter.
Maintenant qu’il a l’accord du roi, Félix a le vertige. Il joue sa carrière. Il décide de se faire fabriquer un long bistouri à lame recourbé et un écarteur spécifiquement pour cette opération ; et il se fait la main sur tous les malades souffrant de fistules dans les hôpitaux de Paris. Pour mémoire, à cette époque, il n’y a que des pauvres promis à une mort certaine dans les hôpitaux. On ne sait pas sur combien de cobayes Félix s’exerce. On parle parfois de 75 sujets d’expérimentations. Il découvre bien vite que si l’incision est trop profonde, elle cause une hémorragie mortelle. On raconte que le curé Hébert enterre les cobayes décédés à l’aube sans sonner les cloches de l’église pour éviter d’attirer l’attention.
Enfin, le 18 octobre 1686, à 7h du matin, Félix se tient devant le lit du roi avec son écarteur et son bistouri. Sa Majesté est allongée sur le ventre, un coussin sous le bassin. Ses jambes nues sont écartées. Louis XIV a décidé d’être opéré dans le plus grand secret. Il boit un verre de vin. C’est tout ce qu’il a pour le calmer car on ne sait pas encore faire d’anesthésie. En homme courageux, le souverain se serait écrié :
" Est-ce fait Messieurs ? Achevez et ne me traitez pas en roi. Je veux guérir comme si j’étais paysan. "
La première opération est un succès. Une seconde suit peu après et le roi se remet définitivement. Le peuple heureux de savoir son souverain guérit fait des actions de grâce. Lully aurait composé un Te Deum en l’honneur de la santé du roi. La duchesse de Birnon en aurait écrit les paroles…
On raconte qu’une quinzaine d’années plus tard, le compositeur Haendel, de passage à Versailles, aurait recopié la partition et l’aurait emmenée en Angleterre. L’air composé pour la fistule anale du roi inspirerait un peu plus tard l’hymne anglais : God Save The King.
Louis XIV cède à la gangrène
Au moment de sa chirurgie, le roi n’est déjà plus jeune mais il traverse les 29 années suivantes sans problèmes majeurs si on oublie les calculs rénaux, les problèmes de dents, les maux de tête, les fièvres ou encore le diabète… Tout ça nous amène au mois d’août 1715, Louis XIV se retire à Marly avec une partie de la cour. Accompagner le roi dans cette villégiature est toujours un immense privilège.
Un jour, le souverain se plaint d’une vive douleur à la jambe. Le médecin Fagon diagnostique une sciatique mais dans les jours qui suivent, des tâches noires apparaissent sur sa jambe. Elles s’étendent rapidement en causant de vives douleurs au souverain.
De retour à Versailles, le roi continue à vivre en suivant l’étiquette rigide qu’il a lui-même instaurée. Lever, repas en public, réunion de travail… Mais le 24 août au soir, Louis XIV aussi endurant soit-il, ne supporte plus la douleur. Toute sa jambe est noire. Elle est ravagée par la gangrène. Les tissus se nécrosent de plus en plus. En un mot, la chair meurt… le corps meurt avant son esprit qui résiste et s’accroche à la vie.
À partir du 26 août, Louis XIV ne quitte plus sa chambre. La gangrène a atteint l’os. Le Roi-Soleil demande à voir son héritier. Son arrière-petit-fils, le futur Louis XV, n’a que 5 ans. Depuis quelques temps déjà, il le préparait au pouvoir, l’emmenait souvent avec lui et le faisait habiller comme lui, telle une miniature, un petit double. Là, dans la chambre dans laquelle il va mourir, il préconise à son successeur de veiller à soulager son peuple et d’être un roi pacifique.
Dans les jours qui suivent, le roi fait plusieurs fois ses adieux à Madame de Maintenon, son épouse morganatique, son dernier amour sincère, sa compagne des vieux jours. Le 30, le souverain dont le corps aspire déjà depuis longtemps à retourner à la poussière tombe dans le coma. L’âme cède le 1er septembre.
Le coeur de Louis XIV dans un tableau
Le lendemain, à 9h du matin, les médecins et les chirurgiens du roi s’installent dans la pièce contigüe à la chambre royale pour procéder à l’ouverture du corps : c’est-à-dire à son autopsie pour valider les causes naturelles du décès.
Le rapport signale que le roi est gangréné sur tout le côté gauche du pied jusqu’au cou. Les intestins sont inflammés et il y a un petit calcul dans l’un des reins. Le cœur a commencé à se calcifier. Le roi se putréfiait déjà depuis deux semaines. En dehors de toute sédation, son agonie a dû être atrocement douloureuse. Ce fut un terrible crépuscule enduré avec la plus grande dignité.
Le 9 septembre, le corps du Roi-Soleil est déposé dans la nécropole royale de Saint-Denis. Son cœur embaumé est placé dans un cardiotaphe en vermeil, puis il est offert à l’église Saint-Paul-Saint-Louis dans le Marais, à Paris.
Le siècle passe, la révolution vient troubler les morts, les sépultures des rois de France sont profanées. Le cardiotaphe de Louis XIV est fondu pour en recycler le métal précieux et le cœur est vendu à un peintre de second ordre, Alexandre Pau de Saint-Martin. Celui-ci à l’intention de fabriquer du brun de momie. Le brun de momie, c’est une peinture marron à laquelle on mêle des restes de momie broyés pour lui donner sa teinte particulière. Sauf qu’en pleine révolution, difficile de trouver des momies égyptiennes, on fait donc avec ce qu’on trouve sur place. Et puis de la momie royale en période républicaine, c’est symboliquement très fort. Voilà comment des fragments du cœur de Louis XIV se retrouvent sur la toile d’un maître mineur intitulé Vue de Caen exposé aujourd’hui au musée Tavet-Delacour de Pontoise.
Après un parcours sinueux, ce qu’il restait du cœur de Louis XIV retrouve un nouveau cardiotaphe à Saint-Denis. Et c’est là qu’entre en scène un médecin légiste que les habitués d’Au Cœur de l’Histoire connaissent bien. Notre ami Philippe Charlier a pu analyser les restes du cœur de Louis XIV et des fragments de peinture brune sur la toile de Pau de Saint-Martin. Les fragments de peinture contiennent des protéines cardiaques humaines liées à une surinfection causée par un diabète sénile. Ce qu’on peut résumer en un mot : la gangrène !
Le reste du cœur était quant à lui partiellement calcifié, comme dans le rapport d’autopsie. La datation au carbone 14 confirme quant à elle l’âge du décès du souverain. Les recherches du docteur Philippe Charlier prouvent que les causes de la mort de Louis XIV ont été correctement identifiées à son époque, que c’est bien le cœur du Roi-Soleil qui est conservé à Saint-Denis et qu’il y a bien des fragments de ce cœur sur une toile dans un musée français.
Références bibliographiques et ressources en ligne
Joël Cornette, La mort de Louis XIV, apogée et crépuscule de la royauté, histoire folio, 2015.
Philippe Charlier et David Alliot, Autopsie des cœurs célèbres, Tallandier, 2023.
Stanis Perez, La santé de Louis XIV, une bio histoire du Roi-Soleil, Champ Vallon, 2007
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