En 1896, Alice Guy est la secrétaire de Léon Gaumont. Il lui propose de réaliser des films. Elle deviendra la première femme au monde scénariste, metteuse en scène et directrice de production. Découvrez cette histoire dans cet épisode bonus de "Au cœur de l'histoire".
En écoutant le récit consacré à la rivalité entre Gaumont et Pathé vous avez peut-être eu envie d'en savoir plus sur la collaboratrice de Léon Gaumont : Alice Guy. Dans cet épisode bonus de Au cœur de l'histoire, le spécialiste histoire Jean des Cars vous raconte l'histoire de celle qui fut la première femme réalisatrice de cinéma.
Alice Guy était la secrétaire de Léon Gaumont et c’est lui qui lui proposa de réaliser des films. Au début, c’était pour faire de la publicité sur les caméras 35mm inventées par Gaumont. Très vite, celle qu’on surnomme "Mademoiselle Alice" convainc son patron de réaliser de véritable films. C’est ainsi que Gaumont se transforme en une véritable maison de production.
C’est elle qui, en 1905, engage Louis Feuillade, le réalisateur phare de la maison. En 1907, elle épouse Herbert Blaché, opérateur d’origine anglaise qui travaille à Berlin pour la Gaumont. En 1909, Léon Gaumont propose au couple de partir aux Etats-Unis pour y promouvoir son appareil, le chronophone, qui projette des images avec un son synchronisé, enregistré sur disques.
Elle crée une maison de production cinématographique, une compagnie d'acteurs
Installés près de New-York Alice et Herbert ont deux enfants mais pas beaucoup de succès avec le chronophone. En 1910, Alice fonde, avec son mari, sa propre société de production, la Solax. Dans le New-Jersey, à Fort Lee, le couple fait construire un studio. La Solax sera la plus grande maison de production cinématographique des États-Unis, quelques années avant que Hollywood ne devienne la capitale du cinéma américain.
Alice dirige elle-même ses films, elle fonde une compagnie d’acteurs, la "Solar Stock" et y emploie, bien sûr, des comédiens mais aussi les girls des Ziegfield Folies et des soldats de l’armée.
Alice ne craint rien, pas même les animaux sauvages qu’elle fait tourner en gros plans. Il existe une étonnante photo d’elle, lovée sur une énorme tigresse ! Elles sont tête contre tête et Alice a passé son bras droit autour du cou du félin ! La tigresse est la star de son film "Les bêtes de la jungle" et semble enchantée !
D’autres photos montrent Alice dans son métier de metteuse en scène : très chic en tailleur blanc, script à la main, elle dirige la vamp Olga Petrova dans un décor somptueux et une ambiance tragique, celle du film “My Madonna” (“Ma Madone”). À un autre moment, Alice, en extérieur, tailleur sombre à col blanc et chapeau, le script toujours en main, donne des instructions à la jeune Bessy Love, montée en amazone sur un magnifique pur-sang. Le tournage a lieu en Floride. Il s’agit de "Spring in the air", "Le printemps est dans l’air" .
Elle produit des mélodrames, des westerns, de l'opéra...
Ce qui est étonnant chez Alice Guy est son incroyable facilité à passer d’un film à l’autre, en maîtrisant tous les aléas du scénario. Elle fait exploser des bateaux, filme des poursuites en voiture, des chevauchées de cow-boys et d’Indiens. Elle produit des mélodrames, des westerns, des films historiques en costumes, du fantastique, de l’anticipation, de l’opéra ! En quelques années, sa société connaît un immense succès commercial.
Avec la guerre de 1914-1918, sa situation financière devient précaire. Son mari la quitte en 1918 pour s’installer à Hollywood avec une jeune actrice. Mais Alice continue de travailler. En 1918, justement, elle enchaîne un succès avec "La grande aventure" puis un gros échec avec "La flétrissure" et manque de peu d’être emportée par la terrible grippe espagnole.
Elle tourne pour MGM et Universal
Pour payer ses dettes, elle vend ses studios mais tourne encore pour d’autres sociétés qui deviendront des géants comme la MGM et Universal. En 1922, son divorce est prononcé et elle revient en France. Mais elle ne parvient pas trouver sa place dans le cinéma traumatisé par la crise qui a suivi la guerre. En 1927, elle retourne aux Etats-Unis avec ses deux enfants, s’installe dans le New-Jersey. Elle écrit des livres pour la jeunesse et donne des conférences sur sa carrière d’authentique pionnière du cinéma.
Elle vit près de ses anciens studios où elle a connu tant de joies et fait preuve de tant de créativité... Elle s’éteint le 24 mars 1968, âgée de 98 ans. Pendant plus de 50 ans, ses films ont disparu. Quatre ans après sa mort, en 1972, certains sont redécouverts. Un miracle du septième art... Depuis 2013, le nom de cette exceptionnelle aventurière du cinéma, au sens noble du terme, a été donné à une place de Paris, dans le 15e arrondissement.