A la mort de Louis XVI en 1793, son fils, âgé seulement de 8 ans devient roi de France sous le nom de Louis XVII. Pour les révolutionnaires, ce petit garçon est considéré à la fois comme une menace pour la sécurité de l’Etat et comme un précieux otage qu’il faut préserver… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 studio “Au cœur de l’Histoire”, Jean des Cars raconte la vie et le décès entouré de mystères du jeune roi dans la prison du Temple.
Peu après l'exécution de son père, le jeune Louis XVII est séparé de sa mère, Marie-Antoinette… Son décès dans la prison du Temple a fait naître de nombreuses rumeurs… Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 studio "Au cœur de l’Histoire", Jean des Cars lève le voile sur l'énigme de la mort du fils de Louis XVI.
Episode 1 - Les derniers jours
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Depuis la terrible insurrection du 10 août 1792, le roi a été déchu, la famille royale est retenue dans la sinistre tour de la prison du Temple. Après son procès, Louis XVI a été guillotiné le 21 janvier 1793. Marie-Antoinette, désormais surnommée la Veuve Capet, et ses deux enfants, Marie-Thérèse, dite Madame Royale, son fils devenu Louis XVII à la mort de son père et la sœur du roi défunt, Madame Elisabeth sont dans le désespoir et dans l’angoisse, ne sachant quel sort les attend.
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Il faut préciser que selon la tradition monarchique française, à l’instant où Louis XVI a perdu la vie, son petit garçon, âgé de 8 ans, le Dauphin, est devenu Roi de France sous le nom de Louis XVII. « Le Roi est mort, vive le Roi ! ». Depuis son exil en Westphalie, le frère aîné du roi défunt, le comte de Provence, reconnaît son neveu comme nouveau roi de France.
Il n’est pas le seul. L’Europe entière, l’Angleterre, le Portugal, l’Espagne et la plupart des Etats germaniques le reconnaissent aussi et rejoignent la coalition contre la France. Même les Etats-Unis d’Amérique reconnaissent Louis XVII car ils savent ce qu’ils doivent à son père. Quant à l'impératrice Catherine II de Russie, elle ne se contente pas de reconnaître le nouveau monarque. Elle signe un ukase, c'est-à-dire un décret : "Tous les Français qui refuseront de prêter serment de fidélité et d’obéissance à Louis XVII seront chassés de Russie".
Au même moment, en France, les provinces de l’ouest prennent les armes pour installer Louis XVII sur le trône. C’est le début des guerres de Vendée. Pour la République récemment proclamée, la situation politique, tant nationale qu’internationale, est périlleuse. Le nouveau régime considère que ce petit garçon de huit ans est à la fois une menace pour la sécurité de l’Etat mais aussi un précieux otage qu’il faut préserver.
La seconde Terreur et l'enlèvement de Louis XVII
Le 14 février 1793, les Montagnards occupent les postes clefs de la Commune de Paris. Les prisonniers du Temple sont soumis à des fouilles fréquentes et humiliantes. Le 9 mai, Louis XVII est pris d’une forte fièvre et de maux de tête. Marie-Antoinette réclame qu’on lui envoie le docteur Brunyer, ancien médecin du roi. La Commune refuse et finit par envoyer, trois jours plus tard, un médecin ordinaire des prisons, le docteur Thierry. Celui-ci aura l’honnêteté de consulter Brunyer, qui connaît très bien l’enfant, et lui donne les remèdes que suggère son confrère. Les traitements font un peu d’effet mais c’est la première attaque sérieuse d’une sorte de pleurésie provoquée par le bacille de Koch, c'est-à-dire la tuberculose.
Le 2 juin 1793, Robespierre et ses Sans-Culottes, au total 80.000 Parisiens en colère, investissent la Convention. 29 Girondins seront arrêtés et guillotinés. C’est le début de la seconde Terreur. Robespierre est informé de rumeurs de tentatives d’évasion de la famille prisonnière au Temple. C’est exact : l’énigmatique baron de Batz est en train d’échafauder des plans pour la fuite du petit Louis XVII. Le 1er juillet, le Comité de Salut Public décrète :
" Le jeune Louis, fils de Capet, sera séparé de sa mère et placé dans un appartement à part, le mieux défendu de tout le local du Temple. Il sera remis dans les mains d’un instituteur au choix du Conseil Général de la Commune. "
Trois jours plus tard, à 10 heures du soir, des officiers municipaux font irruption dans la pièce où la reine et sa belle-soeur Madame Elisabeth ravaudent leur linge. Madame Royale lit. Quant au petit Louis XVII, il dort. Les Gardes viennent s’emparer du garçon. Marie-Antoinette laisse éclater sa douleur, disant qu’elle ne peut se résigner à cette séparation, que son fils a besoin de ses soins. L’enfant, lui, sanglote et s’écrie : "Maman ! Maman ! Ne me quittez pas !"
Sa sœur, Marie-Thérèse, racontera dans ses Mémoires ce moment abominable, une heure de pourparlers qui ne serviront à rien. Marie-Antoinette, en larmes, finit par remettre son fils aux officiers municipaux. Elle ne le reverra jamais...
Un petit duc de Normandie, plein de gaieté et de santé…
Lorsqu’il voit le jour le 27 mars 1785, à Versailles, Louis-Charles, titré duc de Normandie, est le troisième enfant du couple royal. On sait que la première fille de Louis XVI et Marie-Antoinette, Marie-Thérèse, est née en juillet 1778, huit ans après leur mariage. On sait aussi que le roi et la reine avaient eu des difficultés à concevoir un enfant. Le frère de Marie-Antoinette, l’empereur Joseph II, avait dû expliquer à son beau-frère comment il fallait se comporter dans un lit avec son épouse…
Après Marie-Thérèse, l’arrivée du Dauphin Louis-Joseph, le 22 octobre 1781, avait comblé de joie ses parents. Un deuxième fils assurait la descendance. La naissance de ses trois enfants a métamorphosé la reine. Marie-Antoinette se préoccupe de leur santé et de leur éducation. Elle est un peu moins frivole et un peu plus mère de famille mais cela, le peuple ne le sait pas. Au même moment, elle est l’objet de libelles insultants et cruels. On l’accuse de tout !
En juin 1786, Louis XVI part pour son seul voyage en province : il va inspecter les fortifications de la rade de Cherbourg. Lorsqu’il rentre de Normandie le 29 juin, la reine, sa fille et ses deux fils, guettent son arrivée. Le roi sort de sa voiture et se précipite pour embrasser les siens. Il a reçu un accueil triomphal tout au long de ce déplacement. Il prend le petit duc de Normandie dans ses bras en lui disant : "Viens mon petit Normand, ton nom te portera bonheur…"
Il ne se sera pas exaucé. Tous les malheurs vont accabler la famille royale. Deux mois plus tard, la reine accouche de leur dernier enfant, la petite Sophie, de santé fragile. Elle meurt l’année suivante, à l’âge de 11 mois. La santé du Dauphin préoccupe aussi ses parents. Il s’étiole et finit par mourir, après d’affreuses souffrances, de tuberculose osseuse le 4 juin 1789, peu après l’ouverture des Etats Généraux.
Cette tragédie fait du duc de Normandie le nouveau Dauphin. Il a alors 4 ans. Il va passer son dernier été à Versailles, très souvent avec sa mère et sa sœur dans le joli hameau de Trianon. Tout cela prend fin avec les journées d’octobre qui obligent la famille royale à quitter Versailles pour s’installer aux Tuileries, inoccupées depuis la Fronde. Le petit Dauphin, habitué aux fastes de Versailles, s’écrie : "Oh Maman, comme tout est laid ici !". La reine lui répondra : "Louis XIV y logeait et s’y trouvait bien. Nous ne devons pas être plus difficiles que lui."
En fait, bien que la situation politique soit désastreuse pour la monarchie, aux Tuileries, la famille royale va vivre d’une façon beaucoup plus intime et rapprochée qu’à Versailles. La nouvelle gouvernante des enfants de France, Mme de Tourzel, ne tarit pas d’éloges sur son charmant élève :
" Il était impossible de voir un enfant plus attachant, rempli de plus d’intelligence, effectivement avec autant de grâce. Sa gaieté et son amabilité étaient la seule diversion aux peines journalières dont la reine était accablée. "
Mme de Tourzel fera partie de la désastreuse équipée de Varennes en juin 1791. On sait que la tentative de fuite de la famille royale pour rejoindre l’armée fidèle au roi sera suivie d’un retour tragique et traumatisant, et le petit Dauphin en sera très marqué. Il n’a rien compris à ce départ et à ce voyage mouvementé. Il a seulement senti que le peuple était fâché contre son père et sa mère. Il questionnera le roi à ce sujet. On ne sait pas ce qu’a répondu Louis XVI. Mais les Tuileries sembleront un paradis après la terrible journée du 10 août qui voit la déchéance du roi et l’incarcération de la famille royale dans l’horrible donjon du Temple.
Le Temple, construit au cœur du Marais par les Templiers au XIIIe siècle, est un très grand ensemble qui a appartenu au comte d’Artois, frère de Louis XVI. Si le grand palais est resté magnifique, la tour est devenue une prison. Les quelques personnes qui avaient accompagné la famille royale, dont Mme de Tourzel et la princesse de Lamballe, sont arrêtées et conduites à la prison de la Force. La famille reste seule face à ses geôliers.
C’est Louis XVI qui organise les journées. Il se préoccupe de l’instruction du Dauphin, lui apprend la géographie. La reine lui apprend l’histoire et la poésie. Madame Elisabeth se charge du calcul. Le roi déchu donne aussi à son fils des leçons de français et de latin. Tout ceci se passe dans une pièce commune où Marie-Antoinette coud, tricote et reprise ses bas.
Le Dauphin dort dans la chambre de son père, au deuxième étage. Il ne monte au troisième étage où se trouve sa mère et sa tante que l’après-midi. Lors du procès du roi, on sépare le père du fils et le Dauphin dort à l'étage. Comme je vous l’ai raconté au début de ce récit, quelques mois après la mort du roi, le 1er juillet 1793 le petit garçon est arraché à sa mère.
Louis XVII est confié au cordonnier Simon
Les gardes ne vont pas emmener l’enfant très loin, à l’étage du dessous, là où se trouvait l’appartement de son père. Le cordonnier Simon et sa femme ont pris possession des lieux. Ce sont eux qui vont désormais s’occuper de l’éducation de Louis XVII. Pour le petit garçon, Antoine Simon n’est pas un inconnu. Cet ancien cordonnier, membre des Jacobins puis du conseil général de la Commune, est un partisan des Montagnards et de Robespierre. Il avait été chargé de l’aménagement de l’appartement de la famille royale au Temple et lui rendait parfois de menus services au point que Marie-Antoinette disait : "Nous sommes bien contents de ce bon M. Simon qui nous fait avoir tout ce que nous voulons".
On l’a souvent fait passer pour un tortionnaire, c’est sans doute excessif. Il a pour mission de transformer le prince royal en bon révolutionnaire et c’est ce qu’il va faire. Il va lui apprendre à jurer, à insulter les aristocrates et à chanter des chants révolutionnaires. S’il le faut, il le gifle ; s’il veut le récompenser, il lui donne une rasade d'eau-de-vie ! Quant à sa femme Marie-Jeanne, épousée sur le tard, elle est désespérée de n’avoir pas eu d’enfant et va se prendre d’affection pour son "petit Louis Charles". Il lui arrivera de le soustraire aux brutalités de son mari. Il faut préciser que pendant la période où l’enfant est aux mains des Simon, il est tenu très proprement et nourri correctement.
Le 1er août 1793, la Convention décide le renvoi de Marie-Antoinette devant un tribunal extraordinaire et son transfert immédiat à la Conciergerie. Le 2 août, à 2 heures du matin, à son tour, la reine est arrachée à sa fille Marie-Thérèse et à sa belle-sœur Madame Elisabeth. A l’étage du dessous, son fils ne le sait pas. C’est lors du procès de la reine et sous la pression d’Hébert que le Tribunal Révolutionnaire décide d’auditionner l’enfant. Simon a bien préparé le garçonnet en lui expliquant ce qu’il devait dire et lui a fait boire de l’alcool pour faciliter les choses. Cela aboutira à ce terrible réquisitoire contre sa mère : "Charles Capet déclare en outre qu’ayant été surpris plusieurs fois dans son lit par Simon et sa femme à commettre sur lui des indécences nuisibles à sa santé, il leur avoua qu’il avait été instruit de ces habitudes pernicieuses par sa mère et sa tante, et que différentes fois, elle s’étaient amusées à lui voir répéter ces pratiques devant elles, et que bien souvent cela arrivait lorsqu’elles le faisaient coucher entre elles."
C’est Hébert qui rapportera la teneur des propos de Louis XVII lors du procès de la Reine. Il en conclut : "Il n’y avait pas même à douter qu’il y ait eu un acte incestueux entre la mère et le fils". Marie-Antoinette reste impassible. Lorsque le président du Tribunal lui demande de répondre, sa phrase est devenue célèbre :
" "Si je n’ai pas répondu, c’est que la nature se refuse à répondre à une pareille inculpation faite à une mère. J’en appelle à toutes celles qui peuvent se trouver ici !" "
Marie-Antoinette est guillotinée le 16 octobre 1793, à 4 heures du matin. Louis-Charles ignorera toujours l’exécution de sa mère. Quant au cordonnier Simon, il ne semble avoir aucun remords ni aucune conscience de la monstruosité qu’il a fait accomplir à l’enfant dont il avait la garde. Le 3 janvier 1794, la Commune oblige Simon à assister aux séances du Conseil à l’Hôtel de Ville. En conséquence, il est relevé de ses fonctions d’éducateur de Louis-Charles. L’enfant va se trouver livré à lui-même lors du départ définitif des Simon le 19 janvier.
L'emmurement de Louis XVII
Le petit roi est isolé au secret dans l’une des pièces de l’appartement du deuxième étage de la tour de Temple. La porte de communication de cette pièce est fermée à clé et grillée de barreaux de fer. Une ouverture a été ménagée dans la grille pour passer des plats et divers objets. Il n’y a pas de lumière et Louis XVII va vivre ou plutôt croupir pendant six mois dans cet enfer, presque sans contact avec l’extérieur.
L’enfant est nourri chaque jour de deux bols de soupe, d’un pain et d’une cruche d’eau. De temps en temps, en pleine nuit, les commissionnaires le réveillent pour vérifier sa présence dans la chambre. Il reste allongé toute la journée, n’a rien pour se laver. Il est d’une saleté repoussante. Ses excréments restent dans la chambre, personne ne s’en charge, l’odeur est infecte. Sa santé se détériore, sa tuberculose osseuse fait des ravages, il a des tumeurs aux genoux, des plaies purulentes à la tête et au cou.
L’agonie et la mort
Le 9 Thermidor an II (27 juillet 1794), Robespierre et ses complices, y compris le cordonnier Simon, sont arrêtés et guillotinés le lendemain. Le nouveau maître de la France, Barras, rend immédiatement visite aux deux derniers prisonniers du Temple, les enfants de Louis XVI et Marie-Antoinette, Marie-Thérèse et Louis XVII. Il est horrifié par l’état du petit garçon et nomme un certain Christophe Laurent, créole de la Martinique, gardien des deux enfants royaux. Fin octobre, on lui adjoint d’abord Gomin qui sera remplacé en mars 1795 par Etienne Lasne, peintre en bâtiment, ancien soldat aux Gardes Françaises qui avait souvent aperçu le Dauphin lorsque son bataillon protégeait le palais des Tuileries. Il reconnaît tout de suite le fils de Louis XVI.
Si Gomin prend soin de l’enfant et si les conditions de sa détention sont adoucies, son état de santé ne s’améliore pas. Il est triste, ne parle presque pas et reste le plus souvent assis ou couché. Sa maladie progresse. Il est engourdi et abattu. On dépêche un chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu, Pierre-Joseph Desault. Il est effaré par l’état de l’enfant et lui prescrit un régime reconstituant. Il demande aussi qu’on aère sa chambre.
Grâce à ces mesures, Louis XVII connaît un léger mieux mais le docteur Desault meurt brusquement le 1er juin. C’est le docteur Philippe-Jean Pelletan qui lui succède auprès du jeune malade. Lui aussi ordonne un meilleur régime alimentaire, le fait transporter dans une pièce plus ensoleillée qui possède un balcon. L’enfant semble dans un état moins inquiétant. Malgré cela, le 7 juin 1795, Louis XVII est pris de coliques et de violents vomissements. Pelletan vient l’examiner le lendemain et juge son état inquiétant. L’enfant décède le jour-même, 8 juin 1795, âgé de 10 ans.
Le 9 juin, à 11 heures du matin, quatre praticiens, dont le docteur Pelletan, procèdent à l’autopsie. L’examen, minutieux, va durer quatre heures. Profitant d’un moment d’inattention de ses confrères, Pelletan prélève le cœur de Louis XVII et le cache dans son mouchoir. De retour chez lui, il place l’organe dans un vase de cristal rempli d’esprit de vin et le dissimule derrière les livres de sa bibliothèque. Entre-temps, le 10 juin, à 9 heures du soir, le cercueil du petit prince est porté à bras d’homme jusqu’à l’ancien cimetière Sainte-Marguerite près de la Bastille. Il est mis dans la fosse commune. L’énigme Louis XVII commence.
Ressources bibliographiques :
Philippe Delorme, Les princes du malheur (Perrin, 2008)
Philippe Delorme, Le retour du dauphin perdu, dans Les énigmes de l’histoire de France, sous la direction de Jean-Christian Petitfils (Perrin/Le Figaro Histoire, 2018)
"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière
Diffusion et édition : Clémence Olivier et Salomé Journo
Graphisme : Karelle Villais