C'est l'un des plus beaux monuments de Paris, un joyau, qui fête cette année ses 350 ans. Il accueillait les soldats blessés au combat. On y a aussi rapatrié la dépouille de Napoléon... Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars revient sur l'histoire souvent méconnue de l'hôtel des Invalides.
En 1670, il y a 350 ans, Louis XIV décide de construire un énorme ensemble architectural. Presque 200 ans plus tard, le roi Louis-Philippe fera de ce lieu la tombe définitive de Napoléon. Aujourd'hui c'est à la fois une résidence, un hôpital et un musée. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars revient sur l'histoire des Invalides.
Nous sommes en 1840 et Louis-Philippe, roi des Français depuis 1830, vient de prendre une décision éminemment symbolique. Il va faire revenir les cendres de Napoléon depuis Sainte-Hélène. Les ministres sont d’accord. Il faut dire que depuis un mois et demi, le président du Conseil est Soult, un maréchal d’Empire. Pour le roi, c’est une manière d’oeuvrer à la réconciliation nationale après les bouleversements de la Révolution, de l'Empire et de la Restauration.
Auparavant, Louis-Philippe avait restauré Versailles non pour en faire sa résidence mais pour y installer un musée dédié "À toutes les gloires de la France". La période est favorable : la mémoire de l’empereur est encore populaire. Le Mémorial de Sainte-Hélène, le récit de Las Cases, publié pour la première fois en 1823, va faire l’objet d’une réédition. Celle-ci inclura le récit détaillé du "retour des cendres".
Le choix d’installer le tombeau de Napoléon sous le Dôme des Invalides n’est pas nouveau. L’empereur avait lui-même émis le souhait de reposer au bord de la Seine "au milieu de ce peuple qu’il avait tant aimé". La deuxième raison est que l’Hôtel des Invalides, voulu par Louis XIV, incarne, comme Versailles, le prestige et la gloire de la France.
C’est un des fils de Louis-Philippe, le prince de Joinville, un marin, qui est chargé de cette mission. Il prend le commandement de "La belle Poule", une superbe frégate repeinte en noire pour l’occasion, accompagné d’anciens familiers de l’empereur : Bertrand, Gourgaud et le fils Las Cases. Le voyage est long et périlleux jusqu’au rocher de Sainte-Hélène, dans l'Atlantique sud. L’exhumation se déroule dans le recueillement et la dignité, dans une étroite entente avec les autorités anglaises. Le triple cercueil de l’empereur, un en fer-blanc inséré dans une caisse d’acajou, lui-même dans un cercueil de plomb, le tout enfermé dans une autre bière d’acajou, est ouvert à la lueur des flambeaux. Puis, on referme ces enveloppes successives. On avait amené de France un cercueil monumental en ébène. On glisse le tout dans un sixième cercueil de chêne, pour protéger les autres. Six cercueils emboîtés les uns dans les autres ! L’ensemble est si lourd qu’il faut 43 hommes pour le porter jusqu’au corbillard. Il est transféré à bord de La Belle Poule. Une messe des morts est célébrée. Le navire quitte Sainte-Hélène le 18 octobre.
Pendant ce temps, à Paris, on prépare l’accueil des restes de l’Empereur. La duchesse de Dino, nièce de Talleyrand, nous raconte ces préparatifs : "La préoccupation des esprits commence à se tourner vers la "Fête des Cendres", comme dit le peuple à Paris. La cérémonie coûtera un million. Des milliers d’ouvriers sont occupés aux préparatifs jour et nuit et des milliers de badauds les regardent, tant que le jour dure. Des statues et des colonnes de plâtre doré sont dressées tout le long du parcours.Quelle sottise que toute cette comédie !... Il me semble que le rocher de Sainte-Hélène était une tombe plus touchante, et peut-être même un asile plus sûr que l’orageux et révolutionnaire Paris."
Plus d'un million de personnes
Le navire arrive à Cherbourg le 20 novembre 1840. Une foule enthousiaste est massée sur le quai. Environ 60.000 personnes défilent à bord de La belle Poule pour s’incliner devant les restes de l’empereur. Le 8 décembre, le cercueil est transféré à bord d’un bateau fluvial, le Normandie, qui longe la côte puis remonte la Seine jusqu’à Rouen. Là, un nouveau transfert a lieu sur un bateau à faible tirant d’eau La Dorade. Il arrive à Courbevoie le 14 décembre. Le 15 lendemain, à 5 heures du matin, alors que le canon des Invalides commence à tonner, le cercueil impérial est placé sur un catafalque. Laissons l’académicien Alain Decaux nous le décrire : "C’est une énorme machine, d’une longueur de dix mètres, d’une hauteur pareille, d’une largeur de cinq mètres et lourde de treize tonnes. Malgré l’amoncellement de symboles, des génies, des renommées, des drapeaux, des aigles, des abeilles, des victoires, des guirlandes et des N majuscules l’ensemble ne manquait pas d’allure. Seize chevaux blancs caparaçonnés d’or le tiraient et un grand crêpe violet, brodé d’abeilles d’or, l’entouraient comme un nuage et flottent derrière lui en volutes légères."
L’entrée dans Paris se fait par l’Arc de Triomphe, surmonté d’une apothéose de l’empereur et l’avenue des Champs-Elysées. La foule, massée sur le parcours jusqu’aux Invalides, est estimée à plus d’un million de personnes, malgré le froid épouvantable. Le ciel est neigeux. On entend les cris de "Vive l’Empereur !", "Vive Napoléon !".
Pendant ce temps, la famille royale, le chancelier, les ministres et une grande partie de la cour attendent dans le grand salon du premier étage de l'Hôtel des Invalides. Il dispose, à chaque extrémité, d’une immense cheminée. Tout le monde a froid. Les cheminées fument. On s’interroge sur la progression du cortège en espérant qu’il ne tardera pas trop. La reine Marie-Amélie, épouse de Louis-Philippe, a de la fièvre mais pour rien au monde elle n’aurait manqué cet événement mémorable. Elle sera beaucoup plus malade après la cérémonie. Mais peu importe : elle est là.
A l’arrivée dans la cour des Invalides, Louis-Philippe s’avance. Son fils, Joinville, lui dit : "Sire, je vous présente le corps de l’empereur Napoléon que j’ai ramené en France conformément à vos ordres".
Le Roi répond : "Je le reçois au nom de la France". La cérémonie religieuse dure deux heures, dans le froid. Mais le Requiem de Mozart est toujours admirable. Le vieux maréchal Moncey, qui s’est fait transporter, agonisant, près du catafalque, murmure : "A présent, rentrons mourir…"
Quelques voix discordantes se sont fait entendre. Ainsi, Chateaubriand, toujours grincheux, a déclaré : "Privé de son catafalque de rocher, Napoléon est venu s’ensevelir dans les immondices de Paris." Victor Hugo, lui, trouvera, que l'on n’en a pas fait assez. D’après lui, on avait l’air à la fois de montrer et de cacher Napoléon... Ce n’est pas très honnête car la cérémonie est grandiose, même si elle est réservée aux Parisiens.
L’expression "le retour des cendres" peut être trompeuse : Napoléon n’a pas été incinéré. Ici, les cendres désignent, au sens figuré, les restes du défunt. Pour Louis-Philippe, l’exercice était difficile mais, finalement, plutôt réussi. On sait pourquoi ce roi avait choisi les Invalides pour la tombe définitive de Napoléon. Mais pourquoi Louis XIV avait-il décidé de construire cet énorme ensemble architectural ?
Une construction à la gloire des soldats
C’est en 1670 que le Roi-Soleil décide, sur l’avis de Louvois, le ministre de la Guerre, de fonder un "Hôtel Royal où seraient reçus ceux qui avaient servi sa gloire militaire". En effet, les conditions d’existence des soldats démobilisés, valides, invalides ou trop âgés, ont toujours posé des problèmes aux gouvernements. Déjà au 12ème siècle, Philippe-Auguste avait pensé à un hospice pour les invalides. Quant à Saint-Louis, c’est pour les mêmes raisons qu’il avait fait édifier l’hospice des Quinze-Vingt. Sous Henri IV, les soldats blessés étaient reçus dans certains couvents puis à l’hôpital de Lourcine. Sous Louis XIII, c’était à Bicêtre.
Louis XIV explique sa décision : "Nous avons estimé qu’il n’était pas moins digne de notre pitié que de notre justice de tirer de la misère et de la mendicité les pauvres officiers et soldats de nos troupes qui, ayant vieilli dans le service, ou qui dans les guerres passées, ayant été estropiés, étaient non seulement hors d’état de continuer à nous rendre des services, mais aussi de rien faire pour pouvoir vivre et subsister ; et qu’il était bien raisonnable que ceux qui ont exposé librement leur vie et prodigué leur sang pour la défense et les soutiens de cette monarchie, qui ont si utilement contribué au gain des batailles que nous avons remportées sur nos ennemis, et qui par leur vigoureuse résistance et leurs généreux efforts les ont réduits souvent à nous demander la paix, jouissent du repos assuré à nos autres sujets et passent le reste de leurs jours en tranquillité."
Pour ses valeureux soldats, comme toujours, Louis XIV voit grand. Il choisit la plaine de Grenelle, alors en dehors de Paris. C’était proche de la capitale mais surtout proche de la Seine. C’est important car à l’époque, tout est acheminé par le fleuve. Grenelle avait un autre atout : un air sain, qui serait propice à la convalescence des malades. L’architecte choisi par le Roi et Louvois est Libéral Bruant. Il remplace, en quelque sorte, Le Vau, mort la même année.
Le plan choisi est inspiré du palais-couvent Saint-Laurent de l'Escurial, en Espagne. C’est une succession de cours de part et d’autre de l’édifice principal. L’architecte Libéral Bruant exécute ces travaux avec une grande rapidité : l’enceinte militaire est achevée en trois ans. Les premiers pensionnaires peuvent s’installer en octobre 1674. L’immense construction déploie sa longue façade sur l’esplanade : 195 mètres. Elle s’ordonne autour d’une grande cour à arcades, construite comme un cloître monastique à deux étages flanqué de quatre cours secondaires. Cette cour d’honneur est aujourd’hui connue de tous, c’est là que se tiennent désormais les hommages officiels rendus aux personnalités disparues ou aux soldats morts aux combats.
Une architecture classique, un magnifique dôme
L’architecture est classique, plutôt austère, seulement agrémentée de lucarnes dans la toiture en forme de cuirasses. Elles rappellent la fonction militaire de l’établissement, à la fois caserne et hôpital. A chaque extrémité du bâtiment, au-dessus des lucarnes, on remarque des groupes sculptés, comme pour équilibrer et mettre en valeur le frontispice central, celui de l’entrée : c’est un arc de triomphe à la gloire de Louis XIV à cheval en empereur romain.
Evidemment, un tel édifice doit comprendre une église dont la cloche scandera la vie régulière des pensionnaires. S’il a parfaitement réussi son projet, Bruant aura des problèmes avec la chapelle. Il va en multiplier les plans. La difficulté est d’insérer harmonieusement l’église tout en séparant, comme dans les couvents, l’espace réservé aux pensionnaires et celui ouvert aux gens du dehors. Bruant verra tous ses projets refusés par Louvois. Finalement, le ministre demandera à Jules Hardouin Mansart d’édifier l’église. Ce jeune architecte de 30 ans a l’avantage d’être le neveu et l’héritier spirituel de Mansart. Il va habilement reprendre les projets de Bruant et utiliser le dessin de son oncle pour la chapelle funéraire des Bourbons à Saint-Denis, qui n’avait pas été construite. La longue nef traditionnelle de l’église Saint-Louis des Invalides sera accessible aux soldats par la cour d’honneur. Pour construire sa magnifique charpente de châtaignier, Bruant aura trouvés ces arbres dans la forêt si proche, sur l’emplacement de l’actuelle avenue de Breteuil.
Son aménagement intérieur est sobre. Derrière elle, communiquant par une grande baie fermée par des glaces, il élève la somptueuse église de l’extérieur, tournée dans l’autre sens, vers la plaine de Grenelle et non plus vers la Seine, aujourd’hui sur la place Vauban. Cette église est coiffée d’un dôme considéré comme l’un des plus beaux du monde. De l’extérieur, un rez-de-chaussée et un étage se prolongent d’une élévation plus petite et ronde, qui supporte le fameux dôme. De part et d’autre de l’entrée et des fenêtres, des colonnes semblent soutenir l’élévation de l’ensemble vers le ciel. C’est d’une parfaite harmonie et d’une réelle beauté. Plus petite que l’église Saint-Louis, on l’appellera la chapelle Saint-Louis.
La première église est achevée en 1679, le dôme construit par Robert de Cotte n’a été terminé qu’en 1690. L’achèvement du décor intérieur, peintures et sculptures durera jusqu’à 1706. A cette date, le dôme, qui s’élève à 107 mètres, fait de Saint-Louis des Invalides le monument le plus haut de la capitale. On le voit de loin avec ses dorures qui ont nécessité douze kilos d’or. Certains ont pensé que Louis XIV avait un moment songer à y élever son tombeau. C’est l’idée que Louis-Philippe a reprise pour y recevoir les cendres de Napoléon.
Le tombeau de Napoléon que vous voyez aujourd’hui n’est pas le cercueil d’ébène de Louis-Philippe. En effet, le neveu de Napoléon, l’empereur Napoléon III, a voulu un sarcophage de porphyre russe dessiné par Visconti. La petite histoire assure que c’était un cadeau du tsar Nicolas 1er. En réalité, c’est Napoléon III qui a payé le porphyre, pour une somme estimée à 200.000 francs. Ce tombeau définitif, commencé en 1843, a été inauguré solennellement sous le Second Empire, le 22 avril 1861.
Mais aux Invalides, il n’y a pas que le tombeau de Napoléon. Il y aussi une petite nécropole appelé le Caveau des Gouverneurs. Il contient une quarantaine de cercueils de plomb et quelques urnes. C’est ici que reposent les anciens gouverneurs des Invalides mais pas seulement. Y reposent aussi le chirurgien en chef de la Grande Armée, le baron Larrey, Rouget de l’Isle, l’auteur de La Marseillaise, les maréchaux Leclerc et Juin.
Une résidence, un hôpital et un musée
Du temps de Louis XIV et sous les règnes suivants, l'Hôtel des Invalides, conçu pour 2.000 soldats, comptera près de 4.000 pensionnaires. Ils dormaient à quatre ou cinq dans des chambres. Seuls les officiers bénéficiaient d’une chambre particulière. Ces pièces étaient à l’étage, au-dessus de quatre immense réfectoires décorés de scènes de guerre. Les pensionnaires portaient un uniforme. Ceux qui le souhaitaient pouvaient travailler dans des ateliers. Ils fabriquaient des souliers, des tapisseries et des livres enluminés. Il y avait, à demeure, un corps médical et des religieuses.
L’hôtel disposait d’une pharmacie et de six infirmeries. En 1905, la moitié nord de l’édifice est transformée en musée de l’Armée. La partie sud reste dédiée aux équipements hospitaliers et au logement. Le musée abrite de superbes collections d’armes, d’uniformes et d’archives. Il organise régulièrement des expositions thématiques. Quant à la fonction hospitalière, elle est tout-à-fait remarquable. Les soins sont d’une grande qualité et les équipements pour la rééducation sont exceptionnels. Une piscine chauffée à 35 degrés a été construite en sous-sol. C’est essentiel pour le processus de guérison des blessés.
Ces services n’accueillent pas seulement des militaires blessés en missions mais aussi, parfois, des civils comme par exemple des victimes d’attentats terroristes de ces dernières années. On peut citer le cas de Philippe Lançon, rescapé de la tuerie de Charlie Hebdo. Il a passé sept longs mois qu’il raconte dans son livre Le lambeau. Visiblement, dans son immense souffrance, il a apprécié l’accueil, les soins et le personnel mais peut-être, aussi, subi le charme et la beauté des lieux. Un ensemble qui incarne l’Histoire de France depuis trois siècles et demi.
Au cœur de l'histoire est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Cheffe de projet : Adèle Ponticelli
Prise de son et Réalisation : Guillaume Vasseau et Laurent Sirguy
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Illustration : Europe 1 Studio
Direction Europe 1 Studio : Olivier Lendresse
Références bibliographiques :
- Alain Decaux, de l’Académie française, Le Journal de la France (Tome VII, Tallandier, 1978).
- Jean-Pierre Babelon, Paris Monumental (Flammarion, 1974).
- Duchesse de Dino, Souvenirs et chronique. (Edition établie, présentée et annotée par Anne et Laurent Theis, Robert Laffont, 2016).
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