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SAISON 2020 - 2021, modifié à

En 1865, Louis II de Bavière est contraint d’exiler Wagner. Il décide alors de ​s'éloigner de la société qu'il exècre pour et de se créer un royaume​ ​féérique perdu dans la nature bavaroise. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 studio “Au ​cœur de l’Histoire”, Jean des Cars ​décrypte la fin de vie de ce souverain aussi fascinant que mystérieux. 

Louis II de Bavière refuse de se marier, la nouvelle fait jaser et l’éloigne encore plus de Munich. Il se réfugie ​alors dans ​un monde enchanté : des châteaux de contes de fées​ qu'il fait au cœur de la nature. Dans ce nouvel épisode du podcast Europe 1 studio "Au ​cœur de l’Histoire", Jean des Cars lève le voile sur les excès et la disparition mystérieuse de ce roi singulier. 

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Retrouvez la première partie ici.

Alors que le roi est démoralisé par le départ forcé de Richard Wagner, une de ses cousines, Sophie-Charlotte de Wittelsbach, lui fait savoir qu’elle aussi est profondément navrée de l’expulsion du musicien. La fraîcheur de ses 17 ans, sa tournure élégante et sa grâce enchantent les Munichois. 

Jusqu’à présent, il n’y avait pas entre elle et son royal cousin cette attirance secrète, cette compréhension silencieuse ou à peine murmurée qu’on trouve entre le roi et la sœur ainée de Sophie, Elisabeth, dite Sissi, la sublime impératrice d’Autriche.  Mais soudain, alors que Wagner a été chassé et banni à l’unanimité, Sophie est la seule à prendre sa défense, et, somme toute, qu’elle aimait la musique du compositeur. 

D’abord étonné, Louis, éperdu de reconnaissance, commence à regarder sa cousine avec intérêt. Au piano, elle joue les œuvres de l’ami expulsé. Ensemble, les cousins étudient les livrets d’opéras, passent des heures à en réciter les rôles, parlent longtemps du retour de Wagner dont ils ne peuvent douter. Une complicité inattendue les unit. 

Jusqu’alors, le prince puis le roi a été insensible au charme féminin. En réalité, au comble du désarroi, il fait un double transfert. D’une part, Sophie ressemble à sa sœur Sissi dont l’indépendance le fascine, d’autre part Sophie devient une héroïne wagnérienne qu’il surnomme Elsa tandis que  lui-même se  baptise Siegfried. Autrement dit, l’idéal féminin de Louis II est un héroïne wagnérienne qui ressemble à Sissi… 

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Après la guerre contre la Prusse perdue par l’Autriche, leurs fiançailles sont annoncées le 22 janvier 1867. Le palais de la Residenz valse au son de la légèreté viennoise de Johann Strauss fils. Mais quel étrange fiancé ! Il débarque dans sa famille à 6 heures du matin pour demander sa main puis disparaît. Il fait faire sa cour par un aide de camp, déclame des poèmes à la malheureuse inquiète de ce jeu théâtral. 

Sissi est très inquiète de cette mise en scène artificielle et se dit consternée d’apprendre que les fiancés n'ont pas échangé le moindre baiser ! A l’idée d’embrasser Sophie, Louis II a même failli s’évanouir !  Il y a pire : à plusieurs reprises, il a fait rouler dans Munich un lourd carrosse vide tiré par six chevaux blancs. 

La triste vérité apparaît : à défaut de vivre ses noces, le roi les met en scène. Il ne voit pas Sophie comme une femme mais comme un personnage d’opéra. Rapidement, la rumeur souligne que le souverain n’est sensible qu’à la beauté masculine. Certains assurent qu’il serait vierge. Cette mise en scène ne dure pas longtemps : les fiançailles sont rompues, la famille est scandalisée. Louis II a un nouvel écuyer, Richard Hornig, blond, athlétique, et c’est avec lui qu’il se rendra à Paris pour visiter l’Exposition universelle de 1867. A la malheureuse Sophie, il écrit ce pitoyable message :

"J’ai agi avec la ferme conviction que tout aboutirait à une solution satisfaisante. A présent, j’ai eu le temps d’éprouver mes sentiments et de réfléchir à la situation et je sais qu’il y a, qu’il y aura toujours, enraciné au plus profond de mon âme, un amour fraternel, véritable et fidèle. Et si vous n’êtes pas mariée dans un an, je vous épouserai quand même, bien entendu si vous en aviez encore le désir."

Sophie ne répondra pas à ce pathétique projet.  Elle épousera un petit-fils de Louis-Philippe, le duc d’Alençon, et périra, admirable et sacrifiée à Paris, dans l’incendie du Bazar de la Charité, le 4 mai 1897. 

La population bavaroise est très déçue car il n’y aura pas de reine de Bavière. A Vienne, François-Joseph et Sissi sont furieux mais le pire est la réaction munichoise. Pour Louis II, la ville, une fois de plus, lui est hostile entre des commentaires presque obscènes et la déception des mille couples qui, selon la tradition, auraient été mariés gratuitement le jour des noces du souverain.

Réfugié dans son château de Hohenschwangau, que j’ai évoqué au début de ce récit, Louis II savoure une paix retrouvée. Il écrit :

"Tout est paisible ici, ce silence si stimulant, alors que dans le bruit du monde, je suis si malheureux."

Il lève les yeux vers les éperons rocheux où s’accrochent des ruines enneigées et fantomatiques. Le roi commence à édifier, en songe, sa plus grande œuvre… 

Neuschwanstein, un rêve médiéval

Le premier château construit par Louis II est le plus célèbre. Neuschwanstein (littéralement "la nouvelle pierre du  cygne") est une impressionnante masse grise, hérissée de tours et de pinacles à environ 1.000 m d’altitude, proche de la frontière autrichienne. Il symbolise, à lui seul, les constructions du roi par le choix du site, spectaculaire, grandiose. Il est devenu l’emblème touristique de la Haute-Bavière, de 18.000 visiteurs annuels en 1886 à plus de 30 millions en dehors de la crise sanitaire.  

C’est un véritable conte de fées. Quel Victor Hugo, quel Gustave Doré en pleine inspiration débridée a imaginé cette forteresse médiévale ? Tout simplement un décorateur de théâtre. C’est à la fois un conte de Grimm, un dessin de Walt Disney (qui m’a dit qu’il s’en s’en était inspiré) mais c’est aussi un hommage à la France de Napoléon III et du château de Pierrefonds, près de Compiègne, que le roi Louis II avait visité lors de son séjour en France.

En relevant ses anciennes ruines, Louis II commence à bâtir son vrai royaume. Pendant dix-sept ans, du printemps à la fin de l’automne, plus de 200 personnes travaillent à l’édification de cette forteresse d’un rêve médiéval... Un vrai château de conte de fée sur une superficie de près de 6.000 m2. 

Mais cette masse est fragile, sensible aux hivers rudes et à la neige. Les matériaux employés sont du grès jaune sablonneux de la région de Bayreuth. La pierre à chaux des carrières voisines et des briques rouges ont été apportés par des chariots à bœufs puis hissés par des leviers à vapeur. Tout est extraordinaire dans ce faux Moyen Âge. 

Le roi y vit presque seul, avec une petite garnison et un confort très moderne, électricité et téléphone dans certaines pièces. Le mobilier se veut médiéval mais chez Louis II de Bavière, les châteaux sont des machines à voyager dans le temps. Volontairement, le roi mélange les époques. Ainsi, son bureau, hommage à Tannhaüser, cache une sonnette électrique pour appeler l’aide de camp. Pour favoriser le rêve médiéval, la technique doit rester invisible... 

Et comment ne pas être fasciné par la fausse  grotte qui sépare le grand salon du cabinet de travail ?  On est au XIXe siècle, on entre dans une cavité de faux rochers mais qui donne une parfaite illusion et on ressort, trois mètres plus loin dans un faux XIIIe siècle. 

Le roi joue avec les époques, il est le maître du temps. La cuisine de ce château est d’un modernisme inouï pour l’époque avec eau courante chaude et froide, chauffe-plat, vivier pour les poissons, rôtisserie, monte-table. Chez Louis II, le rêve doit être confortable, comme au théâtre. Il y a même une salle des Maîtres chanteurs mais Wagner le proscrit n’y est jamais venu. 

Linderhof, un petit trianon baroque 

A partir de 1870, de plus en plus déçu par la politique et l’insolence de l’Empire allemand proclamé à Versailles, Louis II change d’époque. Il se déplace dans le temps. Après l’hommage médiéval, il va honorer le XVIIIe siècle français. Il veut glorifier et réhabiliter à sa manière les règnes de Louis XIV  et de Louis XV. 

Dans une vallée proche du célèbre village d’Oberammergau, réputé pour ses maisons peintes, le roi fait construire une sorte de Petit Trianon remanié et assez chargé, au milieu d’un parc de 30 hectares. 

Linderhof est le plus modeste des châteaux de Louis II, le seul qui ait été achevé, en 1878, et celui où il a le plus vécu.  On y entre par un vestibule. Au plafond, la devise des Rois Bourbons "Nec pluribus Impar", "je surpasse les autres" rend hommage à Louis XIV dont une statue à cheval est la copie de celle qui se trouvait à Paris Place Louis-le-Grand et qui  fut déboulonnée en 1792, sur la future Place Vendôme. 

Ici, les pièces sont petites mais il y a d’étonnants jeux de miroirs pour les agrandir. L’extraordinaire chambre à coucher est supposée imiter celle de Louis XIV à Versailles. La balustrade, barrière monarchique, devient une barrière morale pour empêcher le roi de succomber à ses tentations physiques car Louis II se sait faible, il succombera tout de même, tourmenté, malheureux, bourré de remords.

Néanmoins, on est surpris de voir des copies de tableaux de favorites de Louis XV, en particulier de la Pompadour et de la du Barry. C’est à l’exactitude historique que le roi s’intéresse… La surcharge de dorures et de miroirs dans des pièces exiguës est inoubliable. Mais le chef d'œuvre de Linderhof est la fausse grotte, pourvue d’un lac, dans le parc, qui mélange à la fois celle du Venusberg dans Tannhauser et la célèbre Grotte Bleue de Capri. En fait, Louis II, qui voyagera peu, est un voyageur immobile. Il fait venir à lui le monde qui lui plait et change d’époque et de lieu selon son inspiration.

A Herrenchiemsee, l’absolutisme triomphe

Le dernier château construit par Louis II, au sud-est de Munich, en direction de Salzbourg, est un Versailles bavarois, édifié de 1878 à 1886 et inachevé. La ressemblance avec l’original est frappante. Mais le roi continue de rendre ses rêves peu accessibles : cet ultime  château est au milieu d’un lac, le plus grand de Bavière, surnommé la mer bavaroise, où les tempêtes ne sont pas rares. 

Ici encore, Louis II joue avec le temps, change d’époque avec une précision maniaque. Il invente une Galerie des Glaces, plus longue de 5 mètres que l’original mais qui se veut une copie fidèle. Le règne de Louis XIV revu et magnifié par Louis II comporte deux curiosités : un monte-table, comme à Linderhof, mais ici on peut voir le mécanisme, qui peut être actionné par un seul domestique. La table monte du sous-sol, chargée de vaisselle et de mets et disparaît de la même façon, comme dans un conte de fées. 

Ainsi, Louis II n’est pas dérangé. Il dîne seul avec les fantômes de ses personnages favoris. Enfin, un bassin en marbre de 7 mètres de diamètre et de 1,70 mètre de profondeur constitue une salle de bains circulaire, en marbre, sous la surveillance de Vénus…

Une énigme : le dernier acte de la tragédie 

C’est l’un des mystères de la fin du XIXe siècle. Souverain hors-norme, bousculant les codes et les époques, Louis II finit par déranger les autorités politiques de son royaume. S’il a soutenu Wagner en finançant lui-même le premier festival de Bayreuth, il ne vit plus que dans ses montagnes, loin des commérages. 

Ses constructions gigantesques, ses travaux  interminables, les prouesses techniques et humaines qu’ils supposent l’ont pourtant rendu très populaire : ses travaux ont permis de faire vivre de nombreuses familles frappées par le chômage. Certes, ils coûtent cher, mais ils sont approuvés par le Parlement et le gouvernement. 

Mais le souverain est invisible. Il ne sort que la nuit. Début 1886, la rumeur selon laquelle il serait fou commence à circuler. Un aliéniste réputé, le docteur von Gudden, qui connaît bien le roi et dirige l’asile psychiatrique de Munich, est chargé d’une expertise. Sans l’avoir examiné, il conclut, le 8 juin, à la paranoïa. Informé, Bismarck juge que ce rapport est suspect et suggère à Louis II de se montrer à Munich. 

Mais rien n’y fait. L’absence du roi est à la fois sa protection et sa faiblesse. Un de ses oncles, le prince Luitpold, accepte alors la déposition de son neveu et de présider un conseil de régence. C’est à 4 heures du matin, le 8 juin, à la suite d’un complot que le souverain est arrêté à Neuschwanstein. 

Il n’a pas voulu se défendre ni que la Garde se batte pour lui. Lorsqu’il reconnaît le docteur von Gudden, il lui demande combien de temps il sera sous surveillance. Le médecin répond : “Au moins une année, Sire”. Louis II, très calme, mais avec ironie : "Bien. Cela ira certainement plus vite. Il est si facile de supprimer quelqu’un !"

Transféré au château de Berg, au bord du lac de Starnberg, il est calme, indifférent aux infirmiers et gendarmes qui l’entourent. Au milieu de ce lac, se trouve une petite île où, du temps de leur adolescence, les deux cousins, Sissi et Louis, se retrouvaient ou se laissaient des messages sous les noms de "L’aigle" et "La colombe"

Quelques jours après son arrivée en détention, le dimanche 13 juin 1886, Louis II veut entendre la messe de la Pentecôte au village. On lui refuse cette permission, ce qui le contrarie. Les psychiatres parlent d’une guérison possible. Après une promenade sous bonne garde, l’ex-roi déjeune seul, abondamment, et semble observer, avec insistance, le lac.

A 18 heures, malgré le risque d’orage, il demande à faire une nouvelle promenade. Le docteur von Gudden l’accompagne, sans infirmiers ni gendarmes, ce qui surprend… et inquiète.

"Nous serons  rentrés pour 20  heures" dit le médecin. Mais à 20 heures, ils ne sont pas revenus. Le temps est lourd. Il a plu.  A la lueur de lanternes, on fouille le parc. Inévitablement, la recherche se dirige vers le lac. Dans l’éclairage vacillant, on découvre les deux corps flottant dans l’eau, à quelques mètres du rivage. 

Depuis 135 ans, la fin de Louis II excite les imaginations et toutes les hypothèses ont été émises, des plus vraisemblables aux plus extravagantes. Pour les uns, on a tué le roi, pour d’autres il s’est suicidé. On a parlé d’une tentative d’évasion, de la présence de Sissi dans un hôtel sur la rive en face, qui aurait fomenté contre-complot en faveur de son pauvre cousin, qui pesait 120 kilos…

Il est possible que dans une crise de rage, le roi ait étranglé son médecin qui tentait de l’empêcher d’entrer dans l’eau. Puis, il aurait avancé dans le lac et aurait sans doute été frappé d’hydrocution. Selon une correspondance révélée dans les années 2000, la mère de Louis II aurait écrit que son fils était mort d’une crise d’apoplexie. 

Mais au fond, depuis plus de 135 ans, la véritable énigme n’est pas la mort de Louis II, mais bien sa vie. C’est elle qui l’a vraiment rendu inoubliable.

"Au cœur de l’Histoire" est un podcast Europe 1 Studio

Auteur et présentation : Jean des Cars
Production : Timothée Magot
Réalisation : Jean-François Bussière  
Diffusion et édition : Clémence Olivier et Salomé Journo 
Graphisme : Karelle Villais

 

 

Ressources bibliographiques :

Guy de Pourtalès, Louis II de Bavière ou Hamlet Roi (Gallimard, 1928)

Jacques Bainville, Louis II de Bavière (Réédition  1964, Fayard)

Jean des Cars, Louis II de Bavière ou le Roi Foudroyé (couronné par l’Académie française, Perrin, 1975)

Jean des Cars, photographies de Jérôme da Cunha, Les châteaux fous de Louis II de Bavière (Perrin, 1986)