Il faudra sans doute plusieurs mois voire plusieurs années pour réussir à mettre au point un vaccin efficace contre le coronavirus. Depuis la fin du 19ème siècle, cette pratique reste le meilleur moyen de sauver des vies. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars retrace le parcours de l'homme visionnaire à qui l'on doit le vaccin contre la rage : Louis Pasteur.
En cette période d’épidémie de coronavirus, la question de la découverte d’un traitement efficace contre cette maladie est toujours au centre de nos préoccupations. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars vous raconte l’extraordinaire destin d’un homme qui, dans la seconde moitié du 19ème siècle et sans être médecin, fut le pionnier de la microbiologie : Louis Pasteur.
Le lundi 6 juillet 1885, dans un village alsacien, un jeune berger de 9 ans, Joseph Meister, accompagné de sa mère et d’un épicier voisin, frappent à la porte de Louis Pasteur. Il reçoit le trio affolé. Le petit garçon vient d’être mordu par un chien errant et enragé. Pasteur est déjà très célèbre, entre autres, pour ses travaux sur les maladies animales comme le charbon des ruminants qui décimait les troupeaux. Ce lundi, après d'angoissantes hésitations puisqu’il n’est pas docteur en médecine, Pasteur, âgé de 63 ans, inocule à Joseph Meister, pour la première fois, le vaccin antirabique qu’il a mis au point. L’essai est un succès ! Joseph Meister est sauvé ! Pasteur prouve ainsi qu’une personne mordue par un animal enragé peut être sauvée si l’injection du vaccin est faite dès la morsure. Qui est donc l’audacieux Monsieur Pasteur ?
L'inventeur de la pasteurisation
Louis Pasteur est né le 27 décembre 1822, à Dole, sous-préfecture du Jura. Toute sa vie, il restera attaché à cette région. En 1827, sa famille s’installe à Arbois. Adolescent, Louis Pasteur est un dessinateur et un portraitiste fort doué mais il renonce vite à exercer ce talent. En 1843, après ses études au Collège de Besançon, il est admis à l'Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm. Docteur ès-sciences en 1847, il est nommé, à 25 ans, professeur suppléant de chimie à l’université de Strasbourg. Il s’y marie en 1848 avec Marie Laurent, fille du recteur de cette Académie.
Louis Pasteur a une vaste curiosité scientifique. Lorsqu’il est nommé doyen et professeur de chimie à Lille, il entame des recherches sur le processus de fermentation. Sa découverte est essentielle : elle prouve que ce phénomène est provoqué par des micro-organismes, les levures. Et il démontre que l’acidité du vin et de la bière est due à des bactéries. C’est alors qu’il met au point un procédé auquel il donne son nom : la pasteurisation. Elle consiste à chauffer à haute température (au moins 55°C) un liquide fermentescible et à le refroidir brusquement, de façon à détruire les germes pathogènes.
En 1864, lors d’une conférence à la Sorbonne, Pasteur prouve qu’il a vu juste. La méthode s’applique aussi bien au lait qu’aux jus de fruits et bien sûr au vin et à la bière. Et il va l’appliquer à tous les aliments. Grâce à la pasteurisation, les boissons et les denrées ne fermentent plus, elles sont saines. Désormais, on peut donc les conserver sans risque et la qualité des produits est préservée. Une révolution pour la santé publique ! Louis Pasteur devient une célébrité !
Un génie scientifique soutenu par Napoléon III
Certains de ses confrères, jaloux, critiquent son autoritarisme. Ce confrère est trop brillant ! Ils obtiennent la suppression de son poste et son renvoi. Pasteur et sa famille s’installent dans le Gard, à Alès. Or, dans cette région, la pébrine, appelée aussi maladie des vers à soie, inquiète les propriétaires des magnaneries. Pasteur établit que ce fléau est héréditaire. En sélectionnant les œufs de manière rigoureuse, il parvient à enrayer la propagation de l’épidémie. Il dédie ce succès à l’Impératrice Eugénie. Il est invité à Compiègne, lors d’une des fameuses "séries" organisées à l’automne. Une belle revanche sociale ! Il y fait une conférence sur la biologie et constate que l’Impératrice est passionnée par la microscopie.
Pasteur, qui avait soutenu l’arrivée au pouvoir de Napoléon III, intéresse beaucoup l'Empereur, soucieux des applications pratiques des découvertes et des améliorations de la vie quotidienne. Connaissant les démêlés du biologiste avec l’Académie des Sciences, où il a été élu le 8 décembre 1862 dans la section Minéralogie en provoquant des polémiques, Napoléon III retient sa suggestion : il faut subvenir aux besoins de la recherche, l’Etat doit s’en charger.
Le couple impérial vient visiter le laboratoire de Pasteur à la Sorbonne. Puis, à Marnes-la-Coquette, dans le voisinage du palais de Saint-Cloud, Pasteur expérimente ses travaux sur des chiens dont certains sont jugés dangereux. Les habitants crient au scandale, traitent Pasteur de charlatan mais Eugénie fait ouvrir les grilles du parc pour accueillir cet homme d’autant plus fascinant que s’il n’est pas médecin, il n’est pas davantage vétérinaire. De nos jours, un bâtiment en bordure de Garches perpétue le souvenir de ses expériences qui affolaient les villageois.
Sur des tissus d’animaux, Pasteur démontre comment les agents pathogènes envahissent les organismes. Il pose les bases de l’épidémiologie infectieuse et appelle à être vigilant sur les règles fondamentales de l’hygiène.
Pasteur reste fidèle au souvenir impérial
Le 8 mai 1870, Pasteur fait partie des millions de Français qui (on l’oublie souvent) approuvent le plébiscite favorable à Napoléon III. Ces électeurs sont persuadés de l’alliance bénéfique de la dynastie impériale avec la gloire. Le 27 juillet, un décret nomme Pasteur "Sénateur à vie pour services rendus à la Science". C’est l’ultime décret de l’Empereur en même temps que le premier de la Régente Eugénie, investie, pour la troisième fois, des pouvoirs constitutionnels dans cette période transitoire au moment où l’Empereur part pour Metz. En raison des circonstances, ce décret n’est pas publié au Journal Officiel.
Le 5 septembre, après la chute de l’Empire et ne pouvant joindre l’impératrice exilée en Angleterre, Pasteur envoie un télégramme au maréchal Vaillant, ancien ministre de la Maison de l’Empereur, qui avait été détaché au contrôle des fortifications. Cette dépêche est destinée aux souverains déchus. Pasteur se dit brisé par la douleur :
"Je me souviendrai éternellement de leur générosité, jusqu’au dernier jour je resterai fidèle à leur mémoire. Malgré les vaines et stupides clameurs de la rue, malgré les lâches défaillances de ces derniers temps, l'Empereur peut attendre, avec confiance le jugement de la postérité. Son règne restera comme l’un des plus glorieux de notre histoire."
Des travaux sur la rage
En 1880, à la suite de la mort d’un enfant mordu par un chien, Pasteur poursuit ses recherches sur la rage, cherchant un moyen de l’éradiquer. Ayant découvert l’existence des germes, il se penche sur la maladie frappant les troupeaux de ruminants, le charbon. Ce bacille doit son nom, dans sa forme cutanée, aux lésions sur la peau recouvertes d’une croûte noirâtre. Pasteur se décide à injecter à un troupeau de moutons le microbe atténué de la maladie. C’est le principe de la vaccination, qui avait été élaboré à la fin du 18ème siècle par un médecin britannique, Edward Jenner, dans le traitement de la variole.
Afin de prouver la véracité de son système préventif, Pasteur sélectionne deux troupeaux différents. Le premier reçoit le vaccin, le second n’a pas d’injection. Aux deux, Pasteur inocule la maladie. Le premier troupeau, vacciné, survit ; dans le second troupeau, il n’y aucun mouton survivant. Confiant dans le résultat de cette expérience, c’est ainsi que Louis Pasteur, après avoir beaucoup hésité, comme je vous l’ai raconté, vaccine et sauve le jeune Joseph Meister le 6 juillet 1885. C’était la première fois qu’un être humain était vacciné contre la rage… Dès que l’on connaît cette réussite, les malades affluent du monde entier vers le petit laboratoire parisien de Pasteur, rue d’Ulm. Toutes et tous veulent s’y faire traiter. En un an, le biologiste pratique, avec succès, plus de 350 inoculations !
En mars 1886, Pasteur informe officiellement ses confrères de l’Académie des Sciences du succès de la prophylaxie de la rage. Le Jurassien exprime son désir de créer "un établissement vaccinal contre la rage". C’est ainsi que va naître L’Institut Pasteur. Lorsque ce projet est révélé, il déclenche un formidable mouvement d’enthousiasme et de générosité. Des souverains aux présidents, de la haute société aux gens les plus humbles, les souscripteurs à cette initiative privée sont innombrables et leurs noms publiés au Journal Officiel.
En mars 1887, un terrain de 11.000 m2 est acquis à Paris, dans le quartier de Vaugirard. Les fonds récoltés atteignent la somme de 2 millions de francs-or. Le 14 novembre 1888, le Président de la République, Sadi Carnot inaugure l’Institut Pasteur, fondation privée, à but non lucratif, reconnue d’utilité publique.
Louis Pasteur et sa famille, qui, à Paris, résidaient rue d’Ulm depuis 1853, emménagent dans l’immeuble de l’Institut, aux 1er et 2ème étages de l’aile sud du bâtiment en façade. Le fondateur de la microbiologie, âgé de 66 ans, avait été victime, en 1868, d’une hémiplégie. Son esprit n’en a pas souffert mais Pasteur reste handicapé du bras gauche tandis que sa démarche est devenue lente et laborieuse. Pour lui permettre d’accéder à ses appartements sans trop de difficultés, les marches de l’escalier à double rampe sont peu élevées.
Un nom et une notoriété mondiale
En 1892, pour ses 70 ans, une grande cérémonie est organisée à la Sorbonne. L’évènement est immortalisé par un tableau que l’on peut toujours voir. Pasteur est unanimement admiré et couvert de gloire. Grand-Croix de la Légion d’Honneur, académicien français reçu par Ernest Renan au fauteuil d'Émile Littré, il déclare dans son discours : "La grandeur des actions humaines se mesure à l’inspiration qui les fait naître. Heureux celui qui porte en soi un dieu, un idéal de la beauté et qui lui obéit : idéal de l’Art, idéal de la Science, idéal de la patrie, idéal des vertus de l'Évangile !".
La distinction la plus originale reçue par Pasteur est probablement, alors qu’il n’est pas médecin, d’être élu à l’Académie de Médecine....
Le père du vaccin contre la rage s’éteint le 28 septembre 1895, dans le domaine de Villeneuve l'Etang, entre Paris et Versailles, que le gouvernement avait mis à sa disposition pour la poursuite de ses multiples recherches. Son épouse souhaite qu’il soit inhumé au sous-sol de l’Institut Pasteur dans une crypte surprenante. On y accède par quelques marches. En 1933, le petit-fils de Pasteur, le professeur Louis Pasteur Vallery-Radot remet à l’Institut Pasteur tous les objets ayant appartenu à ses grands parents, afin de reconstituer leur cadre de vie.
L'appartement devient un musée
Le 20 mai 1936, l’appartement de l'Institut est transformé en musée. Au deuxième étage, se trouve la salle des souvenirs scientifiques et familiaux. On y découvre, réparties en onze vitrines, des instruments (loupes, microscopes, cornues) que Louis Pasteur utilisa lors de ses travaux. Dans la chambre de Madame Pasteur, sa corbeille à ouvrage est en place. Tout est là : photos, bibelots, mobilier, dans un style cossu mais peu austère. Au bout du couloir, le cabinet de toilette prouve que l’hygiéniste intransigeant, en particulier sur le lavage des mains, s’appliquait ses propres principes : une grande baignoire en zinc le souligne. Dans la penderie, ses costumes d’académicien voisinent avec ceux de tous les jours. Dans le petit salon, sur une table d’acajou recouverte du traditionnel feutre vert, un jeu de cartes semble attendre qu’on reprenne une partie d’écarté, un jeu très à la mode à l’époque.
Le premier étage évoque la réception. On y accède par une galerie tendue de reps rouge. Dans la salle à manger, du style Renaissance comme on l’appréciait vers 1880, un portrait de Pasteur, dû à Albert Edelfelt, montre le savant penché sur un flacon qui contient de la moelle épinière d’un lapin inoculé par le virus de la rage. Le vaste salon rappelle les réceptions du dimanche après-midi, avec piano, tenture de velours, cheminée et mobilier Louis XIII. Alexandre Dumas Fils, le peintre Yvon Bonnat, portraitiste officiel de la Troisième République et de nombreuses personnalités étrangères y venaient souvent. En effet, selon, le professeur de médecine Henri Mondor, l’un des successeurs de Pasteur à l’Académie française, le vainqueur du virus de la rage disait : "La Science n’a pas de patrie parce que le savoir est le patrimoine de l’humanité, le flambeau qui éclaire le monde".
La pièce la plus étonnante est la chapelle funéraire au rez-de-chaussée. Si Madame Pasteur avait accepté les obsèques nationales pour son mari, elle avait refusé son inhumation au Panthéon. La crypte qu’elle fit construire s'inspire du mausolée de Gallia Placida, à Ravenne, et devait avoir la forme d’une croix latine surmontée d’une couronne byzantine. L’architecte Charles-Louis Girault, aidé du mosaïste Auguste Guilbert Martin et du peintre Luc Olivier Merson, a réalisé une oeuvre époustouflante, avec des colonnes de porphyre rouge et vert, des mosaïques d’or et des chapiteaux en marbre de Carrare. Un ensemble lumineux harmonieux et inattendu, qui a demandé une bonne année de travaux.
Pasteur repose au centre, sous un bloc de granit de Suède, vert sombre. Son oeuvre est évoquée selon l’antique technique de la mosaïque byzantine avec des moutons, des lapins, des chiens malades et même le jeune berger dont il sauva la vie. Sous les pendeloques de la coupole, des fresques symbolisent les trois vertus théologales, la Foi, l’Espérance et la Charité auxquelles on a ajouté la Science. C’était bien le moins qu’on pouvait faire pour un homme qui, à travers son incessant travail et son génie de chercheur, n’avait cessé de rappeler que la Science était fille, soeur et mère des trois autres vertus.
Le nom de Pasteur a acquis une notoriété mondiale par l’installation, en France puis dans le monde, de nombreux Instituts Pasteur et d’antennes avec de très nombreux chercheurs et correspondants. Toutes et tous savent que Pasteur disait :"La Science et la passion de comprendre sont-elles autre chose que l’effet de l’aiguillon du savoir qui met en notre âme le mystère de l’Univers ?"
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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Cheffe de projet : Adèle Ponticelli
Réalisation : Guillaume Vasseau
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Europe 1 Studio