En 1832, une maladie venue d'Asie puis de Pologne traverse la Manche et sème la terreur en France. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, Jean des Cars revient sur les conséquences dramatiques de la première épidémie de choléra.
L’épidémie de coronavirus qui touche actuellement la France, l'Italie ou encore la Chine fait écho aux grandes maladies des siècles passés comme la peste noire au 14e siècle ou encore l'épidémie de choléra, en 1832. Dans ce nouvel épisode de "Au cœur de l'histoire", produit par Europe 1 Studio, découvrez l'histoire d'un fléau qui a semé la terreur en France.
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En 1832, venu d’Asie puis de Pologne, le choléra atteint Paris après avoir frappé l’Angleterre. Le fléau a traversé la Manche et la terreur de l’épidémie a gagné la France… Quelques voyageurs assurent que le fléau a déjà touché la Provence et la Bourgogne. Dans un premier temps, en cette fin de carnaval, les Parisiens ne veulent pas y croire, refusent de s’inquiéter. C’est la mi-Carême. On continue de s’amuser. Mais le journal Les Débats confirme la mauvaise nouvelle : "Le choléra morbus est dans nos murs. Aujourd’hui, neuf personnes ont été portées à l’Hôtel-Dieu, dont quatre sont déjà mortes. Tous les hommes atteints de ce mal épidémique appartiennent à la classe du peuple".
Brusquement, le 26 mars 1832, c’est l’affolement et la panique. Les joyeux masques font place à des visages affolés. Les rues se vident, les luxueux hôtels comme les masures ferment leurs portes. Tous ceux qui le peuvent fuient à la campagne, sans réaliser que c’est une course perdue d’avance : déjà le mal répand la terreur dans les faubourgs.
Personne n’est épargné, pas même l’entourage du roi et du gouvernement. Le président du Conseil, Casimir Périer, prend des mesures sévères : nettoyage des quartiers insalubres, fermeture des ruelles nauséabondes, assèchement des cloaques. Mais que peut-on faire dans le Paris de Balzac et d’Eugène Sue ? Comme toujours, les gens très pauvres, mal nourris, sont particulièrement touchés.
Le choléra tue le président du conseil
En quelques jours, on ne rencontre plus que de rares passants qui se hâtent, un mouchoir en tampon sur le nez. Les bruits les plus ridicules se répandent : on assure que le gouvernement profite de l’épidémie pour empoisonner le peuple par la distribution de dragées ou de potions suspectes. On prétend que, sur ordre, des gens empoisonnent l’eau des fontaines. On certifie même que le choléra épargne les bourgeois, ce qui est une absurdité. On cherche des coupables, de soi-disant empoisonneurs. Le 1er avril, le président du Conseil, Casimir Périer, accompagné de l’héritier du trône, le duc d’Orléans, visite les malades à l’Hôtel-Dieu. Le courage du jeune prince impressionne le chef du gouvernement. "Ils ont voulu voir de plus près la misère du peuple", écrivent les journaux d’opposition. C’est faux et injuste : personne n’échappe au fléau.
Trois jours plus tard, le président du Conseil est alité. C’est à ce moment qu‘il apprend que la foule a massacré quelques personnes soupçonnées d’avoir empoisonné l’eau. Casimir Périer est profondément traumatisé par cette réaction brutale et injuste. Personne n’empoisonne l’eau. La contagion se fait essentiellement par contacts avec les malades. Mais les excréments des cholériques et leurs linges lavés en grande quantité entraînent aussi la contamination de l’eau. On est très démunis face à cette maladie alors inconnue en France.
Casimir Périer va subir des semaines d’agonie, traversées de périodes d’inconscience et de délire. Il est comme possédé par l’idée que le choléra n’est qu’une manifestation de la dégradation du corps social et donc le témoignage direct de son propre échec politique. Il meurt le 16 mai après une longue agonie. Avant d’expirer, il prononce ces mots pessimistes empreints d’une connotation politique : "Je suis bien malade mais le pays est encore plus malade que moi."
Cette fin éprouvante va pourtant faire de lui une légende. Plus tard, en 1888, un historien dira de Casimir Périer : "Ce ministère si court, si combattu est resté comme l’événement le plus considérable, le plus décisif de la Monarchie de Juillet."
Paris sinistre et pétrifié
Paris est lugubre. Les cercueils sont chargés dans des fourgons d’artillerie ou des charrettes de déménagement. Les habitants les plus âgés croient revivre les pires scènes de la Terreur, en 1793, quand les corps des suppliciés, victimes d’un bourreau masqué, s’entassaient les uns sur les autres. On ne trouve plus assez de cercueils pour ensevelir les morts.
La vie sociale est comme suspendue. Dans un Paris sinistre et pétrifié, des prêtres de Saint-Germain l’Auxerrois, la paroisse des rois de France, assistent les mourants. On cite en exemple le courage d’une religieuse, soeur Victoire Darras, qui accompagne les derniers instants des agonisants. Les faubourgs populaires, où l’hygiène est inexistante, sont les plus touchés. Les 1.800 chiffonniers de la capitale, chargés du nettoiement, se révoltent car les habitants leur arrachent presque des morceaux de tissus qui, en réalité, ne font que propager la contamination. Par vengeance, les chiffonniers incendient leurs stocks et refusent de faire une tournée supplémentaire.
Les prisons elles-mêmes sont atteintes et les détenus de Sainte-Pélagie, républicains et royalistes n’aimant pas la famille d’Orléans et Louis-Philippe, sont déchaînés. Les prisonniers pour dettes essaient de s’évader et la gendarmerie doit intervenir. L’épidémie devient politique et l’opposition accuse le gouvernement d’être responsable du choléra ! Les conspirateurs des deux bords se réunissent. Ils jugent le moment propice pour renverser la royauté bourgeoise. Des quartiers sont prêts à se soulever. Le chiffre des victimes est difficile à évaluer. Sur une population d’environ 800.000 habitants, les médecins constatent 18.500 décès. Plus de 20.000 maisons sont déclarées insalubres. Le caricaturiste Daumier publie des dessins terrifiants où des chiens s’acharnent sur des cadavres.
Tous les milieux sont atteints : un après-midi, la marquise de Montcalm se trouve mal. Elle meurt le soir. Mme de Champlâtreux, fatiguée, refuse de se rendre chez une amie. A minuit, elle est morte. Comme on ne connaît ni remèdes ni vaccins, on invente n’importe quoi, des "liqueurs pour le choléra" et des "tisanes contre le choléra", toutes inefficaces.
Une menace pour l'ordre social
Mais le choléra ravage surtout les classes laborieuses. Un peu partout, malgré les risques de contagion, les dévouements se multiplient pour soigner les malades. Le roi ne paraît pas trop affecté par la mort de son ministre. Louis-Philippe déclare : "L’avenir de la monarchie constitutionnelle n’est pas attaché à la mort d’un homme quel qu’il soit". La présidence du Conseil reste vacante. Le vœu secret du monarque est de gouverner personnellement. Le maréchal Soult, vieux soldat de Napoléon et ministre de la Guerre, est déçu de ne pas succéder à Casimir Périer mais il conserve son portefeuille. Pour le roi, le choléra devient une arme politique.
Louis-Philippe craint une insurrection. Il a raison car la situation est incontrôlable et tout peut arriver. Le général Lamarque, ancien officier de l’Empire, député de l’opposition, farouchement opposé à la Monarchie de Juillet, meurt à son tour du choléra le 2 juin 1832. Son enterrement sert de prétexte à une vaste manifestation de l’opposition, organisée par La Fayette. L’épidémie est toujours là, comme une menace permanente pour l’ordre social, la peur qu’elle engendre et le désordre qu’elle peut provoquer. Après les obsèques, les 5 et 6 juin, des mouvements insurrectionnels sont déclenchés, très organisés. Pour la première fois, on voit apparaître un drapeau rouge. L’émeute est maîtrisée par Louis-Philippe et son très habile ministre de l’Intérieur, Montalivet.
Le 7 juin, par ordonnance, Paris est mise en état de siège. Toute personne qui manifeste violemment est passible du Conseil de Guerre. Au même moment, un soulèvement légitimiste se déclenche en Vendée, autour de la duchesse de Berry. Celle-ci, belle-fille du roi Charles X exilé depuis 1830, est la mère du duc de Bordeaux, héritier du trône de France pour les royalistes qui ne reconnaissent pas Louis-Philippe. La duchesse a tenté de convaincre les Vendéens de défendre sa cause. Faute de soutien et d’intelligence politique, l’aventure, très romanesque, se terminera par un fiasco. La duchesse Marie-Caroline sera incarcérée à la forteresse de Blaye, en Gironde. Victor Hugo écrira :
" Le régime balance entre la guerre civile et la peste, entre la Vendée et le choléra. "
Après toutes ces agitations, Louis-Philippe va reprendre la main. Il se décide à nommer un nouveau président du Conseil. Très habilement, il choisit le maréchal Soult, qui n’attendait que cela. Un choix judicieux. Soult est auréolé de la gloire de l’Empire mais il a aussi été mêlé aux évènements de juillet 1830 qui ont porté Louis-Philippe sur le trône. La crise politique s’apaise. L’épidémie de choléra s’achève en septembre à Paris. Mais le mal n’avait pas frappé que la capitale…
Le choléra ravage aussi la Provence
C’est un peu après Paris que le mal frappe la Provence. En plein été, sous un soleil brûlant, alors que la chaleur est telle que les Provençaux, pour étancher leur soif, se gavent de melons et de tomates. L’un des premiers symptômes du choléra étant la dysenterie, on ne prêtera aucune attention aux premiers cas déclarés. On les attribuera à des indigestions de melons et de tomates. Il faut préciser qu’en Provence comme à Paris, personne n’avait entendu parler du choléra qui n’avait encore jamais touché l’Europe occidentale.
Un écrivain français du 20ème siècle, Jean Giono, s’est passionné pour ces évènements concernant cette région qu’il adore et où il vit. Il s’est documenté avec un soin minutieux, épluchant tous les rapports officiels, tant administratifs que médicaux concernant cette époque. Dans le chef d’œuvre qu’il va écrire, "Le Hussard sur le toit", il ne s’agit pas seulement de la première et de la plus terrible épidémie de choléra en Provence. Il s’agit, aussi, de l’aventure d’un officier étranger, le Piémontais Angelo, qui n’est pas là par hasard. C’est un carbonaro, donc membre d’une société secrète. Celle-ci travaille déjà à la construction de l’Unité Italienne, et Jean Giono est d’origine italienne. Vingt ans plus tard, le successeur de Louis-Philippe, Napoléon III, lui-même ancien carbonaro, aidera fortement la réalisation de l’Unité Italienne. Elle rapportera Nice et la Savoie à la France.
Le jeune Angelo, colonel des Hussards et conspirateur, beau, élégant, courageux, en uniforme et bottes superbes, galope à travers la Provence. On ne le sait pas encore mais c’est pour rejoindre son demi-frère, à Manosque. Dans la chaleur écrasante de l’été, Angelo fait une horrible découverte : un village sur lequel se sont abattus des nuées de corbeaux. Les portes des fermes et des maisons sont ouvertes et le jeune homme s’aperçoit que si les corbeaux sont là, c’est pour se repaître de cadavres et de sang, aidés en cela par quelques chiens agressifs, sans compter les cochons et les rats. Un de ces chiens se précipite sur son cheval, lequel, épouvanté, s’enfuit au grand galop.
La peur, le plus grand ennemi
Accablé, il prend ce qu’il croit être la direction de Manosque, traverse un autre village aussi dévasté que le précédent. Il rencontre alors un personnage à cheval qui a récupéré celui d’Angelo. C’est un jeune médecin épuisé. Il fait ce qu’il peut pour sauver des vies. Il dit à Angelo qu’il s’agit du choléra. Il lui en explique les symptômes : un refroidissement terrible du corps, notamment des jambes, dysenterie et vomissements d’une sorte de bouillie laiteuse et blanchâtre, les yeux exorbités, la peau qui noircit, une mort en principe très rapide. Angelo et le médecin retournent dans le village pour tenter de trouver des survivants.
Ce n’est pas facile : Les malades, quand ils en ont encore la force, se cachent. Ils en trouvent. Le médecin montre à Angelo ce qu’il faut faire : frotter vigoureusement avec de l’alcool (de l’eau-de-vie si on en a) les jambes et le ventre du malade pour le réchauffer. Il faut les entourer de pierres chaudes car c’est la chute de température qui est le symptôme fatal. Les deux hommes ne sauveront personne. Mais Angelo aura beaucoup appris. De même le médecin lui explique que le fait d’avoir touché les corps des malades les rend contagieux. Le seul moyen de se désinfecter est de s’arroser les mains et les avant-bras d’alcool et de les enflammer. On ne se brûle pas car il y a peu d’alcool mais on est désinfecté. C’est très spectaculaire.
Le médecin est lui-même atteint du choléra. Angelo fait tout ce qu’il peut pour le soigner mais sans résultat. L’officier est désormais seul mais il n’a plus peur. C’est la peur le plus grand ennemi, celle qui s’empare des esprits dans cette épouvantable épidémie. Elle peut entraîner une violence pire que la maladie.
Ce beau roman initiatique, paru en 1951, est le livre sur le choléra en France, dans les années 1830. Il décrit de façon très exacte et si bouleversante l’horreur du mal, les réactions épouvantables ou follement généreuses de gens confrontés à l’horreur. En même temps, on y trouve une sorte de légèreté et de gaité à travers les personnages de Pauline et d’Angelo. Ils n’ont pas peur du choléra. Ils croient en la vie. Au mois de juillet 1935, dans le midi de la France, le choléra aura frappé 560 personnes dont 333 mortellement. L’épidémie aura suscité le désarroi et la peur chez tous les habitants. Elle aura des répercussions dans toute la France durant tout le 19e siècle. L’architecture des villes s’en trouvera même bouleversée. Mais ça, c’est une autre histoire...
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"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio
Auteur et présentation : Jean des Cars
Cheffe de projet : Adèle Ponticelli
Réalisation : Guillaume Vasseau
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Europe 1 Studio
Bibliographie : Arnaud Teyssier Louis-Phhilippe, le dernier roi des Français ( Perrin , 2010) et Jean Giono
Le hussard sur le toit ( Gallimard, 1951).