[A l'occasion du couronnement de Charles III] Découvrez le récit inédit consacré à la reine et impératrice Victoria, raconté par Virginie Girod. Rien ne destinait à régner la jeune fille qui a 18 ans lorsqu'elle est couronnée. Pourtant, Victoria, reine d’Angleterre, va imprimer sa marque sur son époque et son empire durant 63 ans. Victoria monta sur le trône le 20 juin 1837, à la mort de son oncle Guillaume IV. Le Royaume de Victoria est un empire colonial qui s’étend sur les 5 continents. Côté Pacifique, Victoria règne sur plusieurs îles de l’Asie du Sud et contrôle le sous-continent indien. En 1876, le Premier Ministre Disraeli propose au Parlement de créer le titre d’impératrice des Indes pour Victoria. La Reine est alors à la tête du plus grand et du plus puissant empire colonial européen. Dès 1926, le Royaume-Uni a su transformer progressivement ses colonies en nouvelle organisation internationale baptisée le Commonwealth. Aujourd’hui, le roi d’Angleterre Charles III est le chef du Commonwealth.
Sujets abordés : Monarchie anglaise – couronnement – Colonies – Inde – Révolution industrielle
"Au cœur de l'histoire" est un podcast Europe 1 Studio.
Ecriture et présentation : Virginie Girod
- Production : Camille Bichler
- Direction artistique : Adèle Humbert et Julien Tharaud
- Réalisation : Clément Ibrahim
- Musique originale : Julien Tharaud
- Musiques additionnelles : Julien Tharaud et Sébastien Guidis
- Communication : Kelly Decroix
- Visuel : Sidonie Mangin
Nous sommes le 28 juin 1838 à Londres. Victoria, âgée de 19 ans, est officiellement la reine du Royaume-Uni depuis presque un an. Mais aujourd’hui, c’est un jour particulier. Elle va être sacrée dans l’abbaye de Westminster. La cérémonie a été organisée par son premier ministre Lord Melbourne qu’elle considère comme son mentor. L’instant est solennel. Elle porte une grande robe blanche et un manteau d’apparat sur les épaules. Enfin, on lui pose sur la tête cette lourde couronne ornée de pierreries et de velours bleu. Victoria est frappée par la beauté de ce moment.
Là où les hommes présents ne voient qu’une frêle jeune fille, se tient en réalité une très grande reine qui est bien déterminée à exercer son pouvoir.
Une reine très jeune au fort caractère
Victoria n’aurait pas dû devenir reine. Quand elle vient au monde en 1819, elle est la cinquième dans l’ordre de succession. Mais les morts prématurées dans sa famille la propulsent à la tête de son pays après le décès de son oncle Guillaume IV. Elle a 18 ans et trouve son premier allié politique en la personne de son premier ministre Lord Melbourne.
Cet homme se plaît à jouer le Pygmalion de la jeune reine. Il parfait ses connaissances en histoire, en géographie et en droit. Il lui apprend les subtilités d’une monarchie constitutionnelle. Victoria découvre qu’elle règne mais ne gouverne pas. Ce n’est pas elle qui prend les décisions politiques pour son royaume. Elle est consultée par son premier ministre mais elle est surtout là pour ratifier les décisions de son Parlement.
Cela énerve beaucoup cette brunette au visage rond qui prendra l’habitude de rendre fou les 20 premiers ministres qui vont se succéder auprès d’elle pendant son règne long de 63 ans.
Un couple uni et prospère
Bien qu’elle ne soit qu’une femme dans un monde d’hommes à une époque où le mépris du « sexe faible » est une norme sociale, elle prend plaisir à participer à des réunions de travail et à œuvrer pour son pays et ses sujets.
Son caractère irrite sans doute bien des gens. Certains essaient de nuire à sa réputation en lui prêtant une relation intime avec Lord Melbourne. Pour faire taire les rumeurs, il conseille à Victoria de se marier. Elle jette son dévolu sur son cousin, le bel Albert de Saxe-Cobourg-Gotha. Comme elle est reine, c’est Victoria qui doit faire sa demande en mariage ! Et Albert dit oui ! Comment aurait-il pu refuser ? Victoria est la souveraine la plus riche d’Europe et le plus beau parti de toute l’aristocratie.
Les noces sont célébrées le 10 février 1840. Les journaux intimes de la souveraine prouvent que la nuit de noces s’est très bien passée. Cette femme qui a l’air si austère possède en réalité un tempérament sensuel que son mari sait satisfaire. Mais il la satisfait trop bien… Victoria met au monde 9 enfants alors qu’elle déteste être enceinte et trouve que les bébés ressemblent tous à de ridicules petites grenouilles.
Cent ans plus tôt, on aurait loué la fertilité de la reine. Mais dans ce XIXe siècle si pudibond qui est horrifié par le sexe, on trouve que le couple royal est trop fusionnel. Victoria est alors perçue comme une descendante de souverains esclaves de leurs plaisirs. Résultat : on ne la prend pas trop au sérieux. Mais Albert, prince consort et roi de la communication, va tirer parti de leur famille.
Victoria soutient les mesures sociales
Au milieu du XIXe siècle, il ne reste que 300 familles d’aristocrates qui se partagent les postes de pouvoir. En revanche, la bourgeoisie devient de plus en plus importante. Elle représente 20% des sujets de la reine et c’est cette classe sociale qui glorifie le travail plutôt que la rente, qu’Albert va séduire.
Il a compris que la photographie, qui est toute nouvelle à l’époque, permet de dupliquer à l’infini et pour trois fois rien les portraits de la reine. Alors il organise lui-même des séances de poses. Victoria, Albert et leurs enfants apparaissent comme une parfaite famille bourgeoise à laquelle beaucoup de sujets peuvent s’identifier. En montrant qu’elle ressemble à son peuple, elle fait remonter la côte de popularité de la famille royale en berne depuis longtemps.
C’est donc à partir de l’ère victorienne que le peuple va commencer à collectionner les images de famille royale comme on collectionne encore aujourd’hui encore les mugs à l’effigie de Charles III, de William ou de Kate !
Évidemment, ces images séduisent la bourgeoisie mais pas le petit peuple. La révolution industrielle a fait émerger une classe ouvrière très pauvre qui vit dans des quartiers insalubres. Le libéralisme anglais est alors féroce. La doctrine économique à la mode venue de l’école de Manchester invite le patronat à faire travailler les ouvriers comme des machines et à les jeter à la rue quand ils ne sont plus productifs. Les salaires sont très bas, il n’existe aucune protection sociale, on travaille 10 heures par jour, 6 jours sur 7.
Victoria est sensible au sort des ouvriers qu’elle a découvert à travers les œuvres de Dickens comme Oliver Twist. Elle a aussi visité le « Pays noir » c’est-à-dire ces villes industrialisées où les cheminées des usines produisent un brouillard grisâtre qui encrasse les bâtiments. Dans les années 1840, poussée par Albert qui s’efforce d’être son conseiller personnel, Victoria finit par soutenir des réformes sociales. Avec son premier ministre Robert Peel, elle parvient à faire passer une loi qui baisse les droits de douane sur les importations de blé. Cette mesure fait mécaniquement baisser le prix du pain.
Mais le Parlement, largement composé d’aristocrates que Victoria juge sans cœur, n’est pas favorable aux mesures de protection des sujets les plus vulnérables. Malgré l’opposition de Victoria, le Parlement vote une nouvelle taxe sur la bière. Or la bière est la boisson la plus consommée par les pauvres parce qu’elle est bon marché. À cette époque, si on veut de l’eau à Londres, on boit l’eau de la Tamise, très polluée à cause des égouts. C’est donc plus sain de boire de la bière. La reine aurait préféré qu’on taxe le vin qui est la boisson des riches mais son idée ne passe pas auprès du Parlement.
Un empire colonial sur cinq continents
Le pire, c’est que l’Angleterre de l’époque est loin d’être pauvre parce que le Royaume de Victoria est un empire colonial qui s’étend sur les 5 continents. Le Canada fait partie de l’empire britannique depuis le XVIIIe siècle. Victoria en devient même reine à partir de 1867. L’Australie aussi dépend d’elle. Elle possède en outre un gros quart du continent Africain. Ses colonies forment une bande sur un axe nord-sud allant de l’Égypte à l’Afrique du Sud. À cela s’ajoute le Nigéria, la Gambie, la Côte d’or et le Sierra Leone sur la côte ouest. Côté Pacifique, Victoria règne sur plusieurs îles de l’Asie du sud et contrôle le sous-continent indien.
Au 18 siècle, l’Inde est si riche qu’elle produit près de 22% du PIB mondial. Tissus, épices, métaux et pierres précieuses, l’Inde est un paradis très convoité par les Occidentaux. Les Portugais, les Français, les Anglais et les Pays-Bas commencent à développer des réseaux commerciaux maritimes avec l’Inde dès le 15e siècle.
En 1600, la reine Élizabeth Ière, signe le décret qui fonde La compagnie des Indes Orientales. Dès lors, les plus aventuriers des Anglais sont poussés à aller faire fortune dans le lointain Orient. Jusqu’au XVIIIe siècle, les Anglais, les Français et les Portugais n’ont que des comptoirs commerciaux en Inde. Leur présence a été négociée avec les Mongols qui contrôlent le sous-continent Indien. Mais quand l’empire Mongol commence à décliner, les Anglais vont tisser des liens avec les Maharadjas et les familles puissantes pour les aider à prendre leur indépendance. Enfin… indépendance, c’est vite dit. Les petits royaumes indiens ressemblent déjà à des protectorats anglais. Ce changement de statut s’est fait de manière contractuelle et jamais par la force. Mais pour le moment, les élites indiennes s’enrichissent et adoptent en partie les modes de vie de leur charmants envahisseurs.
Mais ce fonctionnement ne dure qu’un temps et les Anglais prennent durablement le contrôle de l’Inde. On appelle cette période le Company Raj : c’est-à-dire la domination de la Compagnie britanniques des Indes orientales. La domination anglaise repose en partie sur les cipayes, des armées d’indigènes très bien rémunérées pour régler tous les problèmes de révoltes des indigènes.
Révolte en Inde
Le problème, c’est que la vision de l’économie de l’école de Manchester, ultra libérale, s’applique aussi en Inde. L’industrialisation permet d’acheter des matières premières à bas prix. Ce sont maintenant les machines qui tissent des étoffes précieuses mettant tout le secteur du tissage à l’agonie. Les agriculteurs sont pressurés par les charges. Et les cipayes voient leurs salaires et leurs avantages sociaux se réduire. L’Inde, jadis si prospère, devient un pays pauvre.
Les indiens se rebellent en 1857 lors d’un épisode qu’on appelle « la révolte des cipayes ». Victoria n’est pas une enfant de chœur. Elle considère qu’on ne peut pas avoir un empire sans faire la guerre. Elle encourage donc la répression de la révolte pour le bien de ses sujets qui sont Anglais. Les revendications des indigènes ne la touchent pas beaucoup. Une fois la révolte matée en 1858, l’Inde change de statut. Le Raj Britannique désigne désormais le régime colonial du sous-continent indien jusqu’à son indépendance en 1947.
Victoria n’a jamais mis un pied dans l’Inde lointaine mais elle est fascinée par ce pays exotique. Elle fait même en sorte que son premier ministre lui obtienne en 1876 le titre d’impératrice des Indes alors qu’elle était seulement reine de ses autres royaumes. Cette petite vanité est un moyen de garder la préséance sur sa fille Victoria qui deviendra bientôt l’impératrice allemande par son mariage avec le futur Frédéric III.
Les derniers moments de la reine Victoria
Une fois veuve et âgée, Victoria, se rapproche d’un jeune indien de 24 ans, Abdoul Karim, entré à son service en 1887. Elle flirte littéralement avec lui ! Promu secrétaire, l’indien se pique même de lui apprendre l’hindi, et l’une des premières phrases qu’il lui enseigne est « serre-moi fort »… ce qui n’est pas très utile en politique, vous en conviendrez.
Quand Victoria meurt en 1901, elle est à la tête du plus grand et du plus puissant empire colonial européen. Au milieu du XXe siècle, les peuples colonisés du monde vont se battre pour leur indépendance. Dès 1926, le Royaume-Uni a su transformer progressivement ses colonies en nouvelle organisation internationale baptisée le Commonwealth. Cette communauté de nations partage sa richesse et sa prospérité. L’inde colonisée par Victoria en fait toujours partie.
Et aujourd’hui, Charles III est le chef du Commonwealth.
Sources :
- Bernard Cottret, Les Tudors, Perrin.
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