Chaque samedi et dimanche, Nicolas Beytout, directeur du journal "L'Opinion", donne son avis sur l'actualité de la semaine.
Vous avez aimé la promesse de Anne Hidalgo de rendre gratuits les transports en commun pour les enfants de 4 à 11 ans.
Exactement. Bon, en vérité, j’ai surtout apprécié qu’elle renonce à rendre les transports en commun gratuits pour tous les Parisiens. C’est pourtant ce qu’elle avait promis, en Mars dernier. A l’époque, il fallait essayer de reprendre la main après le fiasco du Vélib, le désastre d’Autolib, et après la série d’échecs judiciaires de la Mairie de Paris sur la fermeture des voies sur berge aux automobiles.
Donc, le but c’était alors d’envoyer un signal (ou un contre-signal) positif ?
Voilà. C’est de la com’ politique : j’essuie un échec ici, je braque un projecteur là. Et puis, quoi de plus sympa que de promettre à ses concitoyens quelque chose de gratuit ? Et c’est encore mieux quand on peut habiller ça des apparences de la lutte contre la bagnole, cette grande cause de la maire de Paris. Et oui : quoi de plus persuasif que de comparer le prix de la voiture et de l’essence qui s’envole et les transports en commun que l’on promet de rendre gratuits ! Sauf que…
Sauf que vous nous dites qu’Anne Hidalgo y a renoncé. Pourquoi ?
Parce qu’elle était à peu près la seule à trouver que c’était une bonne idée. Même au sein de son propre camp politique, on était sceptique, si bien que la maire de Paris s’est vite rendu compte que ça n’allait pas passer facilement. Et qu’est-ce qu’on fait, en politique, quand on bute sur un obstacle ? On demande…
On demande un rapport ?
Voilà ! Et ce sont trois des adjoints d’Anne Hidalgo qui s’y sont attelés. Et qui ont démoli sa proposition. Ils y ont trouvé trois énormes inconvénients. Le premier, c’est que, même en tenant compte de l’avantage financier qu’il y aurait à laisser sa voiture au parking, les transports en commun ne seraient jamais capables de rivaliser avec la souplesse et le gain de temps que peut apporter la voiture pour certains automobilistes. Donc, pas d’effet considérable sur la baisse du trafic.
Deuxième inconvénient, la gratuité du métro ou du bus inciterait beaucoup de Parisiens qui marchent ou prennent leur vélo aujourd’hui à opter pour les transports en commun. Certaines estimations ont même avancé un chiffre de +50% de fréquentation. Vous imaginez le tableau, en particulier sur les lignes qui sont déjà saturées. Donc, pas moins de voitures, mais plus de gens profitant de l’aubaine de la gratuité. Mauvais calcul.
Et il y avait un troisième défaut au projet d’Anne Hidalgo.
Bien sûr, c’est son coût pour les finances de la ville : 3,3 milliards d’euros par an. Et tout le monde comprend bien que ce que les passagers de la RATP n’auraient plus payé, ce sont les contribuables parisiens qui auraient dû l’endosser. Les belles histoires de services publics gratuits, ça n’existe pas. Ce sont des fables. La santé, ça coûte, les transports, ça coûte. Le maintien de l’ordre, la sécurité, l’éducation, la justice, ça coûte. Ces services sont pour certains gratuits, (en particulier ce qu’on appelle les fonctions régaliennes de l’Etat : la police, la défense).
Mais il faut que tous les Français, lorsqu’ils entendent un homme ou une femme politique dire : "je vais rendre gratuite telle ou telle activité", il faut qu’ils se mettent en tête que si ce ne sont pas les utilisateurs qui payent, ce sont les contribuables qui assumeront. En ces temps de ras-le-bol fiscal, c’est utile de ne pas perdre de vue cette notion.