Privatisation d'ADP : "Vendre un aéroport ce n'est pas vendre une frontière"

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Chaque samedi et dimanche, Nicolas Beytout, directeur du journal "L'Opinion", donne son avis sur l'actualité de la semaine.

Vous n’avez pas aimé le débat sur la privatisation d’Aéroports de Paris.

Oui, un débat qui a duré des heures au Parlement, sur un seul petit article de la loi Pacte, et qui a totalement éclipsé le reste de ce texte qui est pourtant en gestation depuis plus d’un an. L’Etat, qui détient aujourd’hui 50,6% du capital de ADP, veut se donner la possibilité de privatiser totalement cette entreprise dont l’état de santé s’est beaucoup amélioré depuis quelques années. Et ça coince. De tous les côtés.

Y compris à droite, puisque c’est le Sénat qui a le premier bloqué le processus. Et au Sénat, la majorité est tenue par les Républicains.

C’est exact, ils ont voté contre cette privatisation avec deux arguments principaux. Le premier, c’est qu’un aéroport, c’est une frontière, disent-ils. Et on ne vend pas une frontière.
Et c’est faux ?

Oui, l’aéroport lui-même, les milliers de tonnes de béton, de verre, d’acier, les bâtiments, les parkings, les pistes, les boutiques, ce n’est pas une frontière. La frontière, elle est sous le contrôle de l’Etat. Aujourd’hui, c’est la gendarmerie du transport aérien qui a la haute main sur la surveillance des pistes, ce sont les fonctionnaires de la Direction de l’aviation civile qui gère le trafic aérien, c’est la police des frontières qui contrôle les passeports, c’est la douane qui contrôle les marchandises, le périmètre autour de l’aéroport dépend désormais de la Préfecture de police de Paris, qui a, en plus une trentaine d’agents du renseignement installés sur place. Vous le voyez, la frontière, aujourd’hui, elle est très rigoureusement tenue par l’Etat.
Et demain, si c’est privatisé ?

Mais ce sera la même chose : la frontière, son contrôle ne bougeront pas. Alors, la droite emploie aussi un autre argument : même aux Etats-Unis, au cœur de l’ultra-libéralisme, les aéroports sont publics.
Et là aussi, vous dites que c’est faux ?

Oui : d’abord il y a des aéroports privés. Ensuite, ceux qui sont publics (et c’est effectivement l’immense majorité) appartiennent à des collectivités locales, pas à l’Etat fédéral. Et à l’intérieur de ces installations, les terminaux appartiennent le plus souvent aux compagnies aériennes elles-mêmes. Et elles sont privées, bien sûr. Une dernière précision : comme tous ces équipements publics ont besoin d’être modernisés (aux Etats-Unis, les infrastructures ne sont pas au mieux), et bien ce sont des consortiums privés qui désormais interviennent de plus en plus souvent.
Bon, voilà pour les arguments de droite. Mais à gauche, par exemple, on reproche beaucoup au gouvernement de privatiser une bonne affaire.

Oui, et de faire un cadeau au privé. C’est le précédent des autoroutes, c’est aussi la privatisation ratée de l’aéroport de Toulouse. Mais dans les deux cas, ce n’est pas le principe de la privatisation qui a échoué. Ce sont ses modalités : or c’est au vendeur, l’Etat, le gouvernement (la droite pour les autoroutes, la gauche pour Toulouse) qu’il revenait de fixer les modalités de l’exploitation future de ce qu’il vendait. On appelle ça le cahier des charges. On peut très simplement imposer des contraintes au repreneur d’Aéroport de Paris.

Quant à dire, comme on l’a beaucoup entendu, que l’Etat ne doit pas vendre parce que l’entreprise se porte bien, alors là, bonjour la logique. Il faudrait vendre quand ? Quand une entreprise va mal, et qu’elle ne vaut rien ? Vous connaissez beaucoup d’épargnants qui raisonneraient comme ça ? Evidemment non !