Chaque samedi et dimanche, Nicolas Beytout, directeur du journal "L'Opinion", donne son avis sur l'actualité de la semaine.
Vous n’avez pas aimé cette semaine les réactions à l’étude qui montraient que les dividendes distribués par les entreprises du CAC 40 s’étaient élevés en 2017 à 57,4 milliards d’euros.
Oui, alors je ne suis pas naïf, ces réactions pour certaines scandalisées étaient à peu près inévitables. Lâché comme ça, sans décryptage, sans comparaison, ce chiffre paraît gigantesque.
Mais il y a eu des comparaisons : par exemple, c’est le chiffre le plus élevé depuis 10 ans.
Exactement, mais précisément, qu’est-ce qui s’est passé depuis 10 ans : la crise la plus grave depuis la tragédie de 1929. Toutes les entreprises ont souffert, elles ont vu leurs résultats dégringoler et leur endettement exploser. Et les choses ne se sont améliorées que depuis 3 à 4 ans environ. De sorte que, à la virgule près, la distribution de dividendes aux actionnaires du CAC 40 est à peu près la même depuis quatre ans. Ce qui relativise tout de même l’effet "waouh" de ce record !
Mais, en pleine crise des "gilets jaunes", c’est un chiffre qui tombe mal.
Oui, bien sûr. Sauf encore une fois, si vous le mettez en perspective. Non pas seulement dans le temps, comme je viens de le faire, mais si on le compare à ce que font les entreprises de leurs profits. Le dividende, c’est la somme qu’une entreprise verse à ses actionnaires, c’est la fraction de son bénéfice qu’une entreprise paye à ceux qui en sont propriétaires, ses actionnaires. Et ce qu’il faut, c’est voir ce que l’entreprise fait du reste de son chiffre d’affaires et de ses profits. Et en particulier, ce qu’elle fait vis-à-vis de deux autres entités : ses salariés, et l’Etat.
Et là, on a des chiffres très précis et qui relativisent largement le côté spectaculaire de ce record de dividendes. Les salariés du CAC 40, par exemple, ils ont capté 71% de ce que l’entreprise a généré comme chiffre d’affaires. Et c’est normal, on le sait depuis Karl Marx : pour faire tourner une entreprise capitaliste, il faut du capital (les actionnaires), et du travail (les salariés). Et ces personnels touchent parfois à plusieurs titres : comme salariés (on l’a vu), mais aussi grâce à l’intéressement et avec l’actionnariat salarié (lorsqu’il existe).
Et l’Etat ? Vous disiez, il y a deux autres entités : les salariés donc, et, l’Etat.
Et bien lui, il capte une partie de la richesse créée par le biais des impôts et des taxes, y compris bien sûr l’impôt qu’il prend sur les bénéfices des entreprises. Et en tout, c’est 20% de toute la richesse créée, de tout le chiffre d’affaires. C’était par exemple 66 milliards en 2016 à comparer avec les 57,4 milliards de dividendes. Voilà, c’est un fait, l’Etat est beaucoup plus gourmand que les actionnaires.
Qui prennent donc 9% ?
Exactement : 71% pour les salariés, 20% pour l’Etat, reste 9% de la richesse créée qui va aux actionnaires. Vous voyez, c’est arithmétique et ça relativise le record. Alors, après, on peut porter un jugement moral sur ces sommes. On peut dire aussi que les salariés devraient avoir plus, ou que l’entreprise devrait garder une plus grande part de ses profits pour les réinvestir, pour financer sa recherche, son innovation, sa croissance. Mais là, il y a autant de stratégies qu’il y a d’entreprises. Et puis, n’oublions pas : l’année 2018 a été la plus mauvaise en Bourse depuis 10 ans pour les actionnaires. Les dividendes, ça sert aussi à ça : à garder ses actionnaires, même quand les marchés financiers tanguent.