Chaque samedi et dimanche, Nicolas Beytout, directeur du journal "L'Opinion", donne son avis sur l'actualité de la semaine.
Vous n’avez pas aimé la rupture des fiançailles entre Renault et Fiat, dans l’automobile.
En effet, parce que ce projet était une occasion exceptionnelle de construire un champion européen, un leader mondial, et qu’elle a été gâchée. Fiat plus Renault, c’était une magnifique complémentarité géographique, une belle complémentarité de gammes, un intérêt bien compris pour les deux, chacun pouvant compter sur les spécialités de l’autre pour rattraper son retard d’investissement ou en recherche. Et puis c’était un équilibre assez bien construit entre les deux futurs mariés.
Il y avait quand même un doute sur cet équilibre, justement, ou comme on dit, sur un juste partage des tâches ménagères !
C’est vrai, mais des négociations menées tambour battant avaient permis de corriger la première impression. Et il semble qu’une répartition correcte avait été atteinte.
Bruno Le Maire, au nom de l’Etat français, l’Etat actionnaire, a montré des signes de plus en plus nombreux d’hésitation
Alors, qu’est-ce qui a cloché ? Vous disiez que "l’occasion a été gâchée". La faute à qui ?
Essentiellement au gouvernement, et en l’occurrence à Bruno Le Maire qui, au nom de l’Etat français, l’Etat actionnaire, a montré des signes de plus en plus nombreux d’hésitation. Il avait pourtant montré beaucoup d’enthousiasme en faveur de ce mariage lorsque les bans ont été publiés, mais petit à petit, l’hésitation a gagné. Il fallait un délai pour ceci, une garantie pour cela, une compensation ici, un autre réglage là. Ça a fini par lasser et l’actionnaire de Fiat, la famille Agnelli, a stoppé net les discussions, en pleine nuit. Une gifle.
Bon, mais est-ce que l’attitude et les précautions de Bruno Le Maire n’étaient pas normales, s’agissant d’un "deal" aussi complexe ?
Peut-être, oui, mais tout ça a fini par créer un contexte de défiance, évidemment terrible à la veille d’un mariage. Pas de volonté, pas de souffle, des chicayas, et puis surtout, un ministre qui se met à jouer le rôle d’un actionnaire. Voyant que le partenaire historique de Renault, Nissan, allait voter blanc lorsqu’il faudrait en passer au vote du conseil d’administration du constructeur français, Bruno Le Maire s’est invité dans la négociation et a promis d’aller voir les Japonais pour les convaincre. C’est ce qui a exaspéré les Italiens, qui ont à ce moment-là compris que l’affaire, ce mariage-éclair, allait traîner en longueur et devenir un long flirt platonique et frustrant. Fin de l’idylle.
Selon vous, c’est donc l’aspect politique de l’intervention française qui a provoqué le clash ?
Oui, mais ce n’est pas moi qui le dit, c’est Fiat, et c’est Renault. Le communiqué de rupture diffusé en pleine nuit, jeud i matin, dénonce (je cite) "les conditions politiques" qui ne permettent pas d’aller plus loin. Et Renault, dans son propre communiqué, affirme en toutes lettres que le rapprochement a été empêché "par les représentants de l’Etat français" qui ont empêché le rapprochement. Croyez-moi, on n’a jamais vu entreprises de cette taille s’en prendre au politique et le clamer aussi ouvertement. Voilà, c’est la triste histoire d’un actionnaire qui confond le business et la politique, qui n’a ni les mêmes contraintes, ni les mêmes exigences que les entreprises dont il est propriétaire. En automobile, ça s’appelle une grave sortie de route.