Chaque samedi et dimanche, Nicolas Beytout, directeur du journal "L'Opinion", donne son avis sur l'actualité de la semaine.
Bonjour Nicolas, vous avez aimé la rupture des négociations entre patronat et syndicats qui s’est produite cette semaine sur l’assurance-chômage.
Exactement, une rupture brutale, sèche : une petite heure d’échanges entre les protagonistes, c’est tout. Point final pour cette réunion de la dernière chance sur l’assurance-chômage, et plus généralement un coup d’arrêt au paritarisme, c’est-à-dire à la gestion partagée entre le patronat et les syndicats de l’Unedic.
Et c’est ça que vous aimez ? La fin du paritarisme ?
Oui, parce que, à mon sens, le paritarisme, ou plutôt ce qu’il est devenu ne correspond plus à rien. C’est un faux-semblant, une illusion de négociation. Pas à cause des partenaires sociaux, non, à cause de l’Etat, du gouvernement qui, en réalité, pilote en permanence ce processus. Il intervient avant les négociations en imposant aux partenaires sociaux l’objectif à atteindre. Il intervient pendant, par exemple pour rabibocher les négociateurs lorsque les échanges deviennent trop tendus, pour les remettre autour de la table, ou même pour les menacer de reprendre la main. Et puis il intervient à la fin de la négociation, pour reprendre la main, justement, si les partenaires sociaux ne se sont pas mis d’accord, ou pour en rajouter s’ils ne sont pas allés assez loin.
On a même vu un cas où le gouvernement (c’était Manuel Valls) a annulé et inversé un accord passé entre le patronat et la plupart des syndicats, tout ça pour plaire à la CGT qui ne l’avait pas signé. Là, on avait atteint le summum de la farce.
Je vais vous faire écouter ce que disait de ces négociations Emmanuel Macron : c’était il y a 2 jours.
Trop facile. Le chef de l’Etat oublie de dire qu’il avait fixé aux négociateurs un objectif impossible à atteindre : entre 3 et 4 milliards d’euros d’économie en 3 ans sur l’assurance-chômage. Vous connaissez un syndicat qui est prêt à avaler ça ? Evidemment non. Et il avait imposé au patronat ce que Geoffroy Roux de Bézieux avait appelé une "ligne rouge" : le bonus-malus sur les contrats très courts. Evidemment, le président du Medef n’allait pas se déjuger. Vous voyez, cette négociation était impossible.
D’ailleurs, c’est le principe même de ce genre de séance qui est à revoir. Comment voulez-vous que, face à des enjeux aussi lourds, on aboutisse à quelque chose de construit et équilibré. Dans une négociation, qui se déroule en plusieurs rounds, avec des interruptions de séances, des suspensions, des contacts informels, chacun y va de sa petite modification : "je t’échange tel alinéa contre tel codicille". Résultat, une construction baroque, lourdement déficitaire (30 milliards de dette). Ça ne peut plus tenir.
Et donc c’est à l’Etat de reprendre le tout ? C’est la fin du paritarisme ?
Oui, probablement. C’est d’ailleurs assez logique : l’assurance-chômage, c’est une partie essentielle du "modèle social français". C’est au gouvernement de décider qui doit être indemnisé, comment, pour combien de temps, et quel niveau de cotisations-chômage il faut mettre en face. C’est un choix politique, c’est sa responsabilité. Alors est-ce que le paritarisme est mort ? Celui-là, oui, et avant de le faire renaître, il faudra s’assurer que les partenaires sociaux (les syndicats en particulier) sont représentatifs, et il faudra définir ce qu’on veut, ce que le pays veut comme modèle social. Et ça, ça ne se règle pas dans une négociation à huis clos.