Le président de la FNSEA se "fait engueuler tous les jours" parce qu'on ne parle pas des autres régions en colère où la contestation monte.
Xavier Beulin, président de la FNSEA
Ses principales déclarations :
La Bretagne est dans l'effervescence et la détresse. Est-ce que vous demandez aux agriculteurs de renoncer aux violences ?
"Je crois qu'on a besoin d'apaisement et de sérénité. On a aussi besoin de perspectives. L'apaisement et la sérénité ne viendra que si on a quelques annonces fortes, symboliques, au sujet de l'écotaxe mais pas seulement."
Mais pourquoi veulent-ils en découdre aujourd'hui ?
"Il y a un ras-le-bol général autour de l'impôt, des taxes, des réglementations. Il y a aussi un malaise plus profond lié au fait que l'agriculture, notamment dans sa filière animale, va très mal, des entreprises qui ferment, des emplois supprimés."
Est-ce que vous confirmez qu'il n'y a pas qu'en Bretagne que ça va mal ?
"Bien sûr. La Bretagne a pris le leadership parce que la concentration dans cette région est très forte. C'est 150.000 emplois directs qui sont concernés, c'est beaucoup d'activités concernées sur le marché intérieur et à l'exportation."
Vous confirmez qu'il y a un risque effectif de contagion dans d'autres régions que la Bretagne ?
"Je vais vous dire de manière très directe que le président de la FNSEA se fait engueuler tous les jours parce qu'on a le sentiment qu'on ne parle que de la Bretagne. Il touche beaucoup de régions."
Lesquelles ?
"On va prendre les choses dans l'ordre. D'abord sur l'écotaxe, je demande au Premier ministre, quel que soit l'avenir de cette écotaxe, d'annoncer une exonération pour toute la filière agricole, agroalimentaire, production, agro, fournitures. Ça me paraît indispensable. Deuxièmement, il faut absolument que Bruxelles nous donne un coup de main. Bruxelles ne doit pas punir, mais apporter des solutions."
On va y venir mais vous ne répondez pas à la question : quelles régions engueulent le président de la FNSEA ?
"Toutes ! Je peux citer PACA, Languedoc Roussillon, Lorraine, Nord... Tous veulent manifester leur désespoir, mais aussi de dire, attention : pas de mesures singulières mais générales."
Etes-vous aussi sévère que Laurent Berger, de la CFDT, au sujet des bonnets rouges ?
"Il faut se garder de tout jugement. Il y a une exaspération aujourd'hui. Elle prend parfois des formes un peu violentes : je ne les soutiens pas parce qu'il y a un moment pour manifester et un autre pour discuter. Le Premier ministre a proposé une négociation. J'ai d'ailleurs demandé à entrer dans les négociations."
Vous êtes le numéro 1 des agriculteurs et vous n'y êtes pas invité...
"Oui, parce que le gouvernement doit entendre qu'on ne peut pas traiter des problèmes de la Bretagne seulement avec la Bretagne. C'est un problème beaucoup plus général. Il y a des sujets qui sont liés à la péninsularité de la Bretagne. D'autres sont beaucoup plus transversaux."
A l'égard des agriculteurs qui détruisent les portiques, est-ce que vous dites : aucune indulgence, respect de l'ordre public ?
"Oui, enfin attendez, chacun prendra ses responsabilités. Ce que je demande, c'est qu'on prenne conscience que si nous ouvrons les discussions, il faut mettre un terme à ce genre de manifestations. Pour autant, entendons le cri d'alarme poussé par les agriculteurs, les marins-pêcheurs, les vignerons, les salariés..."
On est obsédé par l'écotaxe mais elle n'est pas encore appliquée et donc pas responsable des difficultés actuelles ?
"Oui, mais on peut faire un peu de prévention, dans ce pays. Ça fait 3-4 ans que la FNSEA demande à tous les ministres successifs de reprendre ce dossier de l'écotaxe parce que nous en avons mesuré les conséquences."
Elle sera métamorphosée, retardée...
"J'en demande l'exonération, clairement."
Les volaillers de Doux, de Tilly, ont beaucoup profité des aides européennes. Est-ce qu'aujourd'hui ils ne font pas payer à leurs salariés leur laxisme en matière d'investissements ?
"C'est la raison pour laquelle je demande au commissaire européen Dacian Ciolos de faire un geste et de permettre à la France d'adapter son outil industriel. Nous avons besoin d'un sas de 2, 3 ans, pendant lequel on amène encore des subventions à l'exportation, qui vont compenser des problèmes de parité monétaire. J'ai entendu un propos très intéressant sur l'euro fort, qui pénalise nos exportations, notamment sur le Moyen-Orient. Il faut quand même que vous sachiez que c'est plus coûteux aujourd'hui d'aller de Brest à Paris que de transporter par bateau jusqu'en Arabie Saoudite."
Qu'est-ce que vous proposez de concret dans l'urgence ?
"J'ai toujours parlé de coresponsabilité. Les pouvoirs publics doivent donner un cadre, alléger des procédures. Comment accepter que pour construire un méthaniseur en France, il faille 3 ans d'instruction, alors que ça se fait en 6 mois en Allemagne."
Nos voisins européens réussissent justement là où nous échouons...
"Ils galopent alors que nous avons des semelles de plomb. Et ça, c'est la responsabilité des pouvoirs publics. Dans la filière, coopératives, syndicats, agriculteurs, nous avons aussi des responsabilités à assumer. Aujourd’hui on a des leaders dans le végétal. Pourquoi on ne pourrait pas y arriver dans les filières animales ? Il faut aussi dire que l'environnement a été un frein systématique pour nous, avec le principe de précaution qui devient un empêcheur d'investir qui nous étouffe. On peut parfaitement combiner une économie agricole performante et un environnement respecté."
Et les leaders écologistes, ils vous étouffent ou ça va mieux ?
"Ecoutez, je suis un peu surpris de voir ceux qui nous empêchent de travailler être présents à côté des bonnets rouges pour la défense de l'emploi. Mettons un peu d'équilibre dans les positions des uns et des autres..."
La grande distribution aussi a mis le bonnet rouge.
"Ecoutez, il y a un Breton célèbre, Michel-Edouard Leclerc, à qui je demande de prendre sa part de responsabilité. Il va être le grand bénéficiaire du crédit d'impôt compétitivité emploi. Le grand bénéficiaire, on parle de 3 milliards pour la grande distribution. Je demande à ce qu'il en renvoie aux fournisseurs, aux agriculteurs."
Vous n'êtes pas un fan du président. Mais regardez la une des magazines. "Le château ivre de l'Elysée, Hollande vu par les psys, Le pays révolté"... Vous connaissez le pays, est-ce qu'il est révolté ?
"Il faut faire attention aux exagérations et aux propos qui peuvent aller un peu loin. Ce qu'il faut souligner, c'est qu'on est un pays qui a beaucoup de potentiel, où les hommes et les femmes veulent travailler, investir, entreprendre, qu'il faut soutenir. Avec la FNSEA, nous demandons depuis plusieurs années une grande réforme sociale et fiscale. Alors je sais que c'est compliqué, mais l'empilement des taxes et des impôts n'est plus supporté."
Victor Hugo disait : "Plus l'insulte sera extrême, plus la gloire sera haute. C'est avec des pierres qui ont lapidé l'homme que l'avenir fait souvent le piédestal de la statue." On n'en est pas là ?
"Si c'est un moyen de redonner du sens à la politique publique, dont acte. Moi, je soutiens cette démarche."