Algérie : "Ces manifestations expriment les frustrations économiques et sociales causées par des décennies de mauvaise gouvernance"
Ce samedi, Catherine Nay décrypte le mouvement de manifestations algériennes contre un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika.Bonjour Catherine,Bonjour Bernard, bonjour à tous.Des dizaines de milliers d'Algériens ont manifesté hier dans tout le pays. A Alger, la manifestation était bien supérieure à celle de la semaine passée. C'est l'annonce, le 10 février, d'une nouvelle candidature du Président Bouteflika qui a déclenché cette contestation d'une ampleur inédite. Du jamais vu !Oui, cette perspective a fait jaillir l'étincelle. Et la mobilisation s'est faite, en dehors des partis, sans leader, dans un pays où la moitié de la population a moins de 30 ans. Pour eux, c'est une humiliation terrible. Tout de même, il faut oser demander au pays de réélire un Président qui n'a plus été vu en public depuis trois ans. Victime d'un AVC en 2013, c'est un handicapé muet, cloué sur un fauteuil roulant. Ces derniers jours, il était en Suisse pour des examens médicaux. Est-il revenu ? Est-il même maître de cette décision ou le jouet d'un système et d'un clan corrompu, avec des oligarques qui se sont enrichis grâce à la commande publique ?Ces manifestations, baptisées "journée de la dignité retrouvée", expriment les frustrations économiques et sociales. En cause, des décennies de mauvaise gouvernance. Ces dernières années, avec la chute du prix du pétrole, le gouvernement a fait marcher la planche à billets. 20% du PIB comme axe salvateur du pays. Résultat : une inflation qui grimpe : 10%. Le dinar qui n'en finit pas de chuter et le pouvoir d'achat baisse.Le clan Bouteflika a demain jusqu'à minuit pour déposer le dossier de candidature devant le Conseil Constitutionnel.Oui, et l'article 139 du Code électoral exige que le candidat présente un certificat médical délivré par des médecins assermentés. Qui va faire ce certificat ? Et les Sages, tous nommés par le pouvoir, vont-ils valider cette candidature ? Si le clan au pouvoir passe en force, les manifestations risquent de repartir. Jusqu'ici, il n'y a pas eu de violences. Mais demain ? Est-ce que l'armée pourrait tirer sur les jeunes, comme en 1988, où il y avait eu plus de 500 morts ?En 2014 déjà, pour faire passer la pilule du 4ème mandat, le pouvoir avait, outre la fraude électorale, grassement payé ses relais : logements gratuits, on offrait aussi aux jeunes chômeurs une prime de création d'entreprise de 30.000 euros, sans aucun contrôle. Mais à l'époque, les fonds de réserve de change, issus du pétrole - plus de 200 milliards - autorisaient ces largesses. Aujourd'hui, elles ont fondu : 85 milliards. Ce pays n'existe que par ses exportations de pétrole et de gaz. Ses dirigeants ont été incapables de créer une économie sociale de marché, alors que ce pays bouillonne d'envies.Quelques entreprises privées créent des emplois et personne ne les aide à exporter. La production agricole ne suit pas l'explosion démographique. 800.000 naissances par an. Il y a 40 millions d'Algériens, ils étaient 9 millions au moment de l'indépendance. Dans ce pays, il faut tout rebâtir. Mais avec qui ?Ce mouvement pourrait-il bénéficier aux Islamistes.Ce ne sont pas eux qui sont derrière. Pourraient-ils le récupérer ? Ils n'ont pas de leader. Le traumatisme de la guerre civile et ses 200.000 morts au début des années 1990 a marqué au fer rouge toutes les familles. En organisant La Concorde, Bouteflika interdisait par la loi aux victimes de dénoncer leurs assassins et de réclamer réparation. Les Islamistes, on leur a donné du boulot, dans l'enseignement. Ce qui fait des ravages. Ce qu'ils ont perdu par les armes, ils l'ont gagné dans les cerveaux. On lit le Coran tous les jours à l'école primaire. Bouteflika a fait construire à Alger, par les Chinois, la plus grande mosquée du monde arable après l'Arabie Saoudite. Coût : 4 milliards de dollars, l'équivalent de plusieurs hôpitaux modernes et de logements qui manquent tant à la population.Et la France, dans tout ça ? Il y a un lien particulier entre nos deux pays."Ni ingérence, ni indifférence", dit-on au Quai d'Orsay. Bien sûr, le dossier est une priorité absolue pour l'Elysée. On marche sur des œufs, car ne rien dire est-ce soutenir en douce le régime, ou une prise de position est-elle une ingérence de l'ex-colonisateur ? Quand Benjamin Griveaux dit : "C'est au peuple algérien, et à lui seul, qu'il convient de choisir", le pouvoir peut comprendre que Paris soutient la rue. Surtout, ne pas jeter de l'huile sur le feu à un moment où le mouvement n'en est qu'à ces débuts. Sauf retournement : si Bouteflika renonçait. Mais là, on rêve.
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Ce samedi, Catherine Nay décrypte le mouvement de manifestations algériennes contre un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika.
Bonjour Catherine,
Bonjour Bernard, bonjour à tous.
Des dizaines de milliers d'Algériens ont manifesté hier dans tout le pays. A Alger, la manifestation était bien supérieure à celle de la semaine passée. C'est l'annonce, le 10 février, d'une nouvelle candidature du Président Bouteflika qui a déclenché cette contestation d'une ampleur inédite. Du jamais vu !
Oui, cette perspective a fait jaillir l'étincelle. Et la mobilisation s'est faite, en dehors des partis, sans leader, dans un pays où la moitié de la population a moins de 30 ans. Pour eux, c'est une humiliation terrible. Tout de même, il faut oser demander au pays de réélire un Président qui n'a plus été vu en public depuis trois ans. Victime d'un AVC en 2013, c'est un handicapé muet, cloué sur un fauteuil roulant. Ces derniers jours, il était en Suisse pour des examens médicaux. Est-il revenu ? Est-il même maître de cette décision ou le jouet d'un système et d'un clan corrompu, avec des oligarques qui se sont enrichis grâce à la commande publique ?
Ces manifestations, baptisées "journée de la dignité retrouvée", expriment les frustrations économiques et sociales. En cause, des décennies de mauvaise gouvernance. Ces dernières années, avec la chute du prix du pétrole, le gouvernement a fait marcher la planche à billets. 20% du PIB comme axe salvateur du pays. Résultat : une inflation qui grimpe : 10%. Le dinar qui n'en finit pas de chuter et le pouvoir d'achat baisse.
Le clan Bouteflika a demain jusqu'à minuit pour déposer le dossier de candidature devant le Conseil Constitutionnel.
Oui, et l'article 139 du Code électoral exige que le candidat présente un certificat médical délivré par des médecins assermentés. Qui va faire ce certificat ? Et les Sages, tous nommés par le pouvoir, vont-ils valider cette candidature ? Si le clan au pouvoir passe en force, les manifestations risquent de repartir. Jusqu'ici, il n'y a pas eu de violences. Mais demain ? Est-ce que l'armée pourrait tirer sur les jeunes, comme en 1988, où il y avait eu plus de 500 morts ?
En 2014 déjà, pour faire passer la pilule du 4ème mandat, le pouvoir avait, outre la fraude électorale, grassement payé ses relais : logements gratuits, on offrait aussi aux jeunes chômeurs une prime de création d'entreprise de 30.000 euros, sans aucun contrôle. Mais à l'époque, les fonds de réserve de change, issus du pétrole - plus de 200 milliards - autorisaient ces largesses. Aujourd'hui, elles ont fondu : 85 milliards. Ce pays n'existe que par ses exportations de pétrole et de gaz. Ses dirigeants ont été incapables de créer une économie sociale de marché, alors que ce pays bouillonne d'envies.
Quelques entreprises privées créent des emplois et personne ne les aide à exporter. La production agricole ne suit pas l'explosion démographique. 800.000 naissances par an. Il y a 40 millions d'Algériens, ils étaient 9 millions au moment de l'indépendance. Dans ce pays, il faut tout rebâtir. Mais avec qui ?
Ce mouvement pourrait-il bénéficier aux Islamistes.
Ce ne sont pas eux qui sont derrière. Pourraient-ils le récupérer ? Ils n'ont pas de leader. Le traumatisme de la guerre civile et ses 200.000 morts au début des années 1990 a marqué au fer rouge toutes les familles. En organisant La Concorde, Bouteflika interdisait par la loi aux victimes de dénoncer leurs assassins et de réclamer réparation. Les Islamistes, on leur a donné du boulot, dans l'enseignement. Ce qui fait des ravages. Ce qu'ils ont perdu par les armes, ils l'ont gagné dans les cerveaux. On lit le Coran tous les jours à l'école primaire. Bouteflika a fait construire à Alger, par les Chinois, la plus grande mosquée du monde arable après l'Arabie Saoudite. Coût : 4 milliards de dollars, l'équivalent de plusieurs hôpitaux modernes et de logements qui manquent tant à la population.
Et la France, dans tout ça ? Il y a un lien particulier entre nos deux pays.
"Ni ingérence, ni indifférence", dit-on au Quai d'Orsay. Bien sûr, le dossier est une priorité absolue pour l'Elysée. On marche sur des œufs, car ne rien dire est-ce soutenir en douce le régime, ou une prise de position est-elle une ingérence de l'ex-colonisateur ? Quand Benjamin Griveaux dit : "C'est au peuple algérien, et à lui seul, qu'il convient de choisir", le pouvoir peut comprendre que Paris soutient la rue. Surtout, ne pas jeter de l'huile sur le feu à un moment où le mouvement n'en est qu'à ces débuts. Sauf retournement : si Bouteflika renonçait. Mais là, on rêve.
Europe 1
"Au Cœur du Crime" vous propose de (re)découvrir en podcast l'émission culte d’Europe1 "Crime Story" incarnée en 1988 par Serge Sauvion, acteur qui a notamment doublé le comédien Peter Falk.. Inspiré des plus grands romans policiers anglo-saxons, dans lesquelles les disparitions mystérieuses et les meurtres de sang-froid sont monnaie courante, ce podcast est un polar audio qui vous met au défi de résoudre de véritables énigmes policières. Chaque mardi et chaque vendredi écoutez un nouvel épisode intense et immersif."Au Cœur du Crime" est disponible sur le site et l’application Europe 1 ainsi que sur toutes les plateformes d’écoute.
Julien Pichené
"Au Coeur de l'Actu", c'est le podcast de la rédaction d'Europe 1 qui vous éclaire sur les sujets qui font l'actualité. Découvrez nos formats courts "10 minutes pour tout savoir" et nos séries documentaires, enrichis avec les archives de la radio.
Olivier Delacroix
Au cœur de la nuit, les auditeurs se livrent en toute liberté aux oreilles attentives et bienveillantes d'Olivier Delacroix, du lundi au jeudi, et de Valérie Darmon, du vendredi au dimanche. Pas de jugements ni de tabous, une conversation franche mais aussi des réponses aux questions que les auditeurs se posent. Un moment d'échange et de partage propice à la confidence pour repartir le cœur plus léger. Si vous aussi vous souhaitez témoigner, laissez vos coordonnées en appelant Europe 1 au : 01 80 20 39 21 (numéro non surtaxé).
Maël Hassani
Tous les soirs, Maël Hassani vous livre le concentré de l'actualité du jour, tout en gardant un œil sur les événements à venir avec les Unes de la presse du lendemain.
Ombline Roche
Tous les soirs du lundi au vendredi entre 22h15 et 22h30 Ombline Roche vous plonge dans les musiques des années Top 50 sur Europe 1. Et si vous en voulez plus, rendez-vous les samedis et dimanches entre 21h et 22h !
Dimitri Pavlenko
Deux heures de direct à l'écoute de celles et ceux qui font le monde : le raconter, le décrypter et l'analyser pour donner des clés de lecture et de compréhension aux auditeurs.
Europe 1
Qui sont réellement ces icônes qui ont marqué la France et leur époque ?Ce nouveau podcast d'archives vous transporte dans le passé et retrace pour vous les parcours et épreuves hors du commun de ces artistes et grandes personnalités françaises. Comment sont nées ces légendes aux destins extraordinaires ? Des récits uniques, racontés par les grandes voix d'Europe 1 !
Pierre de Vilno
Le tour complet de l'actualité en compagnie de Pierre de Vilno et de la rédaction d'Europe 1 de 19 heures à 21 heures.
Hervé Mathoux
Chaque parcours de vie est constitué de réussites mais aussi… d’échecs. Bien souvent, ceux-ci nous renforcent et nous apprennent autant, si ce n’est plus que les succès. Dans cette nouvelle série d’entretiens, le journaliste Hervé Mathoux évoque avec son invité ses plus beaux "accidents". Première personnalité à se plier à l’exercice : l’acteur Denis Podalydès, sociétaire de la comédie française.
Céline Géraud
Tous les jours de la semaine pendant les fêtes, Céline Géraud fait un point de l'actualité à la mi-journée avec Europe 1 13h. Au programme : des reportages, des invités et la parole des experts et journalistes de la rédaction en studio pour apporter un éclairage supplémentaire.