Jeudi, François Hollande a annoncé qu'il ne serait pas candidat à sa propre succession à l'Elysée. Une première dans l'histoire de la Vème République.
WB : Jeudi soir, la voix assourdie par l'émotion, François Hollande a décidé de jeter l'éponge : "J'ai décidé de ne pas être candidat à l'élection présidentielle." 82% des Français ont aussitôt approuvé sa décision. Comment en est-on arrivé là ?
CN : Dans l'histoire de la Vème République, il n'y a pas d'exemple d'un tel renoncement à se représenter. "Il n'y a pire humiliation que de perdre une élection", estimait François Hollande dans le livre qui lui a sans doute été fatal. Mais il y a celle aussi de ne même pas être en capacité de se représenter. En réalité, le président n'avait le choix qu'entre deux mauvaises décisions : soit il concourait à la primaire de la gauche, comme il s'y était engagé. Mais il risquait d'être battu par Arnaud Montebourg, qui en salivait par avance. Cette humiliation, qui n'était pas à exclure, l'aurait privé de légitimité pour terminer son mandat.
Ou alors, passer outre, se présenter directement. Ses amis y songeaient. Mais les sondages lui promettaient une défaite cinglante. Le trou de souris qu'il espérait était devenu large comme un chas d'aiguille. Alors, il ne lui restait qu'à renoncer, avec le risque de finir son mandat dans une large indifférence puisqu'il sera hors-jeu pour la campagne présidentielle. C'est un destin politique assez tragique.
WB : Et pourtant, il y a encore peu de temps, on était sûr qu'il irait...
CN : "Je suis prêt", avait-il lancé à l'Obs la semaine où est sorti le fameux livre qui a tant ulcéré les siens, à commencer par Manuel Valls qui, devant les journalistes, parlait d'amateurisme, de légèreté, se disait heurté. Quelque chose s'est cassé. Le Premier ministre ne se cachait plus pour dire que le président s'était déconsidéré. En clair, qu'il ne devait pas se représenter. Et lui se tenait prêt. Et ça aussi, dans l'histoire de la Vème, ça ne s'est jamais vu ! Un Premier ministre qui guide le président vers la sortie.
Et des ministres, parmi les plus proches du président, qui clament tout haut que s'il ne se représentait pas -en réalité, leur souhait- Manuel Valls serait le meilleur candidat !
WB : Décidément, tout est singulier dans le parcours de François Hollande !
CN : Oui, parce qu'en réalité, la greffe n'a jamais pris avec le pays. Faut-il croire aux symboles ? Le jour de son entrée en fonction, il remonte les Champs-Elysées en voiture ouverte. Il est rincé par la pluie. Le soir, la foudre s'abat sur l'avion qui le conduit à Berlin pour visiter la Chancelière.
"Moi, je n'ai pas eu d'état de grâce. J'ai eu un état de glace", a dit François Hollande à nos confrères Antonin André et Karim Rissouli. Et c'est vrai : pour les Français, François Hollande n'a jamais fait président. Question de style. Le président normal, notion qui l'a peut-être fait élire, l'a tué une fois élu. Tout était bizarre : sa photo officielle, avec lui, au fond du jardin de l'Elysée, dans l'ombre, comme sorti du cadre. Un président qui se faisait photographier par Le Point, faisant ses courses dans le 15ème, où il vivait avec Valérie Trierweiler, comme un quidam, sac plastique à la main, faisant la queue chez le boucher.
Le mois d'août avait été meurtrier. Habitués au tempo sarkozien, les Français étaient désorientés par son silence. Il se montrait à Brégançon au milieu des baigneurs, dans un look relâché, trop low-cost.
Résultat : il dégringolait de 11 points. Et la vérité, c'est qu'il n'est jamais remonté. Il y avait eu le tweet de Valérie Trierweiler pour soutenir Olivier Falorni, le rival de Ségolène Royal à La Rochelle, lors des législatives de juin, qui montrait un homme débordé par sa situation privée, un manque d'autorité. Il n'était pas un mâle dominant.
Ajoutons ce sondage SOFRES de juin, où une nette majorité de Français estimaient qu'il ne réduirait pas le chômage, mais en revanche, augmenterait les impôts.
WB : A peine élu, et déjà déchu ?
CN : Oui, en raison d'une impression d'improvisation. Que François Hollande, spectateur, tardait à agir et réagir. Mais surtout, il y a eu ce problème d'incarnation, son incapacité à expliquer, à faire la pédagogie de son action. Au lieu de parler aux journalistes, il aurait dû en faire le récit devant les Français, pour donner du sens, pour rassurer, pour donner enfin une impression d'autorité. On attendait de lui quelque chose qui n'est jamais venu. Mais lui, convaincu que les choses finissent toujours par s'arranger, croyait que la croissance allait repartir, la courbe du chômage s'inverser et les sondages, ne cristallisant pas une détestation de sa personne, son impopularité était de conjoncture, donc réversible. Un optimisme trompeur. "Le commencement est toujours la moitié d'un tout", disait Aristote.
La vérité est qu'au-delà du bilan de son quinquennat, François Hollande n'a jamais su créer les conditions pour se représenter.