Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
Faut-il avoir peur de l’aspartame ? Hier, à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le cancer, l'entreprise Yuka, associée aux associations Foodwatch et Ligue contre le cancer, ont lancé une pétition pour obtenir l’interdiction de cet édulcorant en Europe, parce qu’il favoriserait le cancer.
Et ça a pris, comme prennent toutes les campagnes fondées sur la peur alimentaire. Un vent de panique a emporté, dans les médias, tout esprit critique, tout réflexe de vérification des faits. Le communiqué de presse tapageur a été repris, sans discernement. Il faut dire qu’il y va fort : “L'aspartame est associé à un grand nombre de pathologies, notamment des risques de cancer plus élevés, des maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2”. Problème... Ce n’est pas du tout ce que démontrent les connaissances scientifiques dont on dispose.
Sur quoi repose cette alerte ?
Sur rien de neuf ou de sérieux. Une étude de l’Inserm de 2022, dont les limites ont été démontrées et qui ne révèle rien d’inquiétant selon les spécialistes de la société française de cancérologie... Elle est montée en épingle.
Qu’est-ce qu’on sait réellement des risques associés à l’aspartame ?
Les informations sont vérifiables, elles sont en ligne sur le site de l’organisation mondiale de la santé, qui fait régulièrement des revues complètes de l’état des connaissances ( dont l’étude de l’inserm) sans que jamais rien n’étaye les alertes. Pour le Centre international de recherche sur le cancer de l’OMS, l’aspartame est “ peut-être cancérigène”, mais l’OMS dit clairement (et c’est important) que l’édulcorant ne cause pas de préoccupation majeure aux doses où il est consommé.
Qu’est-ce que ça veut dire ? Que le “ peut-être” risque de cancer se manifesterait dans le cas où on dépasserait des doses journalières fixée par l’OMS. En deça de ces doses, elle n’identifie aucun risque pour la santé. Cette dose admissible d’aspartame est de 40 mg par kg de poids par jour et par personne.
C’est le matin, on n’a pas forcément la calculatrice à la main. Vous pouvez traduire?
Concrètement, pour l’OMS, un adulte de 60 kg peut s’enfiler, tous les jours de sa vie, 2,4 g d'aspartame sans courir le moindre risque pour sa santé. Ça veut dire 13 canettes de soda light par jour. 7 canettes pour un enfant de 30 kg. A cette dose, en revanche, vous risquez une bonne courante, parce que l’aspartame est laxatif. Et vous avez sans doute d’autres beaucoup problèmes dans la manière dont vous vous nourrissez, ce qui est sans doute ce qui vous fait courir de vrais risques. Bien plus que l’aspartame.
Morale de cette histoire ?
Un barouf pas possible, sans doute pas désintéressé en termes de marketing pour l’entreprise Yuka et pour Foodwatch, qui aboutit à de la désinformation et à la création de peurs irrationnelles. Mais en fait, c’est pire. Brandir la menace fantôme de l’aspartame distrait des vrais problèmes. La surconsommation de sucre et l’alimentation déséquilibrée causent, elles, de réelles pathologies du métabolisme, des maladies cardiovasculaires, du diabète. Le succédané d’information qui nous a été servi brouille les messages de santé publique réellement utiles.