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Comment lutter contre les déserts médicaux ? Une proposition de loi de la majorité est examinée depuis hier à l'Assemblée nationale. Un amendement soutenu par des parlementaires de tous bords attire l’attention, il sera discuté ce mardi. Il voudrait la création d’un « dispositif de régulation » de l'installation des généralistes et spécialistes « selon les besoins de santé du territoire ».
En clair, en finir avec la liberté d’installation des médecins libéraux. Ils ne pourraient ouvrir un cabinet que dans les zones en pénurie de soignants. Pour s'installer dans une zone déjà bien pourvue, ils devraient obtenir une autorisation de l'ARS, qui l'accorderait si un autre professionnel quitte le territoire.
Cela se justifie-t-il d’en finir avec la liberté d’installation ?
La régulation de la démographie médicale est un sujet épineux qui n’a jamais dépassé le stade du débat, faute de consensus.
Mais tout a changé, le covid a montré les faiblesses de notre système de santé, trop centré sur l’hôpital public qui craque. Les déserts médicaux progressent : un Français sur dix, plus de six millions de personnes n’a pas de généraliste à proximité de chez lui, alors que la population vieillit. En 10 ans, le nombre de généralistes baissé de 3%. Ils sont 53 000 en exercice, un sur quatre est en âge de partir à la retraite. Et le numérus clausus des années 1990 ajoute de la tension. Pour deux médecins sur le départ, un seul peut prendre le relai.
Le gouvernement compte pourtant bien s'opposer à l’amendement.
En touchant à la liberté d’installation, on touche au tabou ultime, à un des fondements de la médecine libérale, la liberté, comme son nom l’indique. Les syndicats de praticiens libéraux appellent, si c’est le cas, à une grève massive ou à la désobéissance tarifaire. Le ministre de la Santé François Braun, déjà en froid avec les syndicats professionnels, n’a qu’une peur : que l’amendement passe, ce qui n’est pas exclu.
Mais il n’y a en fait pas de solution pérenne pour repeupler les déserts médicaux...
Tout ce qui a été tenté depuis 10 ans, toute la panoplie des outils incitatifs n’a pas marché. Subventions, primes financières, dispositifs géographiques multiples contrats jeunes divers et variés pour accompagner les jeunes médecins. Un maquis inextricable, dans lequel personne ne se retrouve. Le Gouvernement propose bien un "Contrats d'engagement de service public" prévoyant une allocation mensuelle contre une implication dans un désert médical. Un dispositif de plus. Qui aura peut-être les inconvénients des précédents : créer des effets d’aubaine, sans régler durablement la pénurie
Pourquoi François Braun ne se résout-il pas au bâton, puisque les carottes ne fonctionnent pas ?
Parce que rien ne dit que ce serait mieux. Aucune politique coercitive n’a montré de son efficacité dans les pays voisins. Et pire, il y a des effets pervers : des médecins qui se détournent de la pratique généraliste pour préférer des spécialités, des médecins qui fuient vers les cliniques, d’autres qui se déconventionnent pour ne rendre de comptes à personne, ce qui aggraverait le déficit.
Constat mathématique et terrible : Il nous faudrait deux fois plus de médecins, mais nous ne les avons pas, parce que nous ne les avons pas formés. Tant qu’on n’aura pas réglé ça, on en sera réduit à déshabiller de force un Pierre à moitié nu pour habiller Paul complètement à poil de blouses blanches trop petites pour lui.