Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
La mairie de Paris a inauguré vendredi dernier dans le XVIII arrondissement de la capitale le plus grand projet d’agriculture urbaine qu’elle ait jamais sponsorisé, un peu plus d’un hectare. Avec un mot d’ordre : “ l’agriculture urbaine, ça marche”.
Le Parisien, le journal était sur place, et il cite les propos de la maire de Paris Anne Hidalgo, pelle à terreau en main : “ Quand on a commencé à en parler, il y a une dizaine d’années, on m’avait dit au Salon de l’agriculture : Ne nous faites pas un gadget. Les grandes villes sont souvent caricaturées mais il y a aussi beaucoup d’imagination.”
Et alors, ça marche cette agriculture urbaine parisienne ?
A condition d’avoir de l’imagination ! Il y a à Paris 220 sites d’agriculture, un empire agricole de 37 ha. Péniblement la moitié de la surface d’une ferme française moyenne.
Et alors ? Qu’est- ce qu’on produit à Paris ?
Ah ! la production ! La mairie de ne sent plus de joie. Elle est en augmentation de 90% par rapport à 2020. Elle culmine désormais annuellement à 170 tonnes de fruits, légumes, de plantes aromatiques, dont une centaine de tonne de champignons.
ET c’est là qu’il faut sortir un outil essentiel de notre kit de survie face à la pensée magique en politique : notre échelle de mesure des ordres de grandeur (je la déplie) : Il y a un peu plus de 2 millions d’habitants à Paris, 170 tonnes de fruits et légumes... ça nous fait 78 grammes de nourriture par habitant et par an. Marie-Antoinette faisait sans doute mieux au Petit-Trianon, quand elle jouait à la bergère.
Sauf que là on ne joue pas.
Ah si, on joue, avec de l’argent public. Difficile de savoir combien coûte ce jardinage pour bobos. Dans le budget 2024 de la mairie de Paris, il y avait une enveloppe de 15 millions d’euros consacrée à l’économie durable, sociale et solidaire, et à l’ agriculture urbaine.
Secteur qui génère aujourd’hui 300 emplois directs à Paris, pour je le rappelle, 37 hectares. Et je ressors ma petite échelle à ordre de grandeurs. 170 tonnes de végétaux produits, rapporté à ces 300 salariés, c'est 2.6 kg d’alimentation par jour travaillé. Ces personnes produisent tout juste de quoi se nourrir elles-mêmes. Si l'on raisonne en valeur, leur productivité est 30 fois inférieure à celle d’un salarié lambda en France.
Soyez honnête ! La mairie explique que ce sont aussi des lieux de pédagogie, ces “ fermes urbaines”.
Aussi modestement appelés “ tiers lieu nourriciers”. Ils doivent reconnecter les urbain à la nature, lui permettre de comprendre les beautés et les rudesses de la production agricole en plongeant leurs mains dans une balconnière à tomates cerises. Tout ça ne serait pas grave si nous avions encore des caisses débordantes d’argent public. Tout ça ne serait pas grave si une partie de nos concitoyens ne peinait pas à se nourrir au quotidien. Tout cela ne serait pas grave non plus si ça ne s’accompagnait pas invariablement de commentaires moralisateurs et dénigrants envers le reste de l’agriculture française, celle qui ne se contente pas de produire 1.5 kg de nourriture par jour et par agriculteur. Bah oui, elle est productiviste. Mais tant qu’aucun d’entre nous ne vivra d’un demi-radis et d’un bol de tisane par jour, on ne pourra pas prendre les fermes urbaines de Paris et leur “ pédagogie” au sérieux.