Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
Du 9 au 13 juin a lieu à Nice le sommet de l’Onu sur les océans. A cette occasion, vous nous parlez de la filière pêche française, en plein doute et en plein paradoxe
Le paradoxe, c’est que la France a le 2e domaine maritime au monde. Mais qu’en dépit de cela elle reste un petit pays pour la pêche. Il y a en France métropolitaine 9300 marins pêcheurs seulement. Un pays ultra dépendant : nous importons 90% des produits de la mer que nous consommons, c’est notre plus gros poste de déficit alimentaire derrière le café, ça nous coûte 4 milliards par an.
Comment se fait –il que nous soyons à ce point dépendants ?
D’abord, ça vient de ce que nous mangeons. Les trois quarts des produits de la mer cuisinés en France sont soit du saumon, soit des crevettes, soit du cabillaud. Et ça, on n’en pêche pas chez nous. Nos habitudes alimentaires ne sont pas tournées vers des pêches locales, ou vers des productions locales, ce qui explique aussi que l’aquaculture ne se soit jamais développée vraiment en France.
Et notre flotte, comment va-t-elle ?
Pas terrible. Il reste en France métropolitaine 4200 bateaux de pêche, moitié moins qu’en 1990. Ils sont petits, 86% font moins de 12 mètres et vieux : ils ont 31 ans de moyenne d’âge. Et il est en l’état impossible de la moderniser – et donc aussi de la décarboner. Ca, ça vient de Bruxelles. Il existe en Europe une politique commune des pêches. Elle fixe strictement des quotas de pêches par espèce, selon leur démographie. C’est très bien : ca a permis d’éviter l’épuisement des ressources. Le thon, par exemple, est redevenu abondant en Méditerranée, alors qu’il avait quasiment disparu. Mais le corolaire, ce sont des règles qui limitent la flotte drastiquement. Si on achète un bateau, un autre doit sortir de l’eau. Et la plupart des pêcheurs n’en ont pas les moyens. La flotte est donc peu adaptée. Un exemple, faute de bateau en nombre suffisant, on ne pêche que la moitié des quotas de lottes autorisés à la France
La pêche française fait en outre l’objet de nombreuses pressions.
Oui, des ONG, qui voudraient des interdictions larges du chalutage, qui représente 60% des captures, sans prendre en compte le fait que les nouvelles techniques ne ravagent plus les fonds marins. Il y a aussi une querelle sur les aires marines protégées, dans lesquelles elles voudraient une interdiction totale de pêche... Ce qui est absurde, parce que certaines zones sont protégées pour les populations d’oiseau, pas pour les fonds marins et que de toutes façons, on n’y fait pas n’importe quoi. Si on fait ça en France, on se prive d’une de nos ressources les plus abondantes, les coquilles saint-Jacques. A l’occasion de ce sommet des océans, il y a des inquiétudes. Les pêcheurs sont favorables à la protection de l’environnement à la gestion durable des espèces. Ils savent que l’avenir en dépend. Ils aimeraient qu’on fasse confiance à leur savoir faire.
Et ils alertent, plus de pêche en France ou en Europe, ce serait dramatique
Oui : et c’est toujours la même histoire. Ce qu’on ne fait pas ici, on l’importe. Et quand une grande part des océans est massacrée par la pêche illégale et sans retenue, par des bateaux usines qui labourent les fonds, il serait stupide de couler la petite pêche responsable et locale.