Tous les matins après le journal de 8h30, Emmanuelle Ducros dévoile aux auditeurs son «Voyage en absurdie», du lundi au jeudi.
Faut-il laisser les agriculteurs européens payer l'effort de guerre ukrainien ? La Commission euroéenne semble comprendre qu'ils soient arrivés au bout de leur patience. Elle devrait renégocier d'ici au mois de juin l'accord qui permet la libre entrée des produits agricoles ukrainiens dans l'Union.
Pour que les auditeurs d'Europe 1 comprennent bien de quoi on parle quand on dit que les agriculteurs européens ont soutenu l'effort de guerre ukrainien, un petit retour en arrière. En juin 2022, quelques mois après l'invasion russe, l'Ukraine s'était retrouvée dans une situation intenable. Ses ports sur la mer Noire étaient minés, elle ne pouvait plus commercialiser sa première richesse, ses productions agricoles. L'Europe lui offert une échappatoire, en ouvrant ses frontières aux céréales, aux poulets et aux oeufs ukrainiens, sans droit de douane et sans limite de tonnages. Une façon de faire tourner l'économie ukrainienne et donc de financer l’effort de guerre, par l’agriculture.
Dans un premier temps, tout le monde avait compris et accepté
Oui, y compris les agriculteurs européens : dans le choc de la guerre, il y avait un réel élan de solidarité sincère envers l'Ukraine et ses agriculteurs. Les agriculteurs européens avaient accepté que leurs productions soient en concurrence avec des produits ukrainiens qui coûtent 30 % de moins à produire, parce que les contraintes et les standards ne sont pas les mêmes. Avec l'idée que c'était temporaire.
Mais cette union sacrée agricole s'était vite détricotée
Oui. Dès 2023 : les Polonais, les Roumains, ne pouvaient plus vendre leur blé, trop cher face au blé ukrainien, ont commencé à manifester. Et puis très vite, on s'est rendu compte que les tonnages qui arrivaient étaient énormes. En 2021, avant guerre, on importait en moyenne d'Ukraine 500 000 tonnes de blé par an, taxé. En 2023, 5 millions de tonnes sans droits de douane. Pour l'orge, des volumes multipliés par 10, sans taxes. En 2024, les producteurs d'oeufs et de poulet avaient crié grâce, et ils avaient obtenu des limitations de volumes... Mais on importe quand même deux fois plus de poulets ukrainiens qu'avant, sans droits de douane. Et ça a destabilisé tous les marchés européens, d'autant que les cours du blé se sont effondrés - de moitié depuis 2022, et que les récoltes ici ont été très mauvaises. C'est devenu intenable, pour les agriculteurs européens, cette fois.
Et donc les agriculteurs disent stop ?
L'Europe a compris qu'elle a poussé leur effort au maximum et qu'elle est en train de nuire à sa propre force agricole. Elle a donné 3.5 milliards d'euros de plus a l'Ukraine il y a un mois. La contrepartie, c'est une renégociation de l’accord agricole qui s’achève en juin, de façon bien moins avantageuse pour l'Ukraine. D'autant que les ports de la mer noire fonctionnent et que l'argument initial ne tient plus.
Les agriculteurs vont souffler ?
Pas si sûr. Les quotas qui vont s'appliquer vont rester élevés. La concurrence ukrainienne a mis son pied dans la porte, elle s'est installée. Et puis figurez vous que comme on n’en est pas à un paradoxe près, en Europe, il va y avoir des réticences à l'instauration de quotas. De la part de l'Espagne, par exemple, qui achète à elle seule 20% des céréales ukrainiennes à bas coût pour ses élevages de porcs. Ou des Pays-Bas, qui transforment des oléoprotéagineux et des poulets ukrainiens à tour de bras pour les revendre. Ca a fait baisser leurs couts et ils en font leur beurre. Ils n’ont plus très envie de revenir en arrière.