L’enquête sur le #meurtre d’une mère et de sa fille, Valérie et Harmony Trouillet, en septembre 2006, à Berck-sur-Mer dans le Pas-de-Calais.
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Dans les récits d’histoires criminelles, on cherche souvent à obtenir une explication. Cette affaire n’en a pas. Ce qui ne veut pas dire qu’il s’agit d’une histoire dénuée d’intérêt, loin de là. Il s'agit de l'enquête sur le meurtre d'une mère et sa fille : Valérie et Harmony Trouillet, en septembre 2006 à Berck-sur-Mer, dans le Pas-de-Calais.
Une autopsie qui révèle un massacre
Dans la nuit du 19 au 20 septembre 2006, à 1h15 du matin, les pompiers de Berck-sur-Mer dans le Pas-de-Calais reçoivent un appel angoissé, faisant état d’un incendie dans un appartement. Les pompiers se rendent sur place, enfilent leur masque, ouvrent la porte et une épaisse fumée leur saute au visage. Ils avancent à la lampe torche car l’électricité ne fonctionne pas. Ils sont à la recherche des deux occupantes de la maison, une mère et sa fille selon les informations qu’ils ont pu rassembler.
L’un des pompiers se rend dans la cuisine enfumée et au bout du halo de sa lampe, voit le corps d’une femme inanimée, en partie dénudée. « Delta Charlie Delta », indique-t-il à ses collègues. C’est le nom de code pour un décès. Depuis l’une des chambres, un autre pompier indique avoir trouvé la fille. Décédée, elle aussi. Les pompiers sont suspicieux. L’adolescente est allongée face contre terre, quasi nue, elle présente des traces de coups sur le visage et la tête. Suspectant un meurtre, en plus d’un incendie volontaire, ils appellent la police.
Les policiers du commissariat de Berck arrivent quelques minutes plus tard et sur leurs traces, les membres de la police judiciaire de Lille. On connaît le nom des deux femmes : Valérie Trouillet, 39 ans, et sa fille Harmony Trouillet, 17 ans. Elles ont été sévèrement blessées. La mère, notamment, présente d’affreuses plaies sur le visage.
A l’issue de l’autopsie, le légiste rend un rapport alarmant, qui confirme que la fille et la mère ont été massacrées. Il relève sept plaies profondes sur le visage de la mère et dix plaies sur le visage et le crâne de l’adolescente. Les coups ont été d’une grande violence. Selon le légiste, l’arme utilisée pourrait être un marteau de couvreur, utilisé à la fois pour taper et arracher des clous.
Des ecchymoses au niveau des cuisses indiquent, sinon un viol, au minimum une agression sexuelle, sur l’une et l’autre. D’autres contusions au niveau des mains et des bras suggèrent qu’elles se sont défendues comme elles ont pu. Les deux femmes ne sont malheureusement pas mortes sur le coup, elles se sont lentement vidées de leur sang, dans une longue agonie.
Une mère et une fille fusionnelles
La PJ de Lille passe l’appartement au peigne fin et relève ses premiers indices. Dans le salon, il y a trois verres de soda à moitié pleins, et un cendrier avec des mégots, ce qui veut dire de l’ADN. Ils trouvent également un gâteau entamé avec le couteau qui a servi à le découper, ainsi qu’une bouteille de white spirit qui a servi à faciliter le départ du feu. L’hypothèse est simple : les deux victimes et leur tueur se connaissaient. Elle est confirmée par l’absence d’effraction sur la porte d’entrée, indiquant que la mère ou la fille a forcément ouvert. L’enquête commence donc par l’entourage : qui leur en voulait au point de les tuer à coups de marteau ? Dans une petite ville comme Berck-sur-Mer, où tout le monde se connaît, cela ne devrait pas être trop difficile…
Mais qui étaient Valérie et sa fille Harmony ? Et qui est le père d’Harmony ? L’enquête résout vite cette zone d’ombre. Valérie a eu le coup de foudre quand elle avait 20 ans et l’a quitté lorsqu’elle est tombée enceinte, ne supportant plus l’omniprésence de ses beaux-parents. Plutôt indépendante, Valérie a quitté l’Oise pour venir s’installer à Berck-sur-Mer, où se trouvaient sa mère et son frère. Elle avait dans l’idée d’élever seule sa fille.
La police comprend vite que Valérie s’est rapidement laissée déborder par son statut de mère célibataire. Secrétaire médicale, elle est tombée dans la dépression, puis dans l’alcool et les antidépresseurs. Sa souffrance était connue de tout le voisinage. Mais une telle dépression n’explique pas pourquoi on l’aurait tuée.
Harmony de son côté, a surmonté la dépression de sa mère, qui l’aimait malgré tout, en appréciant les moments de liberté que pouvaient offrir l’école. La mère et la fille étaient toutefois très fusionnelles, au point que c’est finalement Harmony qui s’est mise à s’occuper de sa mère.
L'ex petit-ami, premier suspect
En 2006, Harmony était en bac pro de secrétariat au lycée Saint-Joseph. Avant ça, elle avait décroché un BEP carrières sanitaires et sociales. Son but était peut-être de travailler avec les enfants.
Elle avait aussi un petit ami, dont elle était tombée amoureuse à 13 ans. Lorsque le jeune homme a été viré de chez ses parents, il est venu vivre avec Harmony, chez Valérie. Comme un vrai petit couple… Mais six mois avant le meurtre, Harmony avait fini par découvrir que son petit ami la trompait. Les deux femmes l’avaient alors viré de la maison.
Si la dépression de Valérie n’est pas un motif pour un meurtre, l’ex petit-ami d’Harmony est une piste beaucoup plus intéressante. D’autant que les voisins racontent que quelques temps plus tôt, il était venu tambouriner à la porte et que Harmony avait refusé de lui ouvrir. Ce garçon est la seule piste valable, en l’état…
Le juge d’instruction ordonne qu’il soit placé en garde à vue et que l’endroit où il loge soit perquisitionné. Là-bas, on trouve trois paires de chaussures avec des taches de sang, qui sont envoyées au laboratoire.
Lors de sa garde à vue, le jeune homme affirme qu’il regardait un match de foot avec des copains. Les amis confirment qu’ils ont passé la soirée avec lui, à regarder du football et à boire des bières. Les données du laboratoire reviennent : le sang sur les chaussures n’est pas celui de Valérie ou de Harmony. Retour à la case départ…
Enfin… pas tout à fait. Car pour se défendre, l’ancien petit ami de Harmony a balancé un nom : Stéphane. C’est Stéphane qui aurait fait le coup, il l’a vu plusieurs fois chez Harmony. Les policiers donnent le nom au frère de Valérie mais ce dernier n’a aucune idée de l’identité de l’homme. Il promet de se renseigner et de rappeler la police s’il trouve quelque chose.
L'étau se resserre sur Stéphane Gros
Il tient sa promesse. Il a trouvé des gens qui connaissent ce fameux Stéphane, mais ces derniers sont dubitatifs : c’est un homme épais comme une brindille, très gentil, pas le genre à tuer violemment deux femmes.
Les policiers passent le nom au fichier : aucune condamnation, aucune casserole. Stéphane Gros a trente ans, vit en concubinage depuis deux ans avec une certaine Nicole, avec laquelle il a une petite fille de seize mois et il a deux enfants de sa précédente union. Il est intérimaire dans une entreprise de menuiserie et bénévole dans une association qui emmène des enfants handicapés en excursion. C’est peu dire qu’il n’a pas le profil…
Valérie Trouillet et Stéphane fréquentaient le même bar PMU, où ils se seraient rencontrés et auraient sympathisé. Harmony faisait de temps en temps du baby-sitting pour lui rendre service. Stéphane Gros connaissait donc Valérie et Harmony mais cela en fait-il un suspect pour autant ? Son profil n’est pas vraiment celui du meurtrier…
Pourtant, les tests ADN qui reviennent du laboratoire sont sans appel. L’ADN retrouvé sur le verre, les mégots, la bouteille de White Spirit, mais surtout dans les échantillons vaginaux prélevés sur les deux femmes, c’est bien celui de Stéphane Gros. Un mois après le meurtre, il est placé en garde à vue.
Une main courante contre un homme violent
Il ne parvient à donner aucune réponse satisfaisante durant l’interrogatoire et au terme de la garde à vue, il est mis en examen pour meurtre, précédé de viols et accompagné d’actes de barbarie. Il se retrouve en prison mais reste à résoudre la question du mobile. Pourquoi les a-t-il tuées toutes les deux ?
Les policiers commencent par entendre sa compagne Nicole. Elle confirme la violence de Stéphane Gros, précise qu’elle a elle-même déposé une main courante contre lui trois mois plus tôt. Dans son signalement, elle ajoute que Stéphane Gros est alcoolique et qu’elle veut faire les démarches pour avoir la garde de son enfant.
Les coups n’ont pas cessé après la main courante mais, trop apeurée, Nicole n’a jamais déposé plainte. La police se met à la recherche des anciennes compagnes de Stéphane Gros. Il les a toutes battues, aucune n’a osé porter plainte. Les voisins le décrivent aussi comme un sale type, impulsif et violent. Bien loin de l’impression de gars gentil qu’il donnait auprès d’autres…
Stéphane Gros, pourtant, continue de nier son implication dans le meurtre de Valérie et Harmony. Pourquoi aurait-il fait ça ? Était-il l’amant de Valérie ? Couchait-il avec Harmony quand celle-ci venait faire du baby-sitting ? Rien ne le laisse penser. Mais Nicole, la compagne de Stéphane Gros, ouvre une nouvelle piste lorsqu’elle confie enfin qu’Harmony était l’une de ses confidentes les plus proches. En apprenant les violences dont elle était victime, l’adolescente lui aurait conseillé de porter plainte rapidement.
Le mobile est là beaucoup plus clair : en colère, Stéphane Gros aurait tué Valérie et Harmony car cette dernière aurait conseillé à sa femme de le quitter. Cela explique pourtant très mal la violence des coups portés. Même si l’homme avait eu un compte à régler avec Harmony, cela paraît fou d’user d’une telle violence avec la fille ET la mère.
Un deuxième ADN
La police judiciaire de Lille découvre aussi qu’Harmony faisait un peu plus que la baby-sitter occasionnelle chez Stéphane Gros et sa compagne. Elle s’était apparemment attachée à l’enfant et passait souvent chez le couple. Il n’est pas impossible qu’elle ait assisté à des scènes qu’elle n’aurait pas dû voir. Mais là encore, la violence du meurtre ne s’explique pas, à moins que Stéphane Gros ne soit également quelque peu psychopathe.
L’intéressé lui, continue de nier, affirme qu’il est un homme gentil, qui ne ferait de mal à personne, qu’il ne bat pas sa femme. Les témoignages contre lui continuent pourtant de dire le contraire. Interrogée, une voisine affirme qu’un jour, elle est allée lui faire remarquer que son chien aboyait tout le temps, et qu’il a complètement perdu les pédales, s’est mis à l’insulter et lui a ensuite fait une clef de bras.
Stéphane Gros n’a toujours pas l’intention d’avouer et affirme qu’il est bien allé chez les Trouillet ce soir-là mais que quelqu’un d’autre a commis les meurtres, un dealer à qui Valérie devait de l’argent et qui l’a forcé à se rendre chez les deux femmes avec lui. Il ne connaît pas le nom de ce dealer…
Toutefois, cette histoire à dormir debout n’explique pas pourquoi on a retrouvé son sperme entre les cuisses des deux femmes. Se sentant acculé, Stéphane Gros décide d’embaucher un avocat de renom : Maître Gilbert Collard. Il ne faut pas longtemps à l’avocat pour trouver une faille dans le dossier : il n’y a pas un mais deux ADN sur le corps de la mère et de la fille. Le premier est bien celui de Stéphane Gros mais à qui appartient le deuxième ? Pourrait-il être à ce fameux dealer dont l’accusé parle ?
Le problème, c’est que s’il existe bien deux ADN différents, le deuxième ADN est un fragment altéré, inexploitable. On ne peut déterminer à qui il appartient.
Le procès de Stéphane Gros
Le procès de Stéphane Gros débute le 11 mai 2011 devant la Cour d’Assises du Pas-de-Calais. La famille de Valérie et Harmony Trouillet est là, sur le banc des parties civiles. Ils ont choisi une bonne avocate pour défendre leurs intérêts : maître Blandine Lejeune.
Gilbert Collard se sert de la présence du deuxième ADN non identifié pour défendre son client. Mais Blandine Lejeune a bien préparé son coup. Une contre-expertise génétique a en effet révélé qu’il n’y avait pas de deuxième ADN sur les parties génitales ou sous les ongles de la mère et de la fille. Le seul endroit où un deuxième ADN a été révélé, c’est sur la bouteille de White Spirit. Autrement dit, il pourrait appartenir à n’importe qui…
En face, Collard comprend qu’il n’a plus de carte dans son jeu et que nier l’évidence risque d’être bien pire pour son client. Dès la première interruption d’audience, il s’isole avec Stéphane Gros et lui explique la situation, l'enjoint à expliquer son geste pour s’attirer la compréhension des jurés. Contre toute attente, Stéphane Gros refuse obstinément, il continue de nier son implication.
La diffusion de la vidéo filmée juste après la découverte des corps, au début de l’enquête, enfonce le dernier clou dans le cercueil de Gros. Sur grand écran, on y voit les corps défigurés de Valérie et Harmony et l’émotion est intense dans la salle. Les images laissent Stéphane Gros de marbre, il continue de clamer son innocence.
La perpétuité est requise par Luc Frémiot, l’avocat général. Il ne l’obtient pas, mais c’est tout comme. Stéphane Gros est condamné à trente ans de réclusion criminelle assortie d’une peine de sûreté de 22 ans. Mais pour les familles, la victoire est en demi-teinte. Car au milieu de la débâcle, personne ne sait pourquoi Marie et Harmony Trouillet ont été massacrées…