Chaque samedi, Bernard Poirette vous fait découvrir ses coups de cœur en matière de polar.
C’est l’histoire d’un agenda perdu. Celui de Thierry, mari de Brigitte. Désolation. Car l’objet est ancien. Pas question de le remplacer par du neuf. Le magicien Internet permet au facteur de livrer l’identique, patiné par les années. Dans une poche intérieure, un carnet d’adresses oublié et quel carnet ! De A comme Aragon à S comme de Staël, en passant par Breton, Cocteau, Eluard ou Lacan. Un téléphone pour chacun, qui fleure bon la France d’après-guerre : Gobelins 9624, Kleber 9383, Odéon 1097…qui pouvait bien connaitre toutes ces célébrités ?
Après bien des péripéties, Brigitte doit admettre qu’elle a entre les mains le carnet d’adresses 1951 de Dora Maar, l’une des compagnes clé de Picasso, que le maitre a peint en 1937 comme "la femme qui pleure", avant de la quitter six ans plus tard. Et alors ? Et alors ce carnet est une mine extraordinaire d’enquête, évidemment ! Le résultat est magistral et passionnant. Un chapitre par nom, célèbre ou pas, pour découvrir la vie ébouriffante de Dora Maar, née Théodora Markovitch, gauchiste avant-guerre, collaboratrice passive sous l’occupation, bigote antisémite en fin de vie.
Et "chose" pour l’éternité de Pablo Picasso, génie absolu de la peinture et par ailleurs fort triste sire, entouré d’une cour bêlante qui ne valait pas mieux que lui sur le plan humain. Picasso dont le numéro bien sûr n’est pas dans le carnet mais qui est omniprésent, écrasant, omnipotent, dans ce formidable livre de Brigitte Benkémoun : "Je suis le carnet de Dora Maar", qui vient de paraitre chez Stock. Livre qui n’existe que parce que son mari Thierry a eu la bonne idée de perdre son agenda ! A quoi tient la littérature.