Chaque dimanche, Hervé Gattegno, directeur de la rédaction du "Journal du dimanche", livre son édito sur Europe 1.
Bonjour Hervé Gattegno. Ce matin, vous revenez sur l’amendement voté cette semaine au Sénat pour permettre aux élus des départements de revenir sur la limitation à 80 km/h. On a présenté cela comme une victoire des sénateurs contre le gouvernement. Est-ce que c’est votre avis ?
Non, moi je pense que c’est plutôt une défaite de la raison et le triomphe de la démagogie. Je n’arrive pas à comprendre par quel cheminement tortueux de la pensée on finit par trouver qu’il y a des endroits où il vaut mieux augmenter la vitesse autorisée que la baisser – puisqu’on sait depuis toujours que c’est la vitesse qui est la cause principale de la mortalité sur les routes. On le voit encore mieux en ce moment puisqu’après avoir beaucoup baissé l’an dernier, le nombre de morts sur les routes remonte malheureusement en flèche depuis le début de cette année. Les opposants aux 80 km/h y voient la preuve que la limitation ne sert à rien.
Pour les experts de la prévention routière, eux, c’est plutôt la conséquence des destructions de radars par les "gilets jaunes". Permettre aux automobilistes d’aller plus vite, c’est peut-être une bonne décision sur le plan électoraliste ; mais sûrement pas pour la sécurité.
Tout de même, on sait que cette affaire des 80 km/h a suscité beaucoup de reproches contre Edouard Philippe. Est-ce que cette décision-là n’a pas été prise d’une façon un peu technocratique, sans tenir compte des situations locales ?
Ça c’est incontestable – mais est-ce que ça en fait forcément une mauvaise décision ? La réalité, c’est qu’Edouard Philippe a pris cette mesure l’an dernier, après trois années consécutives de hausse dramatique du nombre de tués sur nos routes. Chaque année, il y a plus de 3.000 morts en France dans des accidents. On s’interroge souvent sur le rôle de l’Etat, sur le périmètre de la décision publique ; il me semble que c’est la moindre des choses qu’un gouvernement veuille protéger des vies – sans parler des blessés et des estropiés, dont la vie est gâchée et qui coûtent très cher à la collectivité. Alors les élus des départements ont râlé, ils ont trouvé qu’on empiétait sur leur pouvoir.
Mais si on a imposé les 80 km/h sur ces départementales "sans séparateur", qui sont les plus dangereuses, c’est bien parce que les élus ne l’avaient pas fait. Ce qui est choquant dans cette affaire, ce n’est pas l’immixtion de l’Etat ; c’est l’inaction des élus.
Il n’empêche que le sujet a été beaucoup évoqué dans le cadre du grand débat et Emmanuel Macron a dit que la masure devait être "évaluée". Vous ne croyez pas qu’il puisse revenir en arrière ?
Je ne fais pas de prédiction, on verra à la fin ce que les députés voteront. Sur ce sujet, Emmanuel Macron n’a pas toujours soutenu Edouard Philippe mais il a dit cette semaine qu’il s’est montré "courageux" en imposant les 80 km/h – donc ce ne serait pas courageux de renoncer. Maintenant, on peut se demander si les présidents de départements ne seraient pas plus embarrassés qu’autre chose si on leur redonnait le pouvoir d’annuler la limitation. Qui va prendre la responsabilité de relever la vitesse, au risque qu’il y ait un accident mortel ? Vous imaginez les conséquences pour l’élu qui aurait pris cette décision ?
Pour l’instant, je crois que les opposants sont bien contents de faire porter à Edouard Philippe le poids d’une décision impopulaire. Et je rappelle juste que sur un trajet de 20 km, rouler à 90 au lieu de 80, ça fait gagner deux minutes. Une controverse pareille pour si peu de temps gagné, ça fait beaucoup de temps perdu.