Ce lundi, Virginie Phulpin revient sur la performance controversée du Kényan Eliud Kipchoge qui a parcouru les 42 kilomètres d'un marathon en moins de deux heures.
C’est l’édito sport de Virginie Phulpin. Le héros du week-end sportif, c’est Eliud Kipchoge. Premier homme à courir un marathon en moins de 2h. Pour vous, cet exploit remet complètement en cause notre rapport à la performance sportive.
En 1 heure 59 minutes et 40 secondes on est entré dans un monde nouveau. Il y a quelques années, ça paraissait impossible de faire tomber cette barrière des 2 heures. Eliud Kipchoge l’a fait. C’est presque aussi mythique que de marcher sur la lune. Une nouvelle frontière. Et je suis sûre que dans 20 ans, vous, et moi, on se souviendra de ce qu’on faisait le matin du 12 octobre 2019.
On vit dans un monde où la patience n’a plus vraiment sa place, on ne supporte plus d’attendre, et ça donne encore plus de résonance à la performance d’Eliud Kipchoge. Il a transformé le marathon en sprint, et je trouve ça assez symptomatique de notre époque. Même si le but a toujours été de courir vite, hein !
Ça change aussi notre rapport à l’exploit sportif. Ce qu’on aimait, avant, c’était les surprises, la souffrance, et la délivrance. On n’a rien vu de tout ça à Vienne. C’était la chronique d’une performance annoncée, tout s’est déroulé exactement comme prévu. Eliud Kipchoge a fini en souriant. Et pourtant, on est tous restés scotchés devant son marathon supersonique. Ça change notre façon d’apprécier le sport. En profondeur je pense.
L’exploit est bien là, mais pas le record du monde, puisque ce record n’est pas homologué
Il ne peut pas être homologué parce que c’était une expérience trop scientifique. Vous avez vu les images comme moi. Des voitures techniques qui projettent des lasers verts sur la route, 40 lièvres, ces coureurs qui se relaient par groupe de 7 pour que Kipchoge garde le rythme, et les chaussures quasi volantes du champion. C’était de la mécanique de haute précision. Des choses qu’on ne peut pas voir dans un marathon "normal".
La course de fond, c’était le sport ascétique par excellence. Depuis samedi, c’est une expérience aussi sportive que technologique. Avec beaucoup d’argent autour. Ineos a dépensé 40 millions d’euros. Mais le groupe n’a pas créé Kipchogé. Merci pour lui, il était déjà recordman du monde avant. Non, on efface les images d’Epinal des coureurs de fonds kényans qui courent seuls sur leurs terres. Là le sportif et la recherche sont associés pour dépasser les limites de l’homme. C’est perturbant, au départ je me demandais ce que c’était que ce cirque, mais c’est peut-être comme ça qu’on va apprécier le sport maintenant. Un tournant.
1h59, c’est une performance qui modifie notre rapport au temps et à l’exploit. Je m’arrête, je fais tomber la barrière des deux minutes pour cet édito.