Pendant l'été, chaque week-end, Laure Dautriche vous raconte l'histoire d'un chef-d'oeuvre, qui a été créé pendant un été. En ce samedi 14 juillet, "La Marseillaise".
Dans la lumière de ce regorgeant après-midi de juillet 1830, c’est comme si la terre entière s’ouvrait à lui. Berlioz entend le grondement de la clameur populaire, les tambours et les coups de fusils. Paris se couvre de barricades. Partout, on efface les fleurs de lys. Le trône des Bourbons est en train de s'effondrer. C'est le moment de ce qu'on appellera : les Trois Glorieuses. Quarante-et-un ans après la prise de la Bastille, une deuxième révolution va faire tomber la couronne de Charles X.
Berlioz, lui, est enfermé à l’Institut de France, où il tente de décrocher le grand prix de Rome de composition qui doit lui ouvrir les portes de la gloire. Mais l’artiste romantique et rebelle qu’il est se sent frustré. Aurait-il raté la révolution ? Lorsqu'il obtient l'autorisation de quitter l'institut, les combats se sont arrêtés. Mais il veut participer. Il marche sur les pavés brûlants. Il se joint à la foule. Il aperçoit le drapeau tricolore flotter sur les portes du Louvre !
Ragaillardi après cette séquence révolutionnaire, Berlioz décide de composer un arrangement de La Marseillaise pour grand orchestre, accompagné de deux chœurs. Un oeuvre qu’il dédie à Rouget de Lisle, l’auteur des paroles et de la musique. Dans la chaleur estivale de Paris, Berlioz noircit de notes sa partition.
Et comment Berlioz s'y prend pour composer sa Marseillaise ?
Berlioz calque les notes sur les syllabes. Pour évoquer les foules en marche, Berlioz s’appuie sur un imposant pupitre de tambours sous les mots "Marchons, Marchons". Dès les premières secondes, les cuivres et timbales rappellent les sonorités des fanfares militaires. Puis la voix de la soprano s’élève, grandiose. L’orchestre jaillit pour le refrain. Quant aux trompettes, elles évoquent l’approche des "farouches soldats". Berlioz montre son art. Son génie même.
On l'entend, Berlioz introduit énormément de variations dans sa musique.
Oui, comme une musique qui ne se répète jamais, mais avance toujours, se développe, captivante et inattendue. Comme un orage qui gronde, et parfois s’apaise, la Marseillaise de Berlioz donne le frisson. Et quand lorsque l'orchestre se tait, alors le tempo se ralentit et seules les voix s'élèvent.
Les règles de l’harmonie ne sont pas toujours respectées. Il s’en fiche. C’est au prix de l’abandon de quelques règles que l’œuvre acquière de la couleur, pense-t-il. Il écrit comme personne n’a osé écrire avant lui. A la fin de l’œuvre, un chœur d’enfants s’élève, et l’orchestre l’accompagne dans une nuance pianissimo.
Après avoir entendu cette oeuvre, Rouget de Lisle, répondra un peu plus tard à Berlioz dans une lettre amicale : "Votre tête paraît être un volcan toujours en éruption ; dans la mienne, il n’y eut jamais qu’un feu de paille". La musique de Berlioz, en ces temps révolutionnaires, se répand comme une traînée de poudre. Voilà un compositeur dont le style commence seulement à faire son effet. Quelques mois plus tard, il fera entendre sa Symphonie Fantastique, unique en son genre, si moderne, si surprenante, et marquera pour toujours l'histoire de la musique.