Anne Germain est décédée cette semaine à l'âge de 81 ans. L'occasion de rendre hommage à cette chanteuse qui a enchanté toute une génération.
Deux sœurs jumelles nées sous le signe des Gémeaux. La volupté des lèvres de Catherine Deneuve et de Françoise Dorléac nous fera oublier le pléonasme. En Mars 67, la France n’a d’yeux que pour les Demoiselles de Rochefort. On les imagine nues, au fil de leur « Ré, Mi, Fa, Sol, Sol, Sol, Ré, Do », devinant dans la chanson, un grain de beauté au creux de leurs reins.
Tout le monde se fiche qu’elles soient nées de père inconnu. Les paroles sont entêtantes et la musique de M.Legrand fonctionne à merveille. Personne ne s’apercevra jamais de la bidouille du réalisateur J.Demy : aucune des fausses jumelles ne chante pendant le film. Elles ne font que remuer les lèvres. Les coller à des voix enregistrées par d’autres. La synchronisation labiale est parfaite. On n’entendra jamais parler des chanteuses. Juste leurs noms en petit à la toute fin du générique. Claude Parent et Anne Germain.
Anne Germain a 31 ans, lorsqu’elle passe une audition pour la doublure chant de Melle Deneuve. La jeune montmartroise, basque par son père et auvergnate par sa mère, est une chanteuse confirmée mais inconnue, qui court de studio en cabaret. Legrand et Demy l’écoutent et applaudissent. Sa voix chantée correspond parfaitement à la voix parlée de l’actrice. Le même timbre, la ressemblance est troublante. Le Playback sera impeccable.
Exemptée de maquette et de casting. Le cinéaste l’embauchera d’office, quelques années plus tard, pour sa Peau d’Ane. Le film le plus enchanté de J.Demy. Deneuve sera la Princesse, Anne Germain, la voix de ses chansons. Une voix, sur des notes baroques jazz et pop, qui rendra à jamais miraculeuse la recette du Cake d’Amour.
Peau d’Ane et Les Demoiselles de Rochefort, deux films dans lesquels, disait, en souriant, Anne Germain, elle était doublée par Catherine Deneuve. Humour amer. Forcément un petit peu en coulisse. Même si la chanteuse n’aura jamais cherché à accrocher la lumière. Pas son truc. Trop de stress, trop d’obligations, plus de vie privée. Inimaginable pour cette femme qui tenait avant tout à sa vie de famille, à ses deux filles qui l’accompagnaient parfois en studio, lorsqu’elle faisait chanter Marie Popins ou Duchesse dans les Aristochats.
La nostalgie de l’enfance. La sienne. A Montmartre, dans l’hôtel familial. Un jardin, un piano, les oiseaux, les écrivains, les artistes de passage… Ch.Trenet, M.Simon, Pierre Mac Orlan… Les GI’S débarqués avec leurs chewing-gums et leurs 78tours, Glenn Miller, Duke Ellington…
In the Mood, Sophisticated Lady, des standards américains qu’Anne Germain reprendra quelques années plus tard avec son mari, au sein des Swingles Singers, un groupe vocal qui conduira le couple et leur bande d’amis choristes, en Amérique : au Carnegie Hall à New York, à la Maison Blanche où ils seront invités à chanter à la mort de JFK. Galas, récompenses, Anne et les Swingles décrocheront 4 Grammy Awards dans les années 60. Presque autant que Daft Punk un demi-siècle plus tard…
L’une des rares époques de sa carrière où l’on a pu mettre un visage sur sa voix. Une jolie brune racée, gracile, un sourire dans lequel on devine autant d’esprit que d’élégance. Et puis cette voix… Infiniment douce, capable de s’adapter à n’importe quel registre. Une voix de cœur dans les Chœurs. Derrière Brel, Bécaud, Ferré, Salvador, Aznavour, Sardou, Hardy, Vartan, sans parler de ses Belles, Belles, Belles aux côtés de Claude François, ou de ses Dou You Dou à Saint-Tropez.
Cette voix, enfin, qui nous accompagnait tous petits les mercredis pour la plus heureuse des destinations : L’ile aux enfants. Cette île ou c’était tous les jours le printemps. Le pays joyeux des enfants heureux. C’était la voix du bonheur, c’était la voix d’Anne Germain…