Du parcours de Napoléon Bonaparte (1769-1821), premier empereur des Français, on ne retient souvent que les instants de gloire. Pourtant, suite à leur victoire à la bataille de Waterloo, en 1815, les Anglais décident de neutraliser Napoléon 1er en l’envoyant en exil au bout du monde, sur la petite île de Sainte-Hélène, perdue au beau milieu de l’océan Atlantique. Virginie Girod vous raconte les six dernières années de l’empereur déchu et la construction posthume de son mythe.
Invité :
- Thierry Lentz, historien, directeur de la Fondation Napoléon
67 jours. C'est le temps qu'il a fallu au Northumberland pour parcourir la distance qui sépare l'Angleterre de l'île de Sainte-Hélène. L'imposant trois-mâts de la Royal Navy longe la côte africaine pour rejoindre cette colonie britannique, située en face de la Namibie. Napoléon se tient sur le pont du bateau, il regarde ces falaises immenses et noires devant lui. Cette île, c'est une forteresse au milieu du néant.
Autour de Napoléon, placé sous la surveillance de l'amiral Cockburn, le capitaine du bateau, il y a ce qu'il reste de sa cour : une soixantaine de personnes l’a suivi depuis Paris après son abdication. Mais quand les Anglais ont décidé de l'envoyer en exil dans l'Atlantique Sud, il n'a pu garder qu'une dizaine de fidèles : des généraux et leurs familles, et quelques domestiques qui l’auraient suivi au bout du monde.
Napoléon n'a pas revu sa femme depuis son premier exil sur l'île d'Elbe en 1814. Marie-Louise d'Autriche s'est réfugiée dans son pays natal avec son fils, le prince de Rome. Pour Napoléon, c'est un crève-cœur de ne plus voir son fils.
Malgré les austères falaises de Sainte-Hélène qui plongent dans la mer, il garde espoir. Cette captivité ne durera pas longtemps. Napoléon était convaincu qu'en se rendant aux Anglais après son abdication forcée, il aurait une retraite dorée, soit aux États-Unis, soit à la cour ou au pire, à la campagne. Il n'a pas encore compris que les Anglais le considèrent comme un tyran dangereux qu'il faut neutraliser en l'envoyant au bout du monde. Il refuse d'accepter que pour eux, il n'est plus l'empereur Napoléon mais le général Bonaparte, un prisonnier.
L'amitié de Napoléon et Betsy Balcombe
Le 17 octobre 1815 après plus de deux mois de navigation, Napoléon pose le pied à Jamestown, la bourgade qui fait office de capitale. C’est aussi l'unique port de cette île hostile qui sert d'escale aux bateaux qui traverse l'Atlantique. Le climat est tropical, les maisons de style colonial au bois peint en blanc ont un côté villégiature bourgeoise. On est très loin de son palais de Fontainebleau, le cœur de sa cour officielle, ou de la Malmaison, la résidence de Joséphine où il a passé tant de temps à travailler depuis le Directoire.
Sa maison n’est pas encore prête, alors l’exilé s'installe provisoirement chez la famille Balcombe, au Pavillon des Briars. Le père Balcombe travaille pour la compagnie des Indes orientales et s'occupe du ravitaillement des bateaux de la Royal Navy.
Napoléon passe deux mois dans cette maison ; où il lie une amitié improbable avec la fille de son hôte, Betsy Balcombe. Elle a 14 ans et lui 46, et il l'adore. Il a toujours été un coureur de jupons et sa cour jalouse trouve qu'il a une relation bien ambiguë avec cette petite anglaise. Mais elle ne peut pas rivaliser avec ses deux grands amours…
La première femme qu'il a aimée, Joséphine de Beauharnais, sa femme idéale pourvue d'un gros caractère, est décédée un an et demi plus tôt. C’est elle qui l'a initié à la sensualité. Malgré un mariage passionnel, Napoléon l’a répudiée parce qu'elle ne pouvait plus avoir d'enfant. Or, il devait fonder une dynastie… La seconde épouse, Marie-Louise de Habsbourg-Lorraine, dont il adorait l'innocence, est la mère de son fils. Mais elle ne l'a jamais aimé et s'est mariée avec lui pour raison d'État.
Pour passer le temps, Napoléon joue à colin-maillard avec Betsy. Elle est la seule personne qu’il autorise à l'appeler Bonnie. Napoléon demande à son géographe, Emmanuel de Las Cases, qui l’a accompagné sur l'île, de lui apprendre l'anglais pour pouvoir communiquer avec elle. Et Betsy se moque souvent de son accent, qu'elle trouve le plus étonnant du monde.
L'arrivée de Napoléon à Longwood House
A peine deux mois après son arrivée sur l'île, le 10 décembre 1815, Napoléon abandonne le pavillon des Briars pour rejoindre Longwood House. Sa maison est située sur l'un des plateaux au sommet de l'île et si au bord de l'eau, le climat est tropical, le temps là-haut ressemble plutôt à celui de la Bretagne.
Longwood House est une petite maison qui ne mesure « que » 100 mètres carrés. Pour Napoléon, c'est ridicule à côté de Fontainebleau. Elle est de style colonial, ses murs sont peints en blanc, il y a des volets verts des toits en pente. Elle forme un T au milieu d'un jardin entouré de guérites, gardé par des soldats anglais. Napoléon peut en faire le tour en à peine une heure, c'est très loin de ses standards.
C’est ici que va désormais résider la cour, ou ce qu'il en reste. Napoléon se réserve trois pièces pour lui tout seul : une chambre, un cabinet de travail et une salle de bain. Il instaure immédiatement le même protocole qu'au temps de sa splendeur et il s'y accroche : c'est la seule chose qui le fait se sentir encore empereur.
S'il reçoit un invité, c'est le général Gourgaud qui doit l'annoncer avant que Napoléon ne le reçoive, et lorsqu'il se couche, le valet n'a pas le droit de sortir de sa chambre si Napoléon ne lui en donne pas l'ordre. Et s'il oublie, le valet va rester debout toute la nuit à côté du lit.
La maison a de la moquette au sol, des jolies tapisseries et quelques meubles précieux ramenés par Napoléon. Mais c'est une maison de petit bourgeois, pas un palais impérial. Et dans cette maison, il règne une terrible promiscuité : c'est un vrai huit clos où la réalité du quotidien devient oppressante.
Un quotidien morne et répétitif
Toutes les journées se ressemblent. Le matin, on se lève tôt, sa Majesté reçoit dès 9 heures. Napoléon reçoit beaucoup de monde, il est une attraction pour les bateaux qui font escale à Longwood. Beaucoup d’officiers et de dames demandent à le voir. Il accepte parce qu’il peut les séduire, révéler son histoire et faire découvrir son quotidien. Tous ces visiteurs pourront raconter en Angleterre combien celui que ses ennemis surnomment « l'Ogre Corse » est maltraité. Avec cette propagande officieuse, on finira par le faire revenir en Europe, c'est sûr…
Dans l'après-midi, Napoléon fait souvent une promenade en calèche ou à cheval, sous escorte anglaise. Les soldats disséminés dans les check-points autour de l'île, communiquent sur la position du prisonnier en levant des drapeaux que l'on peut voir de loin. Si Napoléon tente de s'échapper, l'alerte sera vite donnée.
Chaque jour, Napoléon décide de l'heure du dîner : jamais la même que la veille, pour rompre la monotonie. Il exige que les hommes soient en grande tenue et les femmes en robe du soir. Mais les soies et les galons moisissent dans la touffeur de Sainte-Hélène et il faut les repasser avant de les enfiler pour tuer les champignons.
Quand la cour entre dans la salle à manger, elle est saisie par l'air rendu encore plus humide et collant par les nombreuses bougies allumées. Chaque courtisan est servi par un domestique, non pas les valets de Napoléon, mais des domestiques chinois fournis par le gouverneur de l’île, ou des soldats anglais trop contents de jouer les voyeurs chez Napoléon.
La table est bien garnie, mais tout le monde se plaint. Il y a pourtant du poisson, de la viande, des légumes et des fruits. Le cuisinier Michel Lepage, qui a suivi Napoléon sur l'île, fait de son mieux avec ce qu'il a sous la main. Le confiseur Pierron se décarcasse pour cuisiner des entremets, jamais à la hauteur de son talent.
Mais le pire, c'est sans doute le vin : les crus de l'époque, comme le Chambertin, ne supportent pas les voyages en mer. Napoléon boit donc des vins médiocres. Comme on s'ennuie, on se venge sur le whisky : dix bouteilles par jour. Ce sont les généraux qui boivent, Napoléon se contente la plupart du temps d'un verre de vin dilué dans de l'eau.
Il expédie son dîner en 40 minutes et s'essuie les doigts sur ses habits. Il a toujours fait ce geste qui dégoûte Madame Bertrand, c'est sans doute un peu pour ça qu'elle repousse continuellement ses avances. L’atmosphère du dîner est souvent sinistre et on s’égaie un peu plus quand on passe au salon. Albine de Montholon, la femme de l'un des généraux les plus fidèles de Napoléon, joue souvent du piano mais comme elle chante mal, on essaye vite de mettre fin au supplice. On joue aux cartes aussi, mais Napoléon déteste perdre, alors il triche.
Mais ce que la Cour préfère, c'est faire parler Napoléon, lui faire raconter encore et encore ses victoires. Dans ces moments, il est en transe. Las Cases joue le rôle de l'animateur et le relance. Napoléon adore ça il comprend très vite que le géographe est l'homme qui lui faut pour l'aider à écrire son autobiographie.
Napoléon dicte ses Mémoires
Napoléon a décidé de dicter ses mémoires pour la postérité. Préparer sa légende, c'est la dernière chose qui lui reste à faire. Dans la journée, il fait venir Las Cases ou son fils dans son bureau et dicte sa vie et ses batailles, à partir de notes qu'il a emmenées avec lui.
Las Cases est déjà un auteur réputé et il sait qu'avec Napoléon, il tient un sujet de livre exceptionnel. Il sait remanier les propos de l'empereur déchu pour les magnifier, quitte à enjoliver la réalité. Les dictées peuvent parfois durer plus de neuf heures. Napoléon est infatigable, il déteste écrire lui-même car il trouve que sa main est trop lente par rapport à son esprit mais parfois, il raye et annote les pages de son copiste de sa petite écriture illisible.
Même si le quotidien est bien réglé, des tensions apparaissent au sein de cet huis-clos. Gaspard Gourgaud, l'un des officiers de Napoléon, transi d'amour pour son maître, se met à détester Las Cases. Il l'appelle « l’extase » quand il veut être cynique ou « le jésuite » quand il veut être méprisant.
Il ne comprend pas ce que cet intellectuel fait à Longwood et a le sentiment de se faire voler l'amour de Napoléon. Gourgaud considère qu'il a toujours été le plus fidèle de tous, mais l'affection qu'il attend, Napoléon la donne à Las Cases. Ou pire, à Albine de Montholon qu'il a prise pour maîtresse avec la complicité du mari de cette dernière, trop content de prêter sa femme à son empereur.
Tous les courtisans rivalisent pour avoir les faveurs de Napoléon. Ils l'adorent et l’admirent mais ils veulent aussi autre chose : être couché sur son testament. Car Napoléon a fui la France avec 200 millions de francs.
Si les petites rivalités entre les courtisans, parfois alimentées par Napoléon, occupent son quotidien, un nouveau venu sur l'île va bientôt prendre beaucoup de place dans sa vie.
L'arrivée de Hudson Lowe à Sainte-Hélène
Le 16 avril 1816, Sir Hudson Lowe arrive à Sainte-Hélène, où il prend son poste de gouverneur. Sa mission : surveiller le général Bonaparte. Comme il sait que Napoléon reçoit le matin dans sa résidence, il brave la pluie tropicale pour monter à Longwood House.
Alors que la pendule sonne 10 heures, Lowe est accueilli par l'officier Gourgaud qui va prévenir son maître. Il revient rapidement, un peu penaud : Sa Majesté ne recevra pas le général Lowe. Il est souffrant, il faudra revenir le lendemain.
Napoléon n'est pas malade. Il a simplement refusé de recevoir le nouveau gouverneur, son geôlier, parce que ce dernier n'a pas respecté le protocole : on annonce sa visite à l'avance quand on vient voir Napoléon et surtout, on ne l'appelle pas général. Il est empereur, même en exil au bout du monde. C’est lui qui commande et le gouverneur Lowe n'a qu'à bien se tenir s'il ne veut pas rester à la porte.
Le lendemain des présentations ratées, le 17 avril 1816, Hudson Lowe remonte à Longwood. Cette fois, il est reçu par Napoléon, mais l'entretien ne va pas se passer comme prévu…
La rivalité farouche entre Napoléon et Hudson Lowe
Lowe est un homme relativement dénué d'intelligence et plutôt psychorigide. Il n'a pas l'intention de malmener son prisonnier, mais on n'est pas à la cour non plus. Au début, Napoléon est content de rencontrer Lowe, qui a eu l'occasion de diriger un bataillon Corse. L’entretien se déroule en italien car il ne parle toujours pas bien l'anglais. Très vite, l'empereur prend l'avantage : c'est lui qui pose les questions, il écrase de toute son autorité le nouveau gouverneur.
Finalement le courant ne passe pas du tout entre les deux hommes. Napoléon initie avec son geôlier une véritable guerre des nerfs. Son objectif est clair : pousser Lowe à le maltraiter. Il veut donner l'impression qu'il est un martyr et répandre cette rumeur en Europe pour être gracié, avec le soutien de l'opinion publique.
Il ne perd pas une occasion de rappeler à Lowe qu'il est un militaire médiocre. À chaque provocation, les représailles pleuvent sous la forme de nouveaux règlements, qui deviennent de plus en plus délirants. Hudson Lowe interdit à Napoléon de parler à quiconque pendant ses promenades et Napoléon se moque de lui, parce qu'il ne croise évidemment personne sur le terrain surveillé de Longwood House. Pire quand il s'approche des soldats, on le met on joue. Ce sera un véritable scandale quand on l'apprendra en Europe…
C’est grâce au valet corse Cipriani que Napoléon peut faire circuler des rumeurs. Cipriani est le seul membre de Longwood à avoir le droit de descendre à Jamestown pour le ravitaillement. Il en profite souvent pour graisser la patte des marins, afin qu'ils emmènent avec eux en Angleterre les complaintes de Napoléon. Celles-ci alimentent les journaux sous la forme de feuilletons qui intéressent beaucoup les foules.
Poussé à bout par les provocations de Napoléon, Lowe décide de réduire les frais de bouche de son prisonnier. L'empereur charge alors Cipriani d'aller vendre l'argenterie impériale sur le marché de Jamestown en expliquant à qui veut l'entendre que le prisonnier est affamé par le gouverneur. Quand Hudson Lowe l’apprend, il descend sur le marché et rachète lui-même au badaud l'argenterie impériale. Mais le mal est fait. Tout se sait à Londres et Bonnie, comme on surnomme l’empereur là-bas, devient un personnage attachant, alors que Lowe est perçu comme un homme cruel et stupide.
Le départ des fidèles et une santé qui décline
Lowe répond à sa réputation et se transforme effectivement en bourreau. Il porte un coup bas à Napoléon quand il renvoie Las Cases, qu'il soupçonne d'espionnage. Napoléon perd l'artisan de ses mémoires. Le fidèle Gourgaud finit par partir au bout de trois ans : sa rivalité avec Montholon est devenue insupportable. Il quitte Sainte-Hélène et, comme un missionnaire, propage la bonne parole sur Napoléon en Europe.
Albine de Montholon s'en va aussi après avoir eu une fille de son amant, qu'elle prénomme Napoléon. Elle se trouve une nouvelle tocade dans la garnison anglaise et quitte l'île avec son soldat.
Mais la perte la plus douloureuse pour Napoléon est celle de Cipriani. Le corse est la seule personne qu'il considère comme un ami, en plus d’être ses yeux et ses oreilles sur l'île. Avec lui, il peut encore parler le corse, sa langue maternelle. Un soir de 1818, Cipriani est pris de maux de ventre très violents. Il meurt vraisemblablement d'une péritonite, une inflammation mortelle de l'abdomen.
La cour de Napoléon se dépeuple, son moral baisse et sa santé décline. Le médecin de l'île, l'Irlandais Barry Edward O’Meara, prétend qu'il simule une hépatite pour être rapatrié en Angleterre. Ce serait donc selon lui une maladie diplomatique…
O’Meara est finalement renvoyé en Europe, sans son patient. Napoléon n'a plus de médecin et son état de santé se dégrade. Il trouve un peu de repos dans l'eau chaude de son bain mais il ne se promène presque plus. Il lit beaucoup en revanche. Mais O’Meara s'est trompé : Napoléon est vraiment malade.
Le remède interdit
Il finit par envoyer une lettre à sa mère, réfugiée en Italie, pour qu'elle lui trouve un médecin. Malheureusement, Madame Mère, Letizia Ramolino, s’est trouvée un gourou mystique : elle croit que son fils a été enlevé par la Vierge et ne comprend pas la gravité de son état de santé. Elle lui déniche malgré tout un médecin Corse nommé François Antommarchi. Antommarchi n’a toutefois jamais soigné personne : c’est un spécialiste de l'anatomie et de la dissection. Napoléon est dépité quand il le voit arriver mais Antommarchi se montre attentif et s'efforce de sortir son patient de son état dépressif.
Napoléon retrouve un peu de vigueur et se lance dans sa dernière politique de grands travaux. Il s'est mis en tête de refaire les jardins de Longwood et comme d'habitude, toute la maison doit le suivre et marcher au pas. Il s'occupe du potager et des plates-bandes comme on prépare une campagne militaire. Il fait pousser de grandes haies derrière lesquelles il peut se promener sans être vu des sentinelles anglaises et ça le fait rire comme un enfant de les observer avec ses lunettes.
Cependant, si le moral revient, la santé s'étiole. Napoléon se plaint constamment d'avoir des douleurs dans le ventre, il les ressent comme des coups de canif.
Nous sommes au printemps 1821 : Napoléon n'arrive plus à se lever. Il vomit du sang. On a décidé d'installer son lit de camp dans le salon de Longwood, la seule pièce pourvue de deux fenêtres : on peut aérer plus facilement. Napoléon ne veut plus être seul, il y a toujours quelqu'un pour le veiller.
Ses moments de lucidité sont de plus en plus rares. Il demande alors à voir les portraits de son fils, se désole et sombre à nouveau dans des moments de délire fiévreux. Il est trempé de sueur mais il a froid. On le réchauffe avec des bouteilles d'eau chaude dans son lit, mais rien n'y fait…
Antommarchi ne sait plus quoi faire pour soulager son patient. Il décide de lui faire prendre, sans l’en avertir, un remède que Napoléon a pourtant interdit : le calomel. Il s’agit de chlorure de mercure, un puissant poison. Après en avoir pris cinq grammes, Napoléon se tord de douleur : il souffre maintenant d'hémorragie interne. Les yeux révulsés, il accuse Antommarchi de l'avoir trahi…
La mort de Napoléon
Napoléon réunit ses dernières forces pour dicter son acte de décès, tel qu'il le souhaite. Il appelle ensuite le général Bertrand, qui accourt, s’attendant à une dernière gratification. Napoléon lui murmure alors que sa femme est une forteresse imprenable car elle n'a jamais cédé à sa cour… Bertrand se redresse dignement et garde le silence.
Toute la journée, Napoléon délire au sujet de Joséphine et de son fils. Il agonise. Les habitants de Longwood se sont réunis autour de lui pour ses derniers moments. Sa respiration se fait de plus en plus lente ; elle s'arrête parfois, et elle repart. Enfin, elle s'arrête définitivement. Madame Bertrand se lève et arrête les aiguilles de l'horloge. Il est 17h49, le 5 mai 1821.
Les habitants de Longwood contemplent le cadavre de Napoléon : ses traits semblent soudain apaisés, ils le trouvent beau. Malgré l'interdiction des Anglais, Antommarchi fait un masque mortuaire de l'empereur, dont il a déjà l’idée de vendre des copies quand il rentrera en Europe.
Le médecin procède aussi à une autopsie : le père de Napoléon est mort de l'estomac et l’empereur craint d'avoir un mal héréditaire dont il faudrait informer son fils. Le médecin passe les organes en revue et trouve le coupable : il y a un trou gros comme un doigt dans l'estomac. Napoléon est mort d'un ulcère.
Le 9 mai, l'empereur est mis en terre dans son uniforme vert de colonel des Chasseurs de la Garde. Sa tombe est creusée dans la vallée paisible du géranium. Hudson Lowe s'assure que son prisonnier ne s'évade pas, même après sa mort… Le général Bonaparte repose dans quatre cercueils, sous de la terre, du gravier et du ciment.
Deux semaines plus tard, la cour quitte Longwood, leur exil volontaire est terminé. Mais il reste un épilogue à cette histoire…
Un corps très bien conservé
Dans son testament, Napoléon avait émis le souhait de reposer près de la Seine, au milieu de ce peuple français qu’il a tant aimé. En 1840, l'historien et homme politique Adolphe Thiers publie son livre L'histoire du Consulat et de l'Empire et convainc le roi Louis-Philippe de faire revenir la dépouille de Napoléon à cette occasion.
Bertrand Gourgaud et le fils de Las Cases font le voyage à Sainte-Hélène pour exhumer le corps et l'emmener dans sa dernière demeure, sous la coupole des Invalides. Au moment d'ouvrir le cercueil tout le monde retient son souffle, et on se met à pousser des cris déchirants : le corps de Napoléon est extrêmement bien conservé ! On aurait pu croire qu'il dormait depuis 19 ans…
Quelques semaines plus tard, l'empereur retrouve Paris en triomphe. Depuis sa mort, ses mémorialistes ont bien participé à la création de sa légende. Le Mémorial de Sainte-Hélène, de Las Cases, est un best-seller sur le quotidien de Napoléon en exil.