En 1980, un ancien acteur de films de série B devient le 40ème président des Etats-Unis. Dans le huitième épisode du podcast Mister President par Europe 1 Studio sur l'histoire des présidentielles américaines, Olivier Duhamel revient sur le triomphe de Ronald Reagan après trois tentatives !
Qui aurait cru qu'un ancien commentateur de matchs de football, acteur dans des films à petits budgets et animateur télé allait devenir le 40ème président des Etats-Unis. Dans le huitième épisode du podcast Mister President par Europe 1 Studio, Olivier Duhamel revient sur les succès républicains de 1980 et de 1984 de Ronald Reagan puis la victoire de son vice-président, George H.W Bush, quatre ans plus tard.
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En 1980, l’idée d’une réélection de Carter va tout sauf de soi. Même sa candidature est contestée, par Edward Kennedy. Cette fois, le petit frère de John et Robert se lance dans la course. Dès 1962, Ted, c’est son surnom, a succédé comme sénateur du Massachusetts à son grand frère devenu président. Et il a constamment été réélu. Ted Kennedy espère juste que "l’affaire de Chappaquiddick" a été suffisamment oubliée. En 1969, il avait eu un accident de voiture avec son organisatrice de campagne. Kennedy s’était échappé du véhicule tombé dans un bras d’eau, mais sa collaboratrice s’était noyée, et il n’avait pas appelé les secours ni la police. À cause de ce scandale, Ted Kennedy avait renoncé à se présenter aux élections présidentielles de 1972 et 1976.
En novembre 1979, la prise d’otages qui a lieu dans l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran provoque aussitôt un effet "rally round the flag", "ralliement autour du drapeau". La cote de popularité de Carter s’envole, jusqu’à 60% d’approbation. Le phénomène s’avère cependant de courte durée. Le 27 décembre 1979, les troupes de l’Union soviétique envahissent l’Afghanistan. Le président Carter est cette fois critiqué pour la mollesse de sa réaction.
Carter n’en gagne pas moins le premier scrutin de la campagne pour l’investiture démocrate, le fameux caucus de l’Iowa début février, avec 59% des suffrages contre 31 pour Kennedy. La bataille entre les deux hommes va continuer jusqu’à la Convention de l’été. Dix primaires sont gagnées par Ted Kennedy, vingt-quatre par le président sortant. La messe est dite. Kennedy en prend acte dans un discours affirmant la pérennité de la flamme progressiste et acclamé une demi-heure : "For me, a few hours ago, this campaign came to an end. For all those whose cares have been our concern, the work goes on, the cause endures, the hope still lives, and the dream shall never die". "Pour moi, il y a quelques heures, cette campagne a pris fin. Pour tous ceux dont nous partageons ce qui leur tient à cœur, le travail continue, la cause persiste, l’espoir reste vivant, et le rêve ne mourra jamais".
Reagan vs George H.W Bush
Quant aux républicains, ils voient s’affronter principalement deux candidats, l’ancien gouverneur de Californie, déjà candidat à la candidature en 1968 et 1976, Ronald Reagan et George H.W. Bush, antérieurement représentant du Texas, puis ambassadeur à l’ONU et directeur de la CIA, pour les modérés. Reagan l’emporte dans les primaires et dès le premier tour à la Convention. Il prend Bush comme candidat à la vice-présidence.
La campagne pour la présidence tourne rapidement à l’avantage de Reagan. L’homme né en 1911 paraît sympathique. Son père était un simple commerçant, sa famille vivait au-dessus du magasin. À seize ans, il prend un premier petit boulot de maître-nageur et réalise 77 sauvetages. Une encoche sur un morceau de bois pour chacun d’entre eux. Cela conforte sa confiance en lui. À la fac, il se fait déjà élire président des étudiants. Il mène une révolte contre le président de l’université qui voulait réduire le budget. Reagan devient ensuite commentateur radio des matchs de football, puis de baseball. En 1937, il décroche un contrat de la Warner et joue dans des films de série B. Il se qualifie lui-même d’"Errol Flynn des films à petit budget". Après avoir tourné des films de propagande pour l’armée durant la guerre, il devient président … du syndicat des acteurs, puis animateur d’une série télévisée sponsorisée par General Electric. Reagan se lance en politique en soutenant activement la campagne de Goldwater en 1964, levant 1 million de dollars par un simple discours devenu célèbre : Time for Choosing, "le moment de choisir". Élu gouverneur de Californie en 1966, opposé sans succès à la candidature de Nixon en 1968, rival sans plus de succès de Ford pour la candidature en 1976, son heure est enfin arrivée.
Dans la campagne, Reagan plaide pour une politique de l’offre, à savoir de baisse des impôts et des dépenses publiques afin de stimuler la croissance. Il lance cette phrase, vite devenue fameuse : "Une récession, c’est quand votre voisin perd son job. Une dépression, c’est quand vous perdez le vôtre. Et la reprise, c’est quand Carter perd le sien".
"Un dangereux radical de droite"
Se pose la question du débat. Carter le refuse si le troisième candidat, l’indépendant ex-démocrate Anderson y participe. Reagan le refuse s’il n’y participe pas. In extremis, il finit par l’accepter. Le 28 octobre, Carter décrit Reagan comme un "dangereux radical de droite". Il raconte avoir demandé à sa fille Amy, âgée de 12 ans, quel était l’enjeu le plus important de l’élection. "Elle m’a répondu : le contrôle des armes nucléaires." L’histoire alimente toutes sortes de blagues dans les médias aussitôt le débat terminé. Un président qui se décide en fonction de ce que lui dit une gamine…
Faiblesse de la croissance, persistance de la crise des otages à Téhéran après le fiasco de la tentative pour les faire s’évader, Carter est battu. La chaîne de télévision NBC l’annonce dès 20h15 sur la côte Est et alors que l’on vote encore sur la côte West ! Inimaginable en France. Reagan l’emporte dans 44 États, Carter seulement 6. Reagan distance le président sortant de près de 10 points dans les votes populaires, 50,8% contre 41%, du jamais vu depuis l’élection de Franklin Roosevelt en 1932 contre le sortant Hoover. L’ère Reagan commence. Arrivé à la Maison-Blanche, il s’installe dans les appartements privés à l’étage et déclare : "Je vis à nouveau au-dessus du magasin".
Leçon n° 11 : Il faut parfois s’y prendre à plusieurs fois pour être enfin candidat… et élu. Reagan n’y parvint qu’à la troisième tentative. Comme Mitterrand en 1981, après 1965 et 1974. Comme Chirac, élu en 1995, après 1981 et 1988.
Leçon n° 12 : La politique étrangère peut influer sur la campagne contrairement à l’idée reçue selon laquelle cela ne compte pas. La crise des otages à Téhéran a pesé dans l’échec de Carter. La crise des fusées à Cuba aida de Gaulle à gagner son référendum d’octobre 1962, faute de quoi il aurait démissionné.
Mondale tente sa chance
Quatre années passent. En 1984, la réélection de Reagan ne fait guère de doute après la forte reprise économique et la résurgence de la fierté nationale américaine. Face à lui, trois principaux candidats se disputent l’investiture démocrate. L’ex-vice-président de Carter, Walter Mondale, le pasteur noir Jesse Jackson et un peu connu sénateur du Colorado, le jeune Gary Hart.
Jesse Jackson parvient à gagner les primaires dans trois États du sud : la Virginie, la Caroline du sud et la Louisiane, confirmant l’importance du vote des afro-américains pour les démocrates. Il n’obtiendra cependant au total que 21% des voix dans les primaires et 8% des délégués à la Convention. Gary Hart surgit au célèbre caucus de l’Iowa, début février. Il y termine deuxième, gagne dans la foulée la primaire du New Hampshire, puis l’Ohio et la Californie.
Walter Mondale, lui, l’emporte dans les États industriels. Hart joue la carte du renouveau et répète à satiété qu’il présente de "nouvelles idées". Mondale le raille lors d’un débat télévisé : "Chaque fois que je l’entends parler de ‘nouvelles idées’, je me demande Where is the beef ?", détournant la pub pour un fast food : où est le bœuf ? Autrement dit, où est la viande, la substance ? L’audience éclate de rire et la caméra surprend la moue de Hart. La Convention se tient à la mi-juillet, à San Francisco. Mondale a presque la majorité absolue en arrivant. Grâce aux super-délégués du parti, il est élu dès le premier tour et choisit une femme pour la vice-présidence, Geraldine Ferraro, députée de New York. C’est une grande première. De son côté, l’activiste Angela Davis est candidate à la même fonction pour le tout petit parti communiste.
Dans la campagne, Reagan fait référence à Bruce Springsteen et utilise sa chanson Born in the USA. Le chanteur, démocrate de toujours, proteste. L’équipe de Reagan arrête. Le président sortant ne pourrait être fragilisé que par son âge, 73 ans. Le camp de Mondale y fait subrepticement mais constamment allusion, en évoquant ses "vieilles idées". Une gaffe lors du premier débat à Louisville n’arrange pas ses affaires. "Ici à Washington" dit-il, au lieu de Louisville dans le Kentucky. Reagan se rattrape dans le débat suivant en déclarant : "Je ne vais pas faire de l’âge un enjeu dans cette campagne. Je ne vais pas exploiter à des fins politiques, la jeunesse et l’inexpérience". Même Mondale a rigolé, et admit ensuite que Reagan avait ainsi évacué la question de l’âge. Le président sortant l’emporte haut la main, en tête dans tous les États sauf le Minnesota de Mondale, et obtenant près de 59% des votes populaires.
Leçon n° 13 : Une boutade peut mettre un terme à une attaque gênante. Reagan sut évacuer ainsi les critiques lancinantes sur son âge. Ce n’est pas tant son âge que la Constitution qui lui interdit de solliciter un troisième mandat. En 1988, la question devient : qui va succéder à Reagan ?
Bush, nouveau champion des républicains
Les républicains choisissent assez vite et facilement leur nouveau champion dans la ligne reaganienne tout en promettant "a kinder and gentler nation", "un pays plus aimable et plus doux". Le vice-président George H.W. Bush est cependant contesté au début de la campagne, principalement par le sénateur du Kansas Robert Dole.
George H.W. Bush est le fils d’un sénateur républicain du Connecticut ayant fait fortune dans la finance. Héros de la Guerre du pacifique, il y effectua des dizaines de missions aériennes, fut abattu quatre fois, et secouru quatre fois. Après-guerre, il se lança dans le pétrole avant de diriger un grand laboratoire pharmaceutique. Il devint député du Texas en 1966, réélu en 1968, mais ne parvint pas à se faire élire sénateur en 1970 ce qui l’éloigne de la politique élective. Nixon le nomma ambassadeur à l’ONU, et son successeur Ford directeur de la CIA cinq ans après. En 1977, il s’éloigna à nouveau de la politique en devenant directeur d’une grande banque. En 1980, il rivalisa avec Reagan pour l’investiture avant de le rallier. Reagan en fit donc son vice-président.
Robert Dole est le fils d’un crémier dans le Kansas. En avril 1945, il fut gravement blessé au dos et au bras droit dans la campagne d’Italie."I focus on what I had left… rather than complaining what had been lost". "Je me suis concentré sur ce qui me restait au lieu de me plaindre sur ce qui était perdu". Dole a été élu au parlement du Kansas en 1950, député du Kansas au Congrès en 1960, puis sénateur en 1968, constamment réélu. Le cursus politique classique, de la base au sommet. En 1976, Ford le choisit comme candidat à la vice-présidence, mais c’est Carter qui gagne. En 1980, il tente d’être désigné candidat à la présidence, mais c’est Reagan qui l’emporte. Le voici donc en 1988 qui tente à nouveau sa chance.
Le tout début se passe bien pour Dole. Il arrive en tête dans le caucus de l’Iowa, Bush est relégué à la troisième place, derrière le pasteur télé-évangéliste Pat Roberson. Mais Bush prend sa revanche une semaine plus tard en gagnant dans le New Hampshire. Dole s’énerve et dit que Bush doit "arrêter de mentir à son propos". Mauvais effet. Bush l’emporte encore début mars en Caroline du sud, puis dans les États du sud lors du Super Tuesday et enfin dans l’Illinois. Dole renonce. Voie royale pour Bush, qui est investi à l’unanimité de la Convention de juillet.
Joe Biden renonce, Dukakis l'emporte côté démocrate
Les choses sont autrement laborieuses côté démocrate. En quête de renouveau, le parti est d’abord attiré par Gary Hart, révélé quatre ans plus tôt. Des rumeurs circulent selon lesquelles il aurait des relations extra-conjugales. Hart dément et précise au New York Times que si les journalistes le suivent, ils vont vite s’ennuyer. Une dénonciation anonyme atteste le contraire. Il a défié la presse, elle révèle son aventure avec la jeune Donna Rice. Le 8 mai 1987, un an et demi avant l’élection, Gary Hart renonce. En décembre, il tente de revenir, n’obtient que de médiocres résultats dans les primaires et abandonne définitivement.
Qui alors ? Ted Kennedy ? Il refuse. Bill Clinton, gouverneur de l’Arkansas ? Trop tôt. Joe Biden, sénateur du Delaware, et Michael Dukakis, gouverneur du Massachusetts se lancent dans la course. L’équipe du second attaque le premier en transmettant secrètement une vidéo qui montre Biden en train de répéter un discours du leader travailliste britannique Neil Kinnock. Les images de Biden en plagiaire lui font grand tort. Il finit par renoncer. Un représentant du Missouri rentre dans le jeu. Dick Gephardt l’emporte dans le caucus de l’Iowa. Dukakis gagne la primaire qui suit dans le New Hampshire. D’autres sont également candidats, à nouveau Jesse Jackson, le pasteur noir, un nouveau venu, le jeune sénateur du Tennessee Al Gore. Le Super-Tuesday, qui regroupe plusieurs primaires, ne les départage pas. Dukakis en gagne 6, Gore et Jackson 5 chacun, Gephardt une. La compétition se centre ensuite sur deux prétendants, Dukakis et Jackson. Le pasteur l’emporte dans les États du sud, Dukakis dans ceux de la côte est. Dukakis finit par l’emporter.
La Convention tenue à Atlanta le désigne dès le premier tour. Michael Dukakis, né en 1933, est le fils d’un immigrant grec, devenu gynécologue. Il a fait de brillantes études, admis à la Harvard Law School, le Sciences Po américain. En 1962, il est élu au Parlement du Massachusetts. En 1974, il gagne l’élection comme gouverneur de l’État mais en 1978 les démocrates refusent qu’il se représente à cause des augmentations d’impôt. Il revient cependant en étant à nouveau candidat et élu en 1982, reconduit en 1986.
L'influence d'un spot publicitaire
Dans la campagne générale, comme disent les Américains, Bush attaque Dukakis en le traitant de "libéral du Massachusetts". Libéral veut dire de gauche dans la politique américaine. Le gouverneur réplique que "libéral n’est pas un gros mot". La directrice adjointe de sa campagne répand la rumeur que Bush a une liaison avec son assistante parlementaire. Dukakis la renvoie. Bush fait son entrée en campagne sur l’économie, avec une phrase qui deviendra célèbre : "Read my lips, no new taxes". "Lisez sur mes lèvres, pas de nouvel impôt". Preuve qu’un message politique peut tenir en six mots.
Le principal coup porté à Dukakis vise ailleurs. Il l’est par une vidéo, une publicité politique négative montrant un meurtrier condamné à perpétuité, dénommé Willie Horton, échappé lors d’une sortie autorisée par la législation adoptée au Massachusetts et ayant ensuite commis un vol à main armée et un viol. Un conseiller en communication de Bush déclare que tous les Américains connaîtront le nom de Willie Horton. Un autre spot dénommé "Revolving door", "le tourniquet" montre des prisonniers sortant de prisons. Ces publicités négatives, interdites en France comme toutes publicités politiques à la radio ou à la télévision, produisent des effets ravageurs pour Dukakis, de surcroît opposé à la peine de mort. Les Républicains le font passer pour complaisant à l’égard des criminels. Bush l’emporte très largement, avec 53% des votes populaires et la victoire dans 40 États. L’ère républicaine continue.
Leçon n° 14 : Une liaison extra-conjugale peut faire tomber un candidat. Gary Hart en fait l’amère expérience en 1988, après avoir défié les médias. Vu chez nous, mais seulement aux élections municipales, et vidéo porno à l’appui, à Paris en 2020.
Leçon n° 15 : Un spot publicitaire peut détruire un adversaire. En 1988, Dukakis subit ainsi les attaques sur son supposé laxisme judiciaire. Impossible en France où la publicité politique audiovisuelle est heureusement interdite.
"Mister President par Europe 1 Studio" est un podcast imaginé par Olivier Duhamel
Préparation : Capucine Patouillet
Réalisation : Christophe Daviaud (avec Matthieu Blaise)
Cheffe de projet édito : Fannie Rascle
Diffusion et édition : Clémence Olivier
Graphisme : Mikaël Reichardt
Archives : Patrimoine sonore d’Europe 1 avec Edouard Deblaye (29 octobre 1979 et 4 novembre 1979)
Voix off en anglais : Robbie Thomson et Andrew Miller