SERIELAND ENTRETIEN - "Baron Noir", c'est LA série sur la politique française, celle qui décrit avec brio les magouilles politiciennes et la mécanique de l'exercice de l'Etat avec dans le rôle titre Kad Merad. Fin septembre, l'un de ses créateurs, Eric Benzekri, a annoncé que la saison 3 serait la dernière. Pour en savoir plus, Eva Roque a choisi de lui tendre micro. Il se confie sur les coulisses de sa série et les raisons de sa décision. Attention cet épisode contient des "spoils".
La politique française n'a aucun secret pour lui. Ou presque. Eric Benzekri, créateur et scénariste de Baron Noir, cette série qui décrit la mécanique de la politique française au travers du parcours d'un député du Nord, Philippe Rickwaert, a baigné dedans. Au début des années 2000, le scénariste a notamment travaillé aux côtés de Jean-Luc Mélenchon alors ministre de l'Enseignement supérieur, puis avec le socialiste Julien Dray, avant de changer de voie en 2005.
Avec Baron Noir, lancée en 2016, il s'est fait un nom en tant que scénariste. Et en trois saisons, la fiction avec Kad Merad et Anna Mouglalis s'est imposée comme la série de référence sur la politique française. Les dialogues sont frappants et ont une place prépondérante, chaque mot est pesé. "Quand on me dit qu'elle est trop écrite, peut-être que oui, mais si elle était moins écrite, alors elle ne correspondait pas au milieu qu'elle dépeint", soutient Eric Benzekri.
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Dans SERIELAND, le podcast d'Europe 1 Studio par celles et ceux qui aiment les séries et les font, Eva Roque accorde un grand entretien au scénariste. Comment écrit-on une série sur la politique française ? Le co-créateur s'est-il attiré les foudres de ses anciens camarades politiques ? Quelles sont ses sources d'inspirations ? Et pourquoi avoir fait le choix d'arrêter maintenant la série ? Eric Benzekri répond sans filtre aux questions que vous vous posez encore sur la série qui vient de tirer sa révérence.
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(Transcription)
Eva Roque : Vous écoutez SERIELAND, épisode 16, grand entretien avec Eric Benzekri pour une plongée au coeur de la fabrication d'une série française remarquable, Baron Noir. 3 saisons, 24 épisodes. Arrêt sur images sur une scène déjà vue dans la vraie vie. Dans les fictions aussi. Un immense plateau, des lumières blanches, des caméras, un décompte du temps de parole. Un enjeu surtout, celui d'une élection présidentielle. Et puis, il y a les protagonistes. Ils sont quatre. Deux femmes côte à côte, deux journalistes, deux hommes face à face, deux candidats, et des mots qui claquent.
Eric Benzekri : C'est un symbole. D'abord parce que c'est un débat politique, donc on est au cœur d'un débat d'entre deux tours de la présidentielle, on est au cœur de ce que représente la politique en France. Et puis, on est au cœur de l'enjeu de cette saison 3 et donc de l'ensemble des saisons de Baron Noir. Le thème principal est : démocratie, stop ou encore ? Cette scène était très difficile à écrire. Elle a été écrite à quatre mains : Raphaël Chevènement et moi-même. Elle a été écrite au dernier moment, au mois d'octobre, c'est à dire à peu près dix jours avant que la scène soit tournée. Et quand vous voyez les paquets de textes qu'ils ont à dire, c'était une grande angoisse. Et il y a une forme de maltraitance des acteurs. Mais ce truc s'est passé sans aucune difficulté. Ça s'est très bien passé.
Eva Roque : Bienvenue dans SERIELAND. Grand entretien avec celui qui a écrit ces mots et une série politique de référence en France et à l'étranger : Eric Benzekri, auteur des trois saisons de Baron Noir. Je m'appelle Eva et il y a quelques jours, j'apprenais que Baron Noir, la série politique française, ne connaîtrait pas une quatrième saison. Après la déception, celle de ne plus retrouver les personnages emblématiques de cette série : le député maire Philippe Rickwaert, la Présidente Amélie Dorendeu ou encore Michel Vidal, Président du mouvement "Debout le peuple", je me suis dit que l'histoire était effectivement finie. Et que le final de la troisième saison, diffusé en février dernier, était d'une telle force qu'il valait mieux en rester là. Ne pas céder à une énième saison qui risquait de nous faire glisser lentement vers une dystopie, alors même que Baron Noir excellait par son réalisme, sa capacité à appréhender le réel. Alors, il fallait quand même revenir, peut être pour la dernière fois, sur cette aventure Baron Noir. Le parcours d'un député du Nord, Philippe Rickwaert. Sa volonté de construire une autre société. Ses désillusions. Les trahisons, la prison. Le désir de revanche. Le goût du pouvoir. Chronique d'une vie politique française comme on ne l'avait jamais vu dans une série. Vous écoutez SERIELAND à la rencontre du scénariste Eric Benzekri. Mais au fait, Eric Benzekri, quelle fut la première scène imaginée et écrite de Baron Noir ?
Eric Benzekri : Je n'en ai aucune idée, mais je pense qu'il y en a eu plusieurs qui ont été jetées d'abord par Jean-Baptiste Delafon, le co-créateur, et moi même, voire par le producteur Thomas Bourguignon, voire par la chaîne. Je ne sais pas, il y en a eu plein. Mais je me souviens de la première scène réelle, celle que vous avez vu à l'écran, et le cahier des charge était simple. C'est une série politique, c'est compliqué. Donc, comment faire pour la rendre attrayante ? Il faut tout résumer en une scène, l'enjeu c'est l'élection présidentielle. Et c'est autour de la vérité et du mensonge. La première scène, on voit Niels Arestrup et Kad Merad sur le toit de la Défense avant le débat et le conseiller coache le candidat. Il lui ment pour le rassurer. Il lui dit que demain, ils vont dans une ville de province, qu'il va dormir là, que c'est une charmante bourgade et qu'il s'arrêtera dans un hôtel trois étoiles tenu de façon exceptionnelle par Ginette Ladoucette. Et Niels lui dit : "mais tu racontes n'importe quoi ?" Il répond : "oui, mais je ne dois pas être très loin de la vérité." C'est le cœur du sujet.
Eva Roque : Merci Eric Benzekri pour cette description. Après cette évocation des débuts, une question sur la fin. Est-ce que vous avez d'abord dit au revoir à vos personnages ou est-ce qu'ils sont encore un peu en vous ? (silence) Vous êtes un peu ému ....Ils sont encore en vous en fait... On a compris, il n'y aura pas de saison 4. J'ai une question qui va peut-être vous paraître un peu décalée, mais est-ce que le confinement y est pour quelque chose ?
Eric Benzekri : Pas exactement. Pas le confinement, le Covid, sans doute. C'est à dire l'impossibilité d'avoir un jeu politique qui continue à vivre parce que tout est bloqué, tout est arrêté. C'est très difficile de voir où on va et même de formuler des hypothèses. Donc, à partir de là, la matière première de Baron Noir s'éteint. Mais c'est temporaire. Ça pourrait revenir. La vraie raison, c'est la mort d'un des personnages principaux qui tenait la série autant que l'autre personnage. Et pour moi, il y a une boucle qui s'est fermée. Il était possible de continuer avec un nouveau cycle. Sans doute, c'était possible, mais moi, je ne crois pas qu'il faille toujours continuer pour continuer. Je pense qu'aujourd'hui, les séries très puissantes sont les mini-séries. Je pense que c'est quelque chose de nouveau la série, et depuis qu'on a vu Les Sopranos ou Oz, il n'y a pas tellement d'années qui se sont écoulées et ça va très vite. Et quand vous voyez Big Little Lies, c'est impactant, The Plot Against America, c'est impactant. Quand vous voyez The Night Of, c'est pareil. Ce sont des mini-séries et il y a tellement d'offres que je ne crois pas qu'il faille forcément prolonger ce qu'il s'est passé avant avec 8, 9, 10 saisons. Je crois qu'on n'en est plus là. Je pense qu'il faut être encore plus punchy dans la narration. Je pense qu'il faut inventer des nouvelles narrations à l'intérieur de ce cadre sériel. C'est très dur. Je ne sais pas si je serais capable de continuer à le faire, mais j'ai l'impression qu'avec Baron Noir, on a fait quelque chose de différent. Il faut continuer à faire quelque chose de différent.
Eva Roque : Alors moi, j'aimerais bien qu'on revienne quand même sur cette aventure Baron noir. A un moment Philippe Rickwaert tente de contrôler un mouvement d'étudiants, de lycéens et il discute avec le leader du mouvement. Je trouve le dialogue savoureux avec Kad Merad et ce leader des mouvements estudiantins. Mais surtout, cette scène est très ancrée dans le réel. Mais jusqu'à quel point, est-ce que ça fait écho, comme on a pu le lire, aux mouvements lycéens de 1990 ?
Eric Benzekri : Ça fait écho aux mouvements de lycéens de 1990. Ça fait écho aux mouvements étudiants de 1986, à tous les mouvements de jeunes. Il y a des archétypes. Il y a une façon de faire qui est toujours la même. La façon qu'à un mouvement de naître, puis de plafonner, puis de régresser. Le moment où il faut négocier. Tout ça, on le connaît. On sait et d'ailleurs le Président de la République, Laugier explique qu'il y a une courbe. Et Kad aussi. C'est un montage parallèle dans la série. A quel moment on annonce la manifestation nationale, etc. Toutes ces choses là existent. En fait, ce n'est qu'une sorte de concentré de ce qui existe pour en montrer toute la drôlerie, mais toute l'importance aussi.
Eva Roque : C'est étonnant la façon dont vous en parlez. Je vous vois souvent fermer les yeux et j'ai l'impression que vous imaginez la scène, que vous vous refaites la scène en vous répétant la structure en question de la séquence.
Eric Benzekri : C'est ça !
Eva Roque : Beaucoup de commentateurs et de journalistes ont voulu identifier vos personnages à des personnages réels, un peu comme je viens de faire avec ce mouvement, mais au fond, ça n'a jamais été votre volonté. Vous vouliez surtout raconter une période de la politique française. C'est bien ça ?
Eric Benzekri : Oui, c'est vraiment ça. C'est le cas pour toutes les séries, pour toutes les œuvres, il y a des inspirations. Après, je crois que quelque chose de réussi, c'est lorsque les héros, les personnages s'émancipent. La troisième saison de Baron noir, j'ai peu entendu Julien Dray, on ne m'en parle plus vraiment.
Eva Roque : Alors qu'on vous en parlais beaucoup pour la première saison...
Eric Benzekri : Mais c'est normal parce que c'est un choc aussi. Ça ne se faisait pas en France de faire ça. Or, nous, on a un shaker avec mes coauteurs. On met plein de bouts de personnages et plein de bouts de réel. On mélange tout et on voit ce qu'il en ressort.
Eva Roque : Mais peut être qu'on parle de Julien Dray parce qu'on connaissait votre parcours professionnel. Vous avez été notamment aux côtés de Jean-Luc Mélenchon quand il était ministre de l’Éducation. Vous avez travaillé avec Julien Dray. Est-ce que la défiance à l'égard du politique qui est un peu sous-tendue dans Baron noir, c'était votre propre défiance que vous mettez à l'écran ?
Eric Benzekri : Non, en fait, je n'ai pas de défiance par rapport à la politique. J'ai même un profond amour pour elle et je ne veux pas qu'elle disparaisse. Par contre, je pense qu'on ne peut pas parler de politique sans partir du sentiment et même du ressentiment qu'ont les gens à son égard. Si on commence par décrire un monde de Bisounours où tout va bien et où tous les hommes et toutes les femmes politiques sont formidables, personne ne regarde. Donc j'ai perdu d'avance. Voilà pourquoi il faut commencer avec des biftons plein la poche de Rickwaert.
Eva Roque : Avez-vous réglé des comptes avec d'anciens camarades à travers la série ?
Eric Benzekri : Non ! Mais d'ailleurs, je me suis froissé avec personne. Baron Noir a même été une occasion pour moi de renouer avec des amis que j'avais perdu de vue.
Eva Roque : Est-ce que ça vous a redonné goût à cette politique-là et envie d'y retourner ?
Eric Benzekri : Non, ce n'est pas pour moi.
Eva Roque : Dans le précédent épisode de SERIELAND, on a évoqué des séries américaines qui adorent parler de politique et de la Maison-Blanche, parfois dans une vision très complotiste de la politique avec "House of Cards". C'est une tentation à laquelle vous ne cédez pas du tout dans Baron Noir, peut être un tout petit peu avec le personnage de Mercier dans la saison 3. Mais est-ce que tout au long de la création de "Baron Noir", vous vous êtes méfiés de ça ? Vous vous êtes mis des garde-fous ? Ne pas évoquer les attentats, par exemple. Ne pas évoquer certains complots qu'on aurait pu imaginer.
Eric Benzekri : Les attentats sont quand même assez présents dans la saison 2. Il y a d'ailleurs un attentat imaginé dans une école de police à Roubaix, si je me souviens bien. Mais moi, ce qui m'intéresse, ce n'est pas le complot. C'est comment naît le complot ? Comment on va agréger des opinions autour de ça. Ce qui m'intéresse, c'est la fabrique des opinions et la mécanique de leur développement. Il y a une mécanique, il y a quelque chose de quasi mathématique, algorithmique et d'ailleurs, ce n'est pas un hasard si c'est depuis les réseaux sociaux que les complots prennent une telle importance dans le débat public.Ce n'était pas le cas avant. Avant lorsque vous aviez un complot évoqué au Café du Commerce, c'était le café du commerce. Maintenant, le café du commerce comme il est sur le téléphone de tout le monde, ça devient un petit peu plus chaud et c'est ça qui m'intéresse. Je pense qu'il y a un vrillage au cœur de la question démocratique aujourd'hui.
Eva Roque : Vous parlez de modèle quasi économique, quasi mathématique. Justement, le vocabulaire politique est très présent dans Baron Noir quitte à ce que le téléspectateur ne comprenne pas forcément de quoi on parle. Des focus, des qualis, on est pas toujours au courant de tout ce qui se passe dans les cuisines de la politique. Vous le faites un peu exprès d'utiliser ce vocabulaire technique à ce point-là ?
Eric Benzekri : Vous avez raison, j'aime ça. Dans "Urgences" on ne comprend rien et honnêtement, si on comprenait un médecin au bloc, je serais très inquiet sur le niveau de l'opération. Donc, si on comprend un homme politique parler d'économie, c'est qu'il y a un souci. Qu'on le comprenne quand il s'adresse à nous d'accord. Mais entre eux, ça voudrait dire que n'importe qui peut être Président. Ce n'est pas le cas.
Eva Roque : Vocabulaire technique, mais pas seulement. Et c'est pour ça que j'aime beaucoup Baron Noir. C'est la grande qualité de la série : c'est cette qualité d'écriture et des dialogues. J'ai cru comprendre que vous étiez un forçat et quelqu'un qui travaille énormément et j'imagine que chaque mot de chaque phrase est pesé. Est-ce que c'est le cas ?
Eric Benzekri : Je suis un dingue. Cette saison, la dernière, on l'a écrite à 4. Il y avait Raphaël Chevènement, Olivier Demangel, Thomas Finkelkraut et moi. On est tout le temps dans une pièce. Ça dure de 9 heures à 18 heures 30. Moi, il m'arrive de me réveiller la nuit, d'écrire la nuit, tous les week end. Après, il y a le tournage parce qu'on est sur le plateau. Ensuite, il y a le montage, parce qu'on le fait aussi. Et ensuite, il y a la promo. J'ai vécu huit ans là dedans, donc ça m'émeut. Les hommes et les femmes politiques dans Baron Noir font du storytelling. En fait, que reste-t-il à la politique ? Vous avez l'Union européenne, vous avez la mondialisation au dessus de l'Union européenne. Vous avez en dessous de la nation, la décentralisation. Vous avez un pouvoir central qui est complètement rongé de toutes parts. Donc, vous avez le sentiment qu'il y a une impuissance. Et peut être même que ce n'est pas un sentiment. Peut-être qu'il y a vraiment une impuissance de la politique aujourd'hui à agir. Je mets beaucoup de guillemets, mais tout le monde sait que ce que je dis en réalité, c'est une affirmation. Qu'est-ce qui reste pour essayer d'agir et d'être performatifs sur le réel ? C'est les mots. Le storytelling. Quand le Président fait une annonce, par exemple pour reconfiner le pays. Quand est-ce qu'on le fait ? Quand est-ce qu'on l'annonce ? Est-ce qu'on annonce quelque chose pour pouvoir annoncer autre chose ? Voilà, c'est décortiquer tout ça qui m'intéresse. Le verbe compte. Il est moteur et central. Donc c'est une série qui s'écrit. Et quand on dit, elle est trop écrite. Peut-être que oui, mais si elle était moins écrite, alors elle ne correspondrait pas au milieu qu'elle dépeint.
Eva Roque : Et puis, c'est aussi une série avec des femmes, avec des histoires de femmes. Elles sont très présentes. Je pense au personnage de Véronique Bosso, ou de Aurore Duprat, qui sont très attachantes. Puis il y a quand même Madame la Présidente. Au moment de l'écriture on était dans un mouvement féministe, le renouveau du mouvement féministe, l'arrivée de Trump, le Brexit en Angleterre, est-ce que tout ça vous a nourri ou a conditionné l'écriture de la série ?
Eric Benzekri : Oui. La matière première, pour nous, c'est l'actualité. Et en fait, on essaye de tout intégrer, mais de le digérer. Donc, ce que les journalistes n'ont pas - c'est à dire le temps long parce qu'ils doivent produire tout de suite le papier qu'ils écrivent sur le sujet - nous on l'a, parce qu'on peut réécrire. Je suis abonné à plein de trucs, de sondages, d'études, parce que ce qui m'intéresse, c'est l'opinion. Un jour j'ai lu un sondage où il était question de qualificatif "femmes". Moi, j'ai deux petites filles, j'ai pas envie que "femmes" soit un qualificatif, c'est une honte. Les gens de ce métier ne se rendent pas compte à quel point tout est technicisé et tout est catégorisé, matérialisé, alors qu'il s'agit d'êtres humains. C'est comme les statistiques sur l'immigration, voyez-vous. Derrière, il y a des gens, il y a des vies. Pour les émissions télé aussi, on parle de "format". Je m'intéresse vraiment aux mots en tant que tel est le "format", le "qualificatif ", c'est très dur. Je trouve tout ça très agressif et donc de ce qualificatif "femme" est venu une scène. Souvent, c'est un bout de dialogue ou un mot qui font naître une scène chez nous.
Eva Roque : Alors, en parlant de cette femme Présidente, elle meurt. Comment on annonce la mort d'un personnage à son actrice ?
Eric Benzekri : D'abord, je ne le savais pas moi même...
Eva Roque : Vous commencez le tournage de la saison 3 sans savoir exactement à quoi va ressembler la fin ?
Eric Benzekri : On tourne les quatre premiers épisodes alors qu'on a écrit cinq épisodes, donc il faut écrire les trois derniers encore. On ne savait pas comment ça allait finir. L'idée est venue assez tard. On a d'abord lutté contre, alors que c'était l'évidence narrative. Au début, elle était entre la vie et la mort. C'est un cliffhangers, ça ne me plaît pas. J'avais envie qu'on laisse la porte ouverte de la fin de la série, mais surtout, je veux dire, c'est inélégant de faire ça, je trouve. Surtout, ça ne ressemblait pas au personnage. C'est à dire si elle se tue, elle réussit. Je ne crois pas que ce personnage là puisse se rater si elle se suicide.
Eva Roque : Et je pense que c'est pour ça que cette fin est extrêmement réussie. Un mot sur le casting, c'est une série qui a d'ailleurs permis à Kad Merad d'être nommé aux Emmy Awards. Il en est très fier. Est-ce que vous avez d'abord participé au casting ? Ou est-ce que vous avez découvert les comédiens ? Est-ce que vous avez été étonnée de Kad Merad, par exemple ?
Eric Benzekri : On a participé au casting. Cette histoire était déjà dans les journaux. Canal cherchait un acteur populaire pour contrebalancer le fait de faire une série politique aussi technique. Donc, on avait une liste d'acteurs. Et puis, un moment, le nom de Kad Merad sort et moi, j'ai dit : "Ça ne va pas ou quoi ? Comment ça ? Kad Merad?" Avec Kad maintenant, on est assez liés. On s'aime beaucoup. Il me le rappelle tout le temps et je m'excuse platement, en rougissant à chaque fois. Mais il y a eu des essais et c'était dingue. C'est à dire qu'au bout de deux minutes de visionnage je n'aurais pas pu imaginer mieux parce qu'il y a un côté animal. Ça allait au delà du flow. C'est juste son physique, quoi, il y avait quelque chose. J'ai vu des gens comme ça en politique toute ma vie. C'était d'une puissance. A la fin, je l'entendais en écrivant, c'était un bonheur de dialoguer. Il y a eu une fusion.
Eva Roque : C'est extrêmement important dans les séries de pouvoir aller à ce niveau-là de collaboration entre le comédien et le scénariste...
Eric Benzekri : Il n'y avait jamais un mot de trop chez lui. C'était un respect profond. C'était super.
Eva Roque : Question rituelle que j'aime bien poser aux scénaristes et réalisateurs, surtout aux scénaristes. Comment vous avez choisi les prénoms et noms de famille de vos personnages ?
Eric Benzekri : Alors moi, souvent, pour les noms de famille je regarde les noms de communes françaises, les noms de vin. Pour Rickwaert on cherchait des noms de Dunkerque. Donc on regardait les patronymes à Dunkerque et on a pris un nom de milieu de tableau. Des choses insondables. Les prénoms on regarde beaucoup les années de naissance, les régions aussi parce que l'origine sociale joue. En dernière saison comme je n'avais plus le temps de m'occuper de ça parce que j'étais vraiment tout le temps en retard sur tout, je demandais souvent à des copains, et ils me disaient ce qu'ils préféraient.
Eva Roque : Et Amélie Dorendeu ?
Eric Benzekri : Dorendeu, c'était un de mes profs d'éco à Sciences-Po.
Eva Roque : D'accord. Parce que je trouvais qu'il avait une connotation "Dieu", si on ne prononce pas très bien...
Eric Benzekri : Moi aussi ! Personne ne le sait mais je vous le dis, c'est un nom qui me trottait dans la tête comme ça, je ne sais pas pourquoi. Et Amélie, c'est la chanson de Laurent Voulzy, Amélie Colbert.
Eva Roque : Est-ce que vous avez fait un casting pour la ville aussi, parce que Dunkerque est extrêmement importante dans la série, c'est un personnage à part entière, quasiment.
Eric Benzekri : Oui, avec mon co-créateur Jean-Baptiste Delafon, on voulait une ville industrieuse de gauche, incarnant le crépuscule des fédérations socialistes toute puissante. On cherchait en même temps quelque chose de graphique, de beau. On pensait à Saint-Nazaire avec les chantiers navals. On a pensé au Creusot. On regardait tout ça. Et puis on a pris nos voitures. On a été à Dunkerque. Quand on a vu les grandes cuves, qu'au bord de la mer on voyait les usines des deux côtés, on s'est dit que c'était la bonne ville. Après j'ai fait mon Benzekri, c'est à dire que j'ai regardé tous les résultats électoraux ville par ville, et je me suis dit que là, il y avait ce qui m'intéressait, c'est à dire les phases de gentrification qui rentraient, un début de boboïsation dans le cœur du centre ville de Dunkerque mais à côté une forte polarisation entre Front national dans les élections nationales et gros vote de gauche radicale aux élections locales. J'ai trouvé qu'il y avait tout ce qu'il fallait pour dépeindre ce qui est en train de se passer comme tectonique électoral.
Eva Roque : C'est incroyable ce que vous êtes en train de raconter vous le savez. Aller dans le détail à ce point là, de regarder les résultats électoraux par bureau pour coller à la réalité de la fiction. Personne ne serait venu vous reprocher de faire la même fonction dans une ville du Nord où il n'y avait pas les mêmes résultats électoraux ...
Eric Benzekri : Si nous.
Eva Roque : Mais il n'y a que vous qui l'aurait su.
Eric Benzekri : Je crois que c'est que nous apprend la série The Wire. Il y a quelque chose du réel et c'est pour ça que le temps de préparation est si long. Il faut travailler. Donc, il faut tout lire. Vous voyez ce que je veux dire. Il faut prendre du temps. On ne peut pas faire des séries juste pour avoir un contenu. Peut-être je pourrais le faire, mais pas bien. Donc, il faut prendre le temps de l'enquête.
Eva Roque : Alors justement, on va revenir sur The Wire. Je voudrais qu'on termine cet entretien avec quatre affirmations. Vous allez me dire si c'est de l'info ou de l'intox. Est-ce vrai que vous avez chronométré des épisodes de "The Wire" ou encore des "Sopranos" pour comprendre le rythme de ces séries américaines ?
Eric Benzekri : Totalement. Non seulement je l'ai beaucoup, beaucoup fait. Je ne dirai pas que je le fais encore parce que je n'ai plus le temps. Mais je prends des notes.
Eva Roque : Et vous chronométriez quoi à l'époque ?
Eric Benzekri : Combien de temps on peut se permettre de ne plus voir le personnage principal à l'écran ? Au bout de combien de temps deux intrigues qui ont été lancées dans les cinq premières minutes se croisent. Ce genre de choses. Et donc, je le matérialisais avec des lignes. D'ailleurs, elles ne se retrouvent pas exactement dans Baron Noir, mais Baron Noir a trouvé sa propre construction au fur à mesure, et notamment grâce au montage qui a beaucoup été fait par Thomas Bourguignon, le producteur. L'écriture a fusionné, et en particulier dans la saison 3 avec ce qui avait été fait dans les deux premières saisons au niveau de l'image. Si vous voulez, le scénario est très important bien sûr, ce n'est pas moi qui vais dire le contraire, mais ce qui compte, c'est ce qu'il y a à l'image à la fin. Et donc, chronométrer l'image est mieux que d'apprendre en lisant un scénario.
Eva Roque : Est-ce que vous avez toujours été satisfait de ce que vous avez vu à l'écran ? Chaque scène que vous avez pu imaginer, c'est ce que vous avez ensuite vu à l'écran ou il y a eu des scènes où vous ne vous y attendiez pas de façon positive ou négative ?
Eric Benzekri : Les deux cas sont arrivés. Mais la plupart du temps, c'est une plus qu'agréable surprise. Et je vais vous donner un exemple très précis qui est la scène du grand débat dans le cratère en face de la préfecture, à Lille, le débat Vidal et Rickwaert. Franchement, en l'écrivant je me disais est-ce que ça va passer tout ça et non seulement ça passe, mais c'est vraiment mieux qu'à l'écriture.
Eva Roque : Parce qu'il y a une ambiance en plus. Il y a beaucoup de monde dans l'arène...
Eric Benzekri : L'ambiance est travaillée au millimètre, c'est à dire qu'on réunit des groupes de militants à l'avance, c'est moi qui les vois. Je leur dis ce qu'il faut dire. Ce que vous entendez est aussi écrit dans les réactions du public. Mais c'est encore mieux que ce qui était écrit.
Eva Roque : Je pense que vous allez me dire que c'est une info mais il paraît que vous relisiez la Constitution avant d'entamer l'écriture de chaque saison de Baron Noir.
Eric Benzekri : C'est une info, bien sûr, parce que souvent, dans les saisons de Baron Noir, c'est le droit qui fait la différence. Comme c'est une ode à la démocratie, la dernière limite des personnages en termes de morale entre guillemets ou d'éthique personnelle de comportement, c'est le respect du droit. Et l'encadrement des règles politiques, c'est la Constitution qui la donne. Et donc, c'est un article ou plusieurs articles de la Constitution qui font tourner les saisons de Baron Noir. La saison 1, c'est la question de la destitution du Président de la République. La saison 2, c'est la question des attentats et donc de l'état d'urgence ou de l'état de siège. Et la troisième saison, c'est l'élection au suffrage universel du Président de la République, l'article 4, et l'article 7 sur l'empêchement.
Eva Roque : On va sortir de Baron Noir pour deux petites questions. Vous adorez la série Succession. Est-ce que c'est une info, une intox?
Eric Benzekri : C'est plus qu'une info. J'ai revu il y a 10 jours, les 4 premiers épisodes et je suis tellement tellement impressionné, tellement jaloux. Je l'ai vu, je pense 4 fois. Je vais la revoir en entier parce que j'ai des choses à comprendre. Ce qui m'a intéressé, c'est d'avoir des personnages qu'on n'est pas censés aimer et qui pourtant nous tiennent. Et donc là, il y a un tour de force. Il y a une innovation. Il faut la prendre pour ce qu'elle est, c'est à dire un grand tour de force. Et il ne faut pas mépriser en disant oui, mais bon, c'est arrivé une fois. Je pense que ça va arriver d'autre fois et tant mieux parce que les anti-héros c'est une figure majeure de la littérature avant les séries et je ne vois pas pourquoi, sous prétexte que l'on est diffusé à la télévision, on n'aurait pas le droit de le faire. Il faut le faire.
Eva Roque : On en reparlera évidemment dans SERIELAND, Succession, c'est à voir sur OCS. C'est une immense saga familiale si on s'arrête sur le genre. Mais effectivement, avec des héros qu'on déteste adorer vraiment. On vous la recommande et d'ailleurs, vous gagnez votre carte VIP dans la SERIELAND Eric Benzekri pour cette réponse. Est-ce que j'aurais la chance de pouvoir vous inviter une nouvelle fois pour venir parler d'une nouvelle série dont vous allez tout dévoiler maintenant ?
Eric Benzekri : J'espère que dans un an ce sera suffisamment avancé pour que je puisse commencer à vous en parler. Mais voilà, comme vous m'avez entendu, vous savez que c'est long. Donc, j'espère que ce ne sera pas trop long. Mais après avoir beaucoup changé d'avis, j'ai l'impression qu'avec Raphaël Chevènement, qui l'écrit avec moi, on commence à voir un peu nous-mêmes de quoi il s'agit.
Eva Roque : Donc encore dans le milieu de la politique ou pas du tout ?
Eric Benzekri : Non, ce n'est pas dans le milieu de la politique, c'est la société française telle qu'elle est aujourd'hui. Je crois que c'est très, très actuel. Mais peut-être que je vais encore changer d'avis, donc je ne sais pas. Il y a évidemment beaucoup de politique. Mais ce que je veux dire, c'est que les thèmes sont politiques, mais que les personnages principaux ne seront pas des hommes et des femmes politiques.
Eva Roque : Merci infiniment pour cet entretien. Merci beaucoup. Les trois saisons de Baron Noir sont toujours disponibles sur Canal +. La semaine prochaine, deux nouveaux épisodes de SERIELAND vous attendent. Il sera question notamment de santé mentale. Nous plongerons notamment dans la série The Good Doctor à voir sur TF1.