Dans un réquisitoire ferme, le parquet d'Evry a demandé mercredi la peine maximale de 450.000 euros contre la SNCF, "une entreprise dans le déni", qu'il estime coupable de blessures et homicides involontaires lors de la catastrophe ferroviaire de Brétigny de 2013. Pour le procureur Rodolphe Juy-Birmann, la SNCF est coupable d'avoir "créé le contexte à l'origine de l'accident", qui a fait sept morts et des centaines de blessés, par "un échec dans la chaîne de maintenance". Lui est reproché son "attitude défaillante", "d'avoir bâclé et de ne pas avoir voulu passer de temps sur les opérations de maintenance", explique le procureur.
Le procureur requiert la peine maximale 450 000€ contre la SNCF car en état de récidive légale pour blessures et homicides involontaires #Bretigny
— Gwladys Laffitte (@Gwwla) June 15, 2022
Un manque de preuves pour condamner SNCF Réseau
Avec cette catastrophe et l'enquête de sept ans qui s'est est suivi, "c'est toute une conception du service public qui s'est effondrée", affirme-t-il. Rodolphe Juy-Birmann a en revanche demandé la relaxe pour les deux autres prévenus : la SNCF Réseau (gestionnaire des voies, ex-Réseau Ferré de France) et l'ancien cadre cheminot, Laurent Waton, à qui était reproché d'avoir choisi de réaliser la dernière tournée de surveillance, sans être accompagné et donc avec moins de vigilance.
Pour Laurent Waton, le procureur a relevé des fautes "simples, ordinaires" voire "disciplinaires" mais pas "une faute caractérisée" pénalement. Pour SNCF Réseau, il a été "dans la contrainte de demander la relaxe", car il lui manquait soit des preuves, soit l'évidence d'une responsabilité de RFF pour demander sa condamnation. Ces réquisitions de relaxe ont déçu du côté des parties civiles.
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La SNCF nie toujours les faits
Tout au long du procès, la SNCF a contesté les fautes reprochées, imputant l'accident à un défaut indécelable de l'acier de l'appareil de voie, thèse soutenue par des "pseudo experts", selon les mots du magistrat, lors d'une bataille effrénée d'expertises qui a duré plusieurs semaines. Si le défaut était indécelable, l'accident était imprévisible, ce qui dédouanerait la SNCF et cantonnerait la catastrophe ferroviaire à "un simple accident", tacle le procureur.
À la SNCF, "on range au rayon des mauvais souvenirs cet événement anecdotique", s'indigne-t-il encore, fustigeant la diffusion d'une vidéo, trois jours avant le procès, dans laquelle la direction de l'entreprise appelait ses cheminots "à la réserve" et pour laquelle il a demandé une peine complémentaire.
"Banaliser l'urgence"
Neuf ans après les faits, la SNCF est encore "une entreprise dans le déni" qui n'assume pas d'avoir "banalisé l'urgence", au détriment de la sécurité des usagers. La SNCF est jugée, car elle est l'héritière pénale de la SNCF Infra, chargée de la maintenance des voies au moment des faits.
La peine requise à son encontre s'élève à 450.000 euros d'amende, du fait de la récidive légale que le procureur a demandé au tribunal de retenir après un accident mortel à Troyes jugé en 2013. "Une peine d'amende, quel que soit le montant, n'a pas de sens pour les victimes : aucune peine ne ramènera personne à la vie", reconnaît-il. Il espère toutefois qu'une telle condamnation, si elle est prononcée, apportera "deux satisfactions" aux plus de 200 parties civiles.
"L'opprobre et le discrédit"
Premièrement, celle d'avoir "été entendus et reconnus dans votre statut de victime". Et surtout, "la condamnation jettera l'opprobre et le discrédit" sur l'entreprise publique, prévoit-il.
Concernant la SNCF, le procureur lui reproche douze fautes avec une "faute originelle de désorganisation" qui ne met "pas en cause les cheminots" mais met au jour "la lente dégradation de leurs conditions de travail, impactées par des objectifs de rentabilité". Parmi ces fautes, un "défaut de traçabilité" à Brétigny-sur-Orge : "celui qui fait les constatations" sur l'appareil de voie "n'est pas celui qui signe, celui qui prend les cotes n'est pas celui qui écrit sur la fiche...", illustre le procureur.
Des problèmes de maintenance
Cette "absence de traçabilité n'a pas permis de maintenir un niveau d'alerte suffisant" sur un appareil de voie connu, pourtant, pour ses "défauts de géométrie récurrents". Cet appareil complexe, appelé traversée jonction double, aurait d'ailleurs dû être changé de manière anticipée. La vitesse de circulation des trains réduite de façon permanente.
Le procureur a souligné l'habituel "retard dans la maintenance", avec des opérations reportées, "car d'autres urgences prennent le pas". Et cette "négligence évidente" dans le suivi d'une fissure de 10 mm détectée en 2008 sur un cœur de traversée de l'appareil : ce cœur "n'a jamais été examiné", affirme-t-il.
Les plaidoiries en faveur de de SNCF Réseau et de Laurent Waton débutent jeudi, suivies de celles de la SNCF vendredi.