Simple comme un coup de fil, ou presque. C’est sans arme ni violence que des escrocs spécialisés parviennent à soutirer des sommes colossales à des entreprises du monde médical, dont des hôpitaux et des pharmacies, en pleine crise du coronavirus. Leur technique parfaitement rodée repose sur leur force de conviction et les renseignements sur lesquels ils s’appuient. Au téléphone, les arnaqueurs professionnels plein d’aplomb se font passer pour un fournisseur habituel de leur cible.
"Ils leur disent ‘je viens d’avoir un stock de masques, je sais que vous en avez besoin, dépêchez-vous, mon stock fond à vue d’œil… Je vous envoie directement une facture, vous trouverez mes coordonnées bancaires dessus, faites-moi un virement’… Donc ils mettent la pression à leurs interlocuteurs et ces pharmacies ou hôpitaux sont amenés à verser de l’argent mais ne voient jamais la marchandise", explique à Europe 1 la commissaire divisionnaire Anne-Sophie Coulbois, cheffe de l'Office central pour la répression de la grande délinquance financière (OCRGDF) à la direction centrale de la police judiciaire.
Arnaque à plusieurs millions d’euros
L'exemple le plus marquant est celui d'un grossiste de Rouen travaillant pour les pharmacies. Début mars, il a passé une commande de 6,6 millions d'euros pour des gels et masques à une société qui s'est finalement révélée être fantôme, comme l’avait révélé Le Parisien. "Les escrocs se sont fait passer pour des fournisseurs connus de la société en remettant un dossier complet", a précisé la société à l’AFP. La commande ne lui est jamais parvenue et l'argent a finalement atterri à Singapour, où il a pu être bloqué par les autorités à la suite du dépôt d'une plainte contre X en France.
Selon les informations recueillies par Europe 1, un hôpital a récemment failli passer une commande identique pour un montant de 6 millions d’euros. La transaction a été stoppée juste à temps. Dans la région de Strasbourg, un intermédiaire s'est, lui, fait dérober 70.000 euros sur une commande de masques et de gel selon le même procédé. Dans les Yvelines, une société fournissant des pharmacies a effectué un premier versement de 15.000 euros à un fournisseur en Inde. Le deuxième versement a été bloqué à temps. L'enquête est en cours.
Faux ordres de virement
Ce type d’escroquerie à très grande échelle est bien connu des enquêteurs qui les qualifient de "faux ordres de virement (FOVI)", aussi appelés "arnaque au président" d'une entreprise. Ces arnaques sont apparues vers 2010 et se sont ensuite étendues avec le développement d'internet.
Gilbert Chikli, condamné récemment à 11 ans de prison pour avoir soutiré des millions d'euros en se faisant passer pour le ministre Jean-Yves Le Drian, est considéré par la justice française comme un des pionniers de cette escroquerie. En 2015, il avait été condamné, alors qu'il était en fuite en Israël, à sept ans de prison pour avoir ainsi escroqué plusieurs grandes entreprises.
Des dizaines d’escroqueries depuis quinze jours
Depuis quinze jours, les escrocs profitent de la crise due au coronavirus. "On est sur les mêmes équipes, les mêmes modes opératoires, les mêmes techniques pour éviter la police, qu'on connaît depuis dix ans", selon Anne-Sophie Coulbois.
"Plusieurs dizaines d'escroqueries sont signalées depuis 15 jours, sans compter les entreprises qui ne s'en sont pas encore aperçues en attendant une commande qui ne viendra pas, ou qui ne veulent pas porter plainte", ajoute une source policière à l’AFP. Bien souvent, le "vrai-faux fournisseur" appelle avec un numéro français alors qu'il est à l'étranger, et invoque le confinement et le télétravail pour expliquer que le numéro est différent de celui d'habitude utilisé par le fournisseur.
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Rappeler sur les numéros habituels
Pour se prémunir de ce type d’arnaque, la patronne de l'OCRGDF recommande de s'assurer qu'il s'agit bien du fournisseur habituel en le rappelant avec les coordonnées habituelles : "c’est indispensable", insiste Anne-Sophie Coulbois sur Europe 1.
Selon elle, "il ne faut pas utiliser les coordonnées qui sont données par l’escroc même si cela peut être compliqué en ce moment avec le travail à domicile. Il ne faut pas non plus se précipiter, même si la notion d’urgence est bien là, ne pas hésiter à en parler à un collègue pour échanger avec lui sur le caractère frauduleux ou non de la commande". Enfin, la cheffe de l'OCRGDF incite également les victimes à porter plainte et à "contacter (leur) banque pour essayer de rapatrier les fonds".